Nuées

gribouille--2

Nuées

Bertrand était allongé sur ce lit d'hôpital depuis bientôt deux mois, sa santé était très déclinante depuis qu'il s'était cassé le col du fémur, il n'arrivait pas à récupérer, son moral n'était pas là, il était fatigué, lassé de se battre contre la douleur qui lui vrillait les tympans, contre les raideurs de sa jambe, il n'arrivait pas à récupérer malgré les encouragements prodigués par les infirmières.

Abruti par les médicaments, les somnifères et les antibiotiques, il était plutôt vaseux chaque matin et n'avait pas faim, lui qui autrefois mangeait de bons plats garnis au restaurant et buvait avec plaisir sa demi bouteille de bon vin rouge.

Bientôt 85 ans, une vie bien remplie, faite de divers métiers, de voyages, de loisirs, de rencontres et de passions.

Mais là, il ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas se relever de son lit et faire trois pas sans chanceler, ses forces l'abandonnaient décidément, lui si sportif en son jeune temps.

Il avait perdu sa compagne depuis, oui, bientôt 4 ans, la solitude n'arrangeait rien à sa situation morale, il baissait les bras, n'ait plus de but vraiment.

Pourtant ses œuvres picturales étaient unanimement appréciées des collectionneurs, mais il n'en avait plus cure, se disant que l'avenir était pour ceux qui les admiraient et non plus pour lui, c'était un de ses buts, transmettre ses passions pour l'art et la peinture... il y était parvenu.

A demi ensommeillé, relié par un tuyau à un flacon de morphine pour calmer ses élancements, la pièce d'hôpital semblait bouger autour de lui, les objets se déformaient derrière ses lunettes, les gens se mouvaient en silence quand ils venaient le voir, parlaient comme dans du coton, les sons étaient atténués, il était bien, calme et serein quand la drogue se distillait dans son sang, enfin un peu de silence, puis la nuit, un peu semblable aux précédentes, arrivait.

Il avait cru entendre une voix à coté de son lit un soir, lui souhaitant une bonne nuit, mais en ouvrant les yeux il n'avait rien vu, toujours est il qu'il avait remercié cette personne aux sonorités familières, mais qui cela lui rappelait il donc ? Une voix féminine, il en était sûr. Les lumières de la rue formaient des ondulations artistiques, tiens je devrais faire un tableau de ces ombres et lumières un jour, intéressantes ces variations et ces mouvements !

Mais que s'était il donc passé ce jour là, il ne se rappelait que de sa chute dans le bus, le conducteur avait freiné brutalement et il était tombé en arrière, puis avait chuté dans la partie de la montée, se retrouvant coincé en deux , son dos avait alors ressenti une fulgurante douleur, puis plus rien, il s'était réveillé sur ce lit d'hôpital.

Le soleil glissait ses rayons à présent entre les lames de plastiques de la persienne, le réchauffait en faisant courir ses states sur sa couverture, lumières mouvantes comme d'habitude, ondulantes elles aussi, des petits lapins ? Non des souris maintenant, il voyait les animaux gambader sur son lit, il sentait leurs pattes, c'était sympa qu'ils viennent lui rendre visite. Une brume en face de lui avait pris forme, brume de fumée ? Non ça ne sentait pas le tabac, et puis c'était interdit dans un hôpital. Une brume claire, presque lumineuse était là, persistante, qui louvoyait entre le lit et le mur d'en face, il n'arrivait pas à définir ses contours, mais elle était là, semblait attendre, semblait, oui le regarder, bizarre, une brume me regarde, puis il entendit une voix, la même que la dernière fois « Bertrand, bonjour, comment te sens tu aujourd hui ? » « Bien, çà va, mais qui es tu , ta voix me semble, oui, mais qui ? » Puis il sombra dans un profond sommeil.

La chaleur qui l'entourait était lourde, il ne sentait plus son corps, tant mieux, mais depuis combien de temps suis je ici, se dit il, bof, peu importe, je suis bien, mais fatigué, il lui fallait manger, l'infirmière avait ramené son plateau repas, ses pilules sur le coté, c'était fade, sans sel, petites portions, il ne mangea qu'un yaourt nature, pas faim.

Sitôt l'infirmière partie, la nuée presque familière était revenue, cette fois ci sur le coté du lit, s'approchant, le toucha même, caressante presque, quelle paix, ah du bonheur à mes cotés, c'est sympathique. Une autre nuée à gauche commença à se mouvoir, plus petite, quoique ! Non plus légère, plus diffuse, il ne savait plus quoi penser, mais il était mieux quand ces ombres lumineuses étaient là.

Le son d'un klaxon le réveilla dans l'après midi, quel jour était on, bof, ce n'était pas important, personne ne viendrait le voir, sa famille savait qu'il était là, mais pas le temps surement, ou loin, ou bien bof, il s'en moquait, lui artiste, tous avaient rigolé en ses débuts, ils rigolaient moins aujourd hui, alors qu'il faisait la une de bien des magazines artistiques, mais personne encore ce jour là, sauf, mais oui, les nuées brumeuses qui attendaient qu'il se réveille étaient bien là, puis se mirent à lui parler « Bonjour Bertrand, as tu bien dormi ? » « Oui, merci, ah ça y est,non c'est pas vrai, Papa, Maman, mais vous êtes venus me voir, mais je ne comprends pas, vous, vous, mais vous n'êtes plus là, il, non, mais vous étiez morts, attendez oui, mais depuis combien de temps ? Mais c'est bien d'être venus, je suis si mal sur ce lit, que devenez vous ? » Puis les brumes se rapprochèrent en silence, le consolèrent, le touchèrent et il sombra dans un sommeil profond.

Son chien le réveilla, son cocker favori, « Queen's ! que fais tu là ? Mais tu n'as pas le droit d'être dans un hôpital, veux tu , mais viens quand même, approche, tu n'as pas changé, toujours aussi beau » Le chien vint lui lécher la main, puis il caressa la tête de son vieil ami canin, enfin un qui vient me voir, un ami fidèle.

Le médecin lui avait bien dit « si vous avez mal, n'hésitez pas, bougez la molette et vous irez mieux » C'est ce qu'il fit, ses lombaires le brulaient, des coups de poignards le lançaient, alors il tourna la molette et très vite il s'apaisa, se détendit, les nuées s'approchèrent, fidèles au rendez vous, plus fréquemment lui semblait il, et il parlait, échangeait des idées, causait de l'ancien temps, le visage de sa mère brillait, elle allait mieux, elle avait rajeunit, son père aussi lui souriait, lui qui était plutot réservé,d'autres nuées s'étaient approché peu être une dizaine, au dessus de son lit, il avait l'impression de flotter, son esprit se soulevait, se détachait, il se voyait à présent, tiens je suis là dans mon lit, je suis bien. L'infirmière était rentrée, se penchait sur son lit, mais tout va bien, lui dit il, elle s'affairait, lui touchait les paupières, mais je vais bien pourtant, décrochait le téléphone intérieur, tripotait des fils, lui mettait un masque sur le visage, bof, à quoi ça sert ? Je respire très bien sans ce masque, je vais bien, mais elle ne semblait pas entendre.

Une lueur plus vive que toute autre était dans le cabinet de toilettes, pourquoi la salle de bains d'ailleurs? Il décida d'y aller, il flottait à travers la pièce, des rires l'entourèrent, des musiques même, des air connus de son passé, de son enfance, il aimait bien, se souvenait, il dansait dans la pièce en allant vers la lueur qui s'amplifiait, tendait la main, cherchait à la toucher à la palper.

« Bonjour Bertrand, comment vas tu ? »

Murmures, tourbillons de joie, couleurs, blancheurs alternantes, rondeurs, tourbillons de paix l'entourèrent, métabolismes nébuleux, cotonneux, soyeux, myriades de petites étoiles scintillantes, bleues, rouges, blanches, jaunes, vertes, orangées, un univers tourbillonnait autour de Bertrand, un ciel se formait, la lueur principale l'attirait comme un aimant, je suis bien, c'est l'heure, je vais bien, très bien même, je n'ai plus mal, les autres lueurs lui firent un cortège, des musiques résonnèrent, Vangelis il se rappelait bien, c'était beau, agréable, il toucha la musique qui lui répondit, le caressa, l'enveloppa. « Oh, Raymond, je suis heureux de te revoir, tu m'as manqué, tu sais, j'ai bien progressé en peinture, je suis devenu peintre, je t'ai suivi, je suis connu maintenant, Oh Mamine, et toi, toujours aussi vive ? Ah, Jacques, tu es guéri ? Catherine, Antoine, vous êtes tous là, merci, merci, merci de m'entourer, je suis venu vous voir et vous m'attendiez, je le sentais et vous êtes au rendez vous, merci, je ne vous en veux pas et je sens que vous non plus, mais c'est bien ainsi, on va se promener ? »

Puis l'infirmière et le médecin secouèrent la tète, non il ne reviendra pas cette fois là.

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