Nuit de la Saint Sylvestre

Dominique Taureau

Pour l’amour, c’est toujours un pincement au cœur quand sonne l’heure de partir.

     L'aurore parisienne enneigée du premier jour de l'an filtrait au travers des rideaux ; la pénombre violette baignait l'intimité ; les deux jeunes adultes enlacés reposaient à plat sur le plancher dessus le mince matelas de mousse et dessous la couette bleue de chine. Ils se tenaient chaud, peau contre peau, savourant la senteur bienheureuse de leur fatigue d'amants. La lente extraction nonchalante de leurs consciences ramollies à leur béatitude faisait penser aux montres molles de Dali : deux indolentes postures avachies au bord d'un instant sublime d'éternité ; leur sensation d'alanguissement endolori exhalait l'impression d'un assoupissement heureux sur une énergie épuisée.

     

     À peine arrivés vers trois heures et demie, au contact brûlant du brasier de leur convoitise, ils s'étaient enflammés comme des mèches éméchées. D'abord, s'allumant sous les étincelles vives et pétillantes de leurs baisers courts, rapides et passionnés : agréables effets affriolants des lèvres et de la langue. Puis, s'embrasant sous les flammes allongées de leurs embrassades longues et attisées par les crépitements de la gourmandise : délicieuses sensations extrêmes sous les frissons des caresses instinctivement expertes. Ensuite, consumant leur feu d'amour dans la chevauchée incandescente de leur étreinte flamboyante, doucement empressée et ardemment puissante de leur corps à corps : charnelles vibrations suprêmes de la jouissance  et de l'orgasme. Enfin, tombant de sommeil d'un seul coup, vers quatre heures du matin, comme deux bûches calcinées vacillant en braises alanguies dans le foyer voluptueux : ô plaisir ressenti et réjoui de l'amour tisonné de désir.

     

     Leurs organismes amorphes n'avaient cessé de changer de position tellement innervés par l'engourdissement langoureux de leur bien-être groggy : têtes migraineuses, jambes cotonneuses et musculatures ankylosées. Ah les jeunes et saines douleurs courbaturées…Rappel du réalisme cru des Raboteurs de Parquet, œuvre vue la veille à l'exposition consacrée à Caillebotte juste avant le réveillon entre amis sur les Champs-Elysées. Véritablement, ils n'avaient qu'une seule et unique envie : celle de rester immobiles et satisfaits à prolonger le rêve universel et immortel des amoureux. Collés l'un à l'autre, ils ne voulaient plus bouger : Roméo et Juliette, deux âmes comblées comme deux statues figées pour l'éternité dans l'extase de leur bonheur. Leurs respirations lentes semblaient vouloir ralentir, freiner, retarder, retenir la marche du temps.

     

     Le jour se faisait de plus en plus sentir...L'aube pénétrante éclaircissait irrémédiablement le studio. Encore quelques instants de cette sérénité d'émotions voluptueuses ; encore sentir leur chaude odeur de nudité mélangée aux flagrances tenaces de leurs parfums évaporés ; encore ressentir leurs cœurs épris dans le délice du silence radieux…Allez ! Encore un peu de temps... encore un moment...encore quelques instants...

     

     Patatras ! Un coq se mit à chanter à tue tête sur un portable. De son côté, le réveil se mit à donner de la voix sur Rire et Chansons. L'utopie, l'espérance, la nuit, les songes et les rêves s'enfuirent...Ils pouffèrent tels des rayons de soleil jaillissant dans une profusion commune : pétillants éclats de bonne humeur. Quelle gaieté mêlée à leur complicité rayonnante ! Se redressant ensemble, ils arrêtèrent le concert cacophonique, lui agissant sur le réveil, elle sur son Chantecler. Assis, ils s'embrassèrent ; une dernière étreinte exquise de tendresse délicatement attentionnée…Trop courte bien sûr !

 

      Elle se leva. Appuyé sur le coude gauche, lui souriant, il la contemplait. Dans la clarté mauve du matin la silhouette de brune se détacha à contre jour en un gracieux profil sensuel qui disparut – Beaucoup trop vite ! – enveloppé par une soie blanche. «- Ma chérie ! Quelle splendide eau de Cologne de Bonnard ! » lui souffla-il.

 

     «- Mon joli cœur...Oh mieux que cela ! Une magnifique Origine du monde de Courbet.» s'esclaffa t'elle espiègle, lui faisant face en ouvrant sa robe de chambre. Puis riant aux anges, elle s'échappa vive, aérienne et divine vers la salle de bain.

 

     Juste avant de partir, elle lui jeta un coup d'œil : il s'était rendormi. Elle l'aspergea du parfum Nuit de la Saint Sylvestre, posa le flacon sur la tablette, lui souhaita dans un souffle « - Bonne année mon amour » et s'éclipsa.       

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