Nuit d'ivresse
vieufou
Jo sait qu'il ne devrait pas égorger ce clochard titubant qui retourne à son foyer de sans-abris en se tenant aux murs et en insultant le ciel et sa mère. Mais il a tellement faim. C'est plus fort que lui. Le vieux ne crie même pas. Jo plonge ses ongles tranchants dans les carotides, aveuglé par le jaillissement pourpre, arrache des lambeaux de chair de la dépouille qui tiédit déjà, boit longuement, voluptueusement, le sang du vieillard à même sa gorge crasseuse. La tête lui tourne. Le voilà ivre-mort. Ivre-mort-vivant ! Deux neurones encore connectés dans le peu qui lui reste de cervelle trouvent le jeu de mots plaisant. Soudain son corps toujours agrippé à sa victime s'agite de soubresauts. Le voilà mort-vivant de rire, maintenant !
Jo ne parvient plus à attraper aucune proie et finit la nuit dans un caniveau, à vomir une nouvelle fois tripes et boyaux. Pas seulement les siens.
C'est décidé, il ne touchera plus jamais une goutte d'alcool.
Il s'enfonce dans le petit jour après avoir remis ses organes à peu près en place, en émettant un gémissement qui pourrait sans doute passer pour un rire aux oreilles de quelqu'un d'aussi saoul ou d'aussi mort que lui. Mais ce matin pour une fois sa démarche titubante n'effraie personne.