#56

Cé Bé

Blabla, blabla...

Raconter ma vie pour rien, c'est pas mon truc. Je suis beaucoup trop pudique pour ça et je n'ai pas la prétention de croire qu'elle est assez intéressante pour vous la coller sous le nez. Mais là...


Je fais partie de ces gens qui pensent qu'on est utile à la société seulement quand on comprend qui on est et ce à quoi nous sommes destinés.


Pas de chance, depuis que je mâchouille une tutute, je suis destiné à être un artiste. J'aurais pu devenir plombier ou policier mais chaque millimètre carré de mon être se borne à vouloir créer, sublimer et imaginer.


Pas de chance ? Ouais, on va dire que c'est plus simple de lancer une pièce en espérant qu'elle retombe sur la tranche. On va dire que la majorité de vos potes vous encouragent à faire autre chose et on va dire que la société n'a pas vraiment le temps de s'occuper de ces petits êtres sensibles que sont les artistes.


Quand j'ai compris ce à quoi j'étais destiné, je me suis dit : t'es dans la merde bro', ta vie va se transformer en une longue et douloureuse complainte.


Fichtre ! Prenons le taureau par les cornes et balayons nos peurs comme un matador balaye la poussière de l'arène de sa sanglante muleta. Pour résumer : c'est pas parce que je suis un artiste que je ne peux pas gagner ma vie. Facile sur le papier... J'ai donc multiplié les projets, j'ai bossé tard, j'ai fait des boulots de saisonnier pour m'acheter du matériel, j'ai tout fait et encore aujourd'hui, je donne toute mon énergie pour rentabiliser mon art.


Bref, 2017 a été l'une des pires année qu'il m'a été donné de vivre mais aussi, une expérience sociale fascinante. J'ai vécu sous le seuil de pauvreté pendant plus d'un an ce qui m'a permis de constater à quel point tout peut changer. J'ai pu entrer dans les rouages les plus sombres du système comprenant ainsi comment certains peuvent tout perdre en un laps de temps record.


Attention, je ne parle pas de ces punks-à-chiens qu'on voit faire la manche et qui ont tout un tas de théories complotistes, anticapitalistes et anarchistes la semaine et qui retournent chez leur parents le week-end pour boire du coca et jouer à la playstation.


Je parle de ces gens assis par terre qui nous ressemblent et qui nous font peur... Ceux qui ont tout perdu, ceux qu'on a stigmatisés, rackettés par leur banques, dépouillés de leurs biens par des huissiers et contraint de vivre comme au moyen-âge. Ils nous dégoûtent, ils fouillent les poubelles et nous demandent de l'argent, ils sont sales et désespérés...


Inutile de vous donner le détail, les grandes lignes suffiront. Et LA grande ligne, c'est l'endettement. Une fois qu'on a mis le pied dedans, le trou se creuse chaque mois de plus en plus. Un tiers des français finissent le mois à découvert c'est pourquoi je ne pense pas me tromper en disant que beaucoup d'entre vous connaissent le problème.


J'ai miraculeusement échappé à deux expulsions, à l'interdit bancaire, à la saisie de mes biens, à la perte de mes droits sociaux et bien d'autres choses... Heureusement pour moi, Je suis très bien entouré. Ceux de mes proches à qui je me confiais n'y croyaient pas, mes amis, mes parents m'ont dit qu'ils n'auraient eux-mêmes pas supportés cette situation.


Vous pensez peut-être que me confier à vous me mets mal à l'aise? Pas tant que ça. Avoir une position sociale ou de l'argent n'a jamais été ma priorité. Le plus difficile pour moi a été de dépendre des autres à certains moments. Que je fasse le choix de vivre comme un artiste, c'est mon problème mais que mes proches en soient affectés, c'est pas cool. Ma liberté s'arrête ou commence celle des autres. C'est un principe simple et intelligent.


Blabla, blabla... J'en étais où ? Ah oui. Pas d'argent = plus de vie sociale. Nos amis nous font implicitement comprendre qu'on est plus le bienvenu dans leurs soirées, on dépense souvent de l'argent qu'on n'a pas pour sortir, pour « prendre l'air », on nous explique que c'est de notre faute, que l'argent ne tombe pas du ciel. Je ne juge personne, les gens se protègent, à tort ou à raison, peu importe, là n'est pas la question.


Une expérience fascinante, c'est certain. On se révèle au fond du trou, on comprend qui on est vraiment. Sans un mental d'acier, on sombre, dévoré morceau par morceau, dépassé par la situation. En cette fameuse année 2017, j'ai dû marcher avec une canne pendant un mois à force de passer toutes mes nuits à créer devant l'ordinateur et comme si tout cela ne suffisait pas, un ami proche s'est suicidé parce qu'il ne supportait plus la pression que lui infligeait la société des hommes... Paix à toi mon frère.


Un mental d'acier, oui.


Comment je fais pour rester zen ? Et bien, c'est assez simple en fait. Déjà, je suis quelqu'un de naturellement positif, une sorte d'imbécile heureux. Et puis, cette belle société qu'on a construit pour nous n'est qu'une ébauche de ce que nous pourrions être dans le futur. L'argent est une invention temporaire, tout ce que vous voyez autour de vous est factice, les réseaux sociaux, l'argent, la pub, notre position sociale, etc... Tout ça n'existe pas, c'est un château de sable qui sera emporté par les vagues du temps. L'homme est bien plus que ça. Il est l'animal qui a pris conscience de son environnement, qui le protège et le protégera, il est celui qui ira vivre sur d'autres planètes, c'est un être minuscule au potentiel illimité. Ce n'est pas mon avis, c'est ce qu'il va se passer de façon irrémédiable. L'humanité va doucement vers l'avant, vers le progrès, la connaissance et la sagesse, c'est une fatalité.


Du coup, mes agios... Et ben... J'm'en bats les couilles frère ! Chu un artiste !



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