Obsolescence humaine

Nathan Noirh

Le monde m'épuise. Les humains m'épuisent. Je fais partie de ceux qui préfèrent les animaux aux humains. Pas un défenseur farouche du droit des animaux, pas un militant végétarien et pas un anti-chasse. Je mange de la viande, des burgers et des côtes de bœuf. Et d'autres choses. Je préfère les animaux aux humains, non pas pour leur goût ou leur conversation intéressante, mais pour leur simplicité. Ils ont faim, ils mangent. Ils sont fatigués, ils dorment. Ils veulent un câlin, ils viennent vous voir. Rien de compliqué. Dans l'évolution de la vie, pour les croyants, les spirituels et autres scientifiques, l'humain tout comme ses prédécesseurs homo-sapiens, tend à évoluer vers un nouveau stade d'existence : l'être spirituel. L'homme qui sait, l'homme qui connaît, l'homme qui est sage. Mais là où tout le monde s'accorde à dire que l'homme évolue vers un être vivant supérieur n'est qu'une fabulation : l'homme est aujourd'hui davantage une machine qu'un être humain. L'être vivant qui était si proche de la nature et de la simplicité s'est tourné vers la complication et l'assouvissement du savoir. L'homme sait plus qu'il ne ressent. Si aujourd'hui je désire savoir si un restaurant est bon, je vais regarder les avis sur internet. Demander autour de moi. Je demande a tout le monde et aux travers de tous les moyens inimaginables pour ne négliger que le seul principal intéressé : moi. Moi, ma bouche et mon ventre. Nous sommes rendus à un point tel que l'information est devenu l'élément principal dans notre prise de décision primaire. On ne mange pas parce que l'on a faim, mais parce qu'il est l'heure. On ne dort pas parce que nous sommes fatigués, mais parce que demain il y a école. Gardes toi l'idée de penser que je suis un pro-hippie, pro-nature, anti-technologie et anti-évolution : je travaille dans une agence web. J'ai un smartphone, énormément d'applications, un Macbook, et des connaissances dans certaines applications techniques. Mais bordel je prends le temps de revenir sur mes pas pour revoir ce que je n'ai pas photographié. Je prends le temps d'écouter plutôt que d'enregistrer pour remettre à plus tard. On dirait qu'il n'y a plus de places aujourd'hui pour la spontanéité et l'envie soudaine. Improviser revient à enfreindre le planning social. Moi j'entends des bottes, des bottes, et encore des bottes.

Que je méprise avec violence la femme qui me demande si l'exposition d'art de samedi était belle, si elle était inspirante.
Que je méprise avec violence l'homme qui me demande si la nouvelle sauce aigre douce est bonne.
Que je méprise avec violence ceux qui prennent le temps de prendre leur portable pour regarder à travers un ensemble de verre et de fils électriques, un simple feu d'artifice.
C'est avec haine et agacement que je regarde tous ces "avis" sur internet.
C'est avec haine et agacement que je constate ces pères et ces mères qui sifflent à leur progéniture en voyage "comment vas tu faire sans portable ?"
Que j'exècre les Google Maps, les GPS, les données de localisations autorisées et le retargeting intempestif.
Que j'exècre la facilité, la rapidité, la connexion, la direction assistée et ordonnée.

S'il suffit de suivre des indications, des avis, des conseils, des directives, bon dieu qu'une simple moelle épinière vous suffirait tout à fait.

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