Occupation pré-matinale
mademoiselleh
Il est cinq heures du matin, lorsque le bruit de la pluie me sort de mon coma d’ivrogne, j’ai la gorge sèche, je tends le bras vers ce qui me sert de table de nuit, un vieux saut rouge à moitié défoncé. Dessus y sont posées mes clopes et ma fidèle bouteille de rouge, enfin ce qu’il en reste.
Le lit se met à grincer sous mon poids 95 kg pour 1m80 je suis un peu rondelet sur les hanches mais pas de quoi paniquer. Je tente d’en sortir sans réveiller la grosse, enfin ce qui me sert de femme. Je l’entends qui remue, qui renifle, elle change de position et se gratte l’entrejambe. J’ai envie de vomir, je retiens mon souffle durant plus d’une minute je sais que si elle se réveille maintenant, je serais de mauvaise humeur toute la journée.
Le réveil indique 05 : 00, je me suis levé deux heures trop tôt mais je sens que je ne me rendormirais pas. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai la sensation qu’il me faut être seul durant ces deux prochaines heures. Je ne sais pas ce que je vais en faire ni comment je vais les combler, ni à quoi je vais m’occuper mais je sais qu’il ne faut pas que la grosse se réveille.
S’il y a un Dieu ou une justice dans ce bas monde, son ronflement reprendra sa symphonie assourdissante ce qui signifiera que mes prières auront étaient entendue. Deux minutes plus tard, elle ronfle de plus belle : je pense que Dieu ne dort pas non plus et qu’il m’a à la bonne. Je m’allume une clope et me rince la bouche au rouge. La fenêtre est restée entrouverte, il pleut dans ma chambre, pas beaucoup mais assez pour que sous mes pieds, la moquette fasse un petit flottement humide entre mes orteils.
Le réveil indique 05:05 il me reste cent quinze minutes avant qu’il ne sonne 01:55 avant qu’il ne me faille me doucher, me raser, chier, pisser, manger, gueuler sur ma grosse pour une quelconque raison. Il me faut occuper le peu de temps qu’il me reste avant d’aller bosser, je m’occupe en général comme je peux souvent en buvant comme un trou dès le matin.
Mon rouge et mes clopes remplacent mon imaginaire jus d’orange fraîchement pressé et ma fictive tartine grillée. Ensuite sur le chemin du boulot je m’occupe en reluquant les petits culs des étudiantes dans le bus et dans le métro : ivrogne, obsédé, râleur, fornicateur, égoïste, menteur, radin.
Mes défauts occupent à eux seuls la place de mes qualités. Pourtant là je suis sage debout devant ma fenêtre ma clope au bec, ma bouteille dans la main et l’autre sur mes testicules. J’écoute et je regarde les goûtes de pluies tombées. J’ai envie de sauter. Non. Je ne sais pas. Peut-être, la tentation est là mais pas le besoin.
C’est dingue quand même cette idée de sauter dès qu’on se trouvedevant une rame de métro. On se dit allez quoi c’est pas la mort, tu n’as qu’un pas à faire et ta chienne de vie sera terminée. Ou encore quand le bus arrive à toute vitesse devant l’arrêt, là aussi y’en a plein qui doivent se dire si je fais un minuscule pas je me le prends en pleine tronche et finies les emmerdes. Y’en a qui l’ont fais, mais moi je suis trop lâche : j’aurais peur de survivre.
Le réveil indique 05:15 : plus que 01:45 soit cent cinq minutes avant qu’il ne sonne et m’embarque à nouveau dans cette sombre mascarade que l’on appelle la vie. Au pire la mort, au mieux l’ennui.
Je m’approche de ma grosse, je la bouge du cul doucement. J’ai envie d’elle, je bande. Je la retourne sur le dos, j’évite de regarder son visage, je sais que si mon regard se pose sur l’énorme poireau qu’elle a sur le pif, je sais que si je le vois je débanderais aussi sec. Je m’occupe d’elle doucement et là j’oublie qu’elle est grosse, j’oublie qu’elle est moche et qu’elle a un caractère de chiotte.
Là je l’aime et elle aussi elle m’aime autant je la déteste autant qu’elle me hait. Voilà que je bande de plus belle, je me masturbe doucement tout en la caressant avec sentiment et je me finis rapidement.
La lumière rouge clignotante du réveil indique 05 : 45 il ne me reste que soixante quinze petites minutes avant que ma vie ne reprenne son train train quotidien. Entre maintenant et ce matin il m’aura été donné de jouir de l’imprévue de cette pré-matinée. Je retourne devant ma fenêtre restée ouverte, mes pieds retrouvent leur place dans cette micro flaque qui imbibe ma moquette.
Je rebois au goulot, le goût froid et métallique du vin frappa mon palais.Je titube légèrement mon esprit vagabonde, je rêve d’être ailleurs, pas très loin d’ici histoire de garder un œil sur ma grosse, mais assez loin pour avoir l’impression d’être seul au monde enfin presque, j’aurais toujours ma grosse dans un coin de mon œil. Plus que soixante minutes avant le lever du rideau j’ai l’impression d’être debout depuis des jours.
Je tente de garder les yeux ouverts, j’ai l’impression d’être sur un bateau qui tangue, je sens le vent qui se lève, la pluie redouble de force, mes pieds et mon visage sont trempés. Je bois un coup de rouge. Je sens sous mon marcel blanc mon cœur qui bat de peur, je manque de souffle ma main prend feu, je sens mon sang taper contre mes tempes, j’ai une bille qui remonte une bille métallique et renversante. Il pleut encore plus fort les rideaux sont trempés et moi aussi mais je n’ai pas froid ou peut-être bien que si, je ne sais pas, je ne sais plus. Je crois que mon vin est bouchonné, non impossible c’est de la piquette elle peut pas être bouchonnée ma piquette, si ma piquette commence à être bouchonnée alors mais où va t-on ? Le monde part en vrille et ma piquette est bouchonnée !
Non impossible je sens des gouttes de sueurs sur mon front, mon torse, mes aisselles, j’ai chaud. Je transpire. Je commence à paniquer. J’étouffe. Je tremble devant ma fenêtre, devant le monde entier ça ne peut pas être vrai, je sais que ça ne peut pas être la réalité ma grosse va se réveiller, le réveil va finir par sonner, je vais me lever et m’occuper comme je fais d’habitude depuis trente ans. J’ouvre les yeux ….
Je me suis endormi et me suis mis à rêver debout, ma bouteille est toujours dans ma main, ma grosse est toujours dans mon lit. Mon réveil indique 06 : 57, trois minutes avant que tout s’arrête et que tout ne recommence.
Trois minutes c’est cent soixante secondes je reprends ma respirationmon cœur bat trop vite dehors au loin le soleil commence à se lever, la pluie diminue je sens la fraîcheur de la brise sur mes poils qui se hérissent, mon cerveau se remet en marche tout doucement j’occupe mon esprit à fixer un point au loin, je me concentre, je sens mon corps flotter mes pieds sont secs maintenant le réveil indique 06 : 59.
Je me retourne vers ma grosse une dernière fois, je pose mes yeux sur son corps qui se soulève au gré de ses ronflements, j’ai envie de la rejoindre sous les draps et de la serrer dans mes bras. Mais une force invisible m’en empêche je tente de résister, je crie de toutes mes forces mais aucun son ne sort de mes poumons. J’ai peur, j’ai froid, je sers ma bouteille de rouge dans ma main, elle a disparu, je panique. Je regarde l’écran du réveil, les points lumineux clignotent telle la menace d’une bombe à retardement ; trop tard.
07:00
Colette se réveille en sursaut comme chaque matin, elle sent qu’il est revenu comme chaque nuit, il était là avec elle. Elle le sent sur son corps, son odeur flotte dans l’air. Elle sait qu’elle n’est pas folle, comme le disent ses amies du bridge, elle sait que son mari Jo mort depuis cinq ans la hante depuis cette nuit où il s’est jeté par la fenêtre, une nuit de grand orage comme celle de maintenant. Il occupe leur chambre comme s’il n’était pas mort comme s’il ne le savait pas. Elle le sent auprès d’elle encore et encore, nuit après nuit, il occupe ce lit qu’ils ont partagé durant plus de trente ans. Son coté à lui est défait, comme chaque nuit la fenêtre est grande ouverte.
Au début les premières nuits elle pensait avoir rêvé, elle pensait que la perte de son Jo lui jouait des tours, et puis une nuit elle ne s’est pas endormie, elle faisait juste semblant et même si elle ne l’a pas vu elle l’a senti durant deux heures rôder dans leur chambre. Il était là auprès d’elle.
Elle l’a sentie lorsqu’il s’est approché d’elle et a commencé à la caresser amoureusement elle a joui d’amour, pas longtemps mais assez pour la faire pleurer. Mais elle a retenue ses sanglots, elle a continué à faire semblant. Elle mourrait d’envie de cesser cette comédie et de le prendre dans ses bras et de lui dire à quel point elle l’aimait, mais elle a eu peur, peur qu’il s’en aille, qu’il la quitte pour toujours cette fois, alors elle n’a rien fait, elle n’a pas bougé son esprit bouillonné de mille et une pensées. Elle se sentait belle de nouveau même si elle savait qu’il n’aimait ni son corps ni son visage. Il avait le don de la rendre belle par ses baisers et ses caresses, elle savait qu’il l’aimait même quand il lui criait dessus souvent pour rien. Il pouvait se montrer grossier il était avare, égoïste, menteur, alcoolique, invétéré, mais elle l’aimait et ce depuis plus de trente ans.
Depuis qu’il est parti elle n’a rien changé dans la chambre, elle a laissé à contre cœur son immonde saut rouge avec dessus son paquet et sa fidèle bouteille de rouge, et comme chaque matin depuis cette nuit elle retrouve le tout vide à coté de la fenêtre. Elle n’a pas peur elle sait qu’elle n’est pas folle.
Non elle n’est pas folle, elle ne l’a jamais été. Son Jo était là avec elle, son gros comme elle le surnomme ne l’a pas abandonné, il vient l’aimer chaque nuit depuis cinq ans elle le sait, elle le sent. Il occupe toujours sa vie, il occupe toujours son corps, il occupe toujours son cœur. Elle a hâte d’être à ce soir où quand elle s’endormira il reviendra la voir encore. Elle doit juste bien occuper sa journée pour qu’elle passe plus vite. Elle quitte la chambre et sur le seuil elle jette un regard en priant comme chaque matin pour qu’il soit encore là cette nuit.
Super Mademoiselle! J'ai adoré votre texte.
· Il y a presque 14 ans ·lapoisse
Bienvenu(e), j'ai bien aimé votre texte.
· Il y a presque 14 ans ·yl5