Ombres stagnantes

zac-emen

Chapitre B

Léo était dans son appartement, déprimé, comme d'habitude. Il avait l'impression de devenir fou car il se croyait hanté par un esprit malveillant. Il ne sortait plus de chez lui, se nourrissait peu. L'énergie vitale de son corps semblait aspirée par un coin sombre de sa chambre dans lequel une obscurité sans nom l'observait dormir avec perversité. Tout commença il y a un an. Léo était étudiant en informatique. Presque comme un stéréotype, Léo était peu sociable, manquait de confiance en lui et passait ses journées à avaler toute sorte de contenus sur la toile. Celle-ci constituait pour lui un eldorado contenant tout ce qui lui manquait au monde. Face à sa solitude et son manque de relations sociales, il regardait à répétition tous les épisodes de Friends. Face à son manque d'amour et de présence féminine, il se masturbait devant xHamster. Pour se divertir, il jouait aux Sims, pouvant ainsi rêver d'être le héros citadin qu'il n'était pas et que les Hommes aspirent à être. Une nuit, alors qu'il travaillait sur son mémoire de philosophie digitale, il entendit un bruit métallique, comme une vis qui serait tombée sur une plaque d'égout. N'ayant ni plaque d'égout, ni vis, il n'en fit pas attention. Le bruit se répéta plusieurs fois, si bien que Léo se leva, alluma la lumière et se mit à inspecter un des coins duquel le bruit semblait provenir.  Mais rien ne se passa et il ne remarqua rien d'inhabituel. Cependant, les jours passaient et la nuit, le bruit se répétait inlassablement, et toujours quand il ne s'y attendait pas. Une nuit, il resta assis devant ce coin d'où semblait provenir l'objet de ses hallucinations. Il attendit jusqu'au petit matin en vain.

Quand il retourna se coucher, le sommeil lui vint rapidement mais son esprit était encore éveillé et légèrement angoissé. Il se produisit alors la chose la plus effrayante qui lui soit donné d'expérimenter. Allongé dans le noir, les yeux clos, son esprit était au stade ou, moitié réveillé, moitié endormi, il matérialise les dernières pensées du rêveur pour les transformer en réalité imagée. A ce moment, une pression exercée sur le haut de son corps le réveilla brutalement. Il ne pouvait plus bouger, il était paralysé. Il aurait appelé à l'aide s'il avait pu ouvrir la bouche et aurait volontiers versé des larmes si ses yeux avaient pu s'ouvrir. Mais tout ce qu'il pouvait faire, c'était de subir ce corps immatériel qui le maintenait immobile. Il entendit une voix qui lui susurrait un charabia indescriptible à l'oreille. Il sentit quelque chose –une bouche ?- se poser sur la sienne et sa mâchoire fit un effort totalement indépendant de sa volonté pour s'ouvrir et accueillir un courant d'air qui tentait de rentrer en force par sa gorge. Léo fixa alors sa volonté sur une idée fixe, garder sa bouche fermée sous peine de connaître quelque chose d'abominable. Il avait l'impression de se faire violer. Et tout d'un coup, la pression se relâcha et il fut de nouveau libre de ses mouvements. Il se leva et courut alors jusqu'à sa salle de bain et vomit son plat de la veille : des pâtes instantanées lyophilisées. Il s'assit sur sa cuvette et tremblant de tous ses membres, tenta de rationnaliser ces événements plus que troublant. Qu'est-ce que c'était ? Qu'est-ce qui cloche chez moi ? se dit-il. Il avait l'impression d'être l'acteur principal d'un film d'horreur. Toute la journée suivante, il restait dans l'expectative de la nuit qui arrivera. Il avait peur de chaque bruit, de chaque ombre qu'il n'arrivait pas à identifier. Il redoutait par-dessus tout l'arrivée de la présence. La nuit arriva et la même scène se joua.

Le manque de sommeil lui donnait l'impression d'être ivre. Et l'expérience se reproduisait chaque nuit, toujours de la même façon : le poids sur son corps tétanisant chacun de ses muscles, la voix susurrant des vers inaudibles, et ce baiser du diable qui se concluait par un réveil inespéré. Léo avait de plus en plus peur et voulait appeler sa mère à la rescousse comme un enfant effrayé par le noir. Mais sa mère était paralysée des deux jambes et vivait dans son fauteuil, devant une télé, dans une maison de retraite. Il voulut en parler à ses amis, mais l'aurait-il cru ou pris pour un fou ? Se voir confirmer sa théorie selon laquelle il perdait tous ses boulons lui faisait autant peur que l'obscurité anciennement familière et maintenant redoutée. Sa paralysie nocturne ne se reproduisait cependant pas toutes les nuits. Nuits qu'il passait devant son écran pour repoussé au maximum l'heure du coucher, il faisait des recherches. Il trouva des quantités d'informations sur ses symptômes dans des forums dédiée à la consommation de plantes hallucinogènes. Il en trouva d'autres sur des sites satiriques qui évoquaient un envoutement, une possession. Il cliqua sur des publicités pour des marabous désenvouteurs qui promettait Amour, Travail, Sexe et Liberté, contre une somme variable en fonction de la gravité des symptômes. Il se fit faire un devis gratuit par Eddy Malou, économiste congolais specialiste d'une science qu'il avait inventé et dénommé « La congotextualisation des rapports forcés entre l'homme, l'animal et les fantômes de ses ancêtres ». Séduit par ses longues années d' expériences et la liste exhaustive de ses clients parmi lesquels des avocats, des médecins, des banquiers et même des poètes africains.  Mais le résultat était bien au-delà de son budget.

Il se rattrapa alors sur d'autres sites, dont un nommé Le Trygone, qui relatait d'étranges histoires de meurtres, de disparitions et de toilettes bouchées au Vatican. Un de leurs articles se prénommait  « Vendre son âme au Diable : mode d'emploi » et un autre « L'exorcisme en 5 minutes chronos ». Il cliqua sur ce dernier et le contenu qu'il y lu paru aussi absurde que la situation dans laquelle il se trouvait. En gros, l'auteur de cet article décrivait une méthode consistant à avoir une alimentation saine, faire de l'exercice, se cultiver au cinéma, au théatre ou au musée et, en dernier lieu, à s'adresser tous les soirs avant de s'endormir à son harceleur éthéré, vêtu d'un déguisement de sorcier Tolkien en prononçant la formule suivante : « Vous, ne Passerez Pas ! » La dernière étape consistant à frapper le sol avec un bâton. Léo n'eut pas pris cet article au sérieux si ce n'était l'incroyable masse de commentaires d'internautes commentant les bienfaits de la méthode. Un débat houleux avait d'ailleurs lieu en bas de page entre les détracteurs de la méthode qu'ils qualifiaient de « foutage de gueule » et ses défendeurs qui détaillaient point par point la validité de l'incantation, aussi bizarre soit-elle. Leur argumentaire reposait sur l'idée que le « démon » ou fantôme (les opinions divergeaient beaucoup sur sa vraie nature) se nourrissait de l'énergie vitale de personnes sensibles, fragiles et solitaires. Léo se reconnaissait dans ces descriptions et choisit d'appliquer cette méthode, bien que pour lui, il n'y avait pas de doute, l'auteur de l'article avait rédigé son texte par amour de la dérision, mais il s'avérait que cette blague était très efficace.

Ainsi, après sa désormais traditionnelle passe d'amour avec les fantômes, Léo se leva, pris son vélo, et alla au marché à prix unique. Il revint avec des pommes de terre, des haricots verts, des brocolis, des bananes, des ananas, des œufs, du lait, du beurre et du miel d'acacias. Il passa chez le boulanger et s'inscrit à la tournée qu'il proposait pour déposer du pain tous les matins à son domicile. En rentrant, il lança des tutoriels vidéos sur comment cuisiner un bon bouillon de légumes et se fit une soupe trop salé et trop liquide, n'ayant ni les instruments ni l'expérience d'un bon apprenti chef cuisinier. L'après-midi, il se rendit au cinéma pour voir une comédie de Woody Allen qui le fît pleurer et partit voir ensuite le spectacle de Dieudonné devant lequel il s'endormit. Après ça, il alla dans un magasin de Farces et Attrapes et s'acheta le costume complet de Gandalf, du seigneur des anneaux. A la caisse, le vendeur voulu engager la conversation avec lui. «  Vous vous rendez à un bal costumé ? » Léo, l'esprit troublé par ses insomnies lui répondu : « Non, c'est juste pour un exorcisme » et laissa le vendeur totalement abasourdi. Le soir venu, vêtu d'une cape grise, d'une fausse barbe blanche, d'un chapeau à bout pointu et d'un bâton en plastique, tout tremblant, il se tourna vers le coin d'où il avait entendu le bruit métallique la première nuit, et , tapant le sol de son bâton à chaque syllabe, prononça la formule secrète de Trygone.fr : «  Vous, Ne, Passerez, PAAAAASSSS ». Il prononça sa formule une dizaine de fois. Mais rien ne se produisit. Doutant de la méthode, il se coucha, voulant être fixé sur l'utilité de sa démarche. Mais la présence revint. Cependant, l'emprise qu'elle exerça sur Léo était moins féroce. Léo sentait qu'il pouvait lutter pour libérer ses membres et parvenait à garder ses lèvres closes quand le souffle voulait rentrer en lui. Et chaque jour, il répétait son schéma d'auto-défense face à l'Inconnu, et chaque jour, il gagnait en force sur la bête. Il sentait ses voisins gênés par ses exclamations poussées après le souper mais aucun ne vient frapper à sa porte. Chaque nouveau jour, il continua si bien que, grâce à son alimentation saine, son teint s'améliora. Il retrouva de l'énergie et cette victoire sur la Bête Immonde venait nourrir chaque jour sa force intérieure. Il continua si bien qu'un beau matin, il se réveilla avec l'impression délicieuse d'avoir dormi plusieurs jours d'affilé. Il se leva, s'habilla, ouvrit ses volets, écouta la radio et se mît à danser. Il fût interrompu par un appel de son banquier lui signifiant qu'il devait régulariser son découvert au plus vite. Le nouveau mode de vie de Léo se révélait en effet bien couteux et étant inemployé malgré sa prodigieuse carrière de stagiaire, il devait y mettre fin. Il refermait alors ses volets et replongea dans l'immensité de la toile, espérant de tout son cœur que la Bête ne reviendrait jamais. Le lendemain, le surlendemain et tous les jours qui suivirent, il dormit excellemment bien, et ses hantises ne furent bientôt qu'un mauvais souvenir paraissant irréel, comme s'il les avait rêvés.   

….

Le soleil se couchait mais les volets clos, Léo ne voyait quasiment jamais la lumière du jour. Pourtant en parfaite santé, la lumière émanant de la cyber toile rendirent ses yeux cernés et son teint blafard, gommant ainsi l'époque ou le vent et le soleil avaient forgé son teint  boisé.  Il sort de temps en temps en vélo,  pour s'acheter à manger et lire des journaux à la bibliothèque, afin de rester informé de ce qui se passe dans le monde extérieur et pour reposer ses yeux à la lumière naturelle. Le malaise l'assaille de nouveau cependant très vite. L'obscurité de son appartement l'appelle et ses escapades ne durent jamais très longtemps. Ses amis, il ne les voit que très peu. Si bien qu'ils oublient parfois qu'il existe et l'invitent de moins en moins. S'il n'y avait pas ses quelques actualisations de statuts sur les réseaux sociaux, ils l'auraient probablement effacé de leur mémoire. Mais ce n'était pas la solitude qui rendait Léo triste. Ça, il s'en accommodait bien. Non, ce qui le rendait triste, c'était l'amour. Il avait rencontré le sien quelques temps auparavant, alors qu'il rentrait de chez le marchand de journaux. Il l'avait aperçu de loin, emmitouflée dans un manteau de velours beige, à mesure qu'il approchait, il découvrit sa chevelure blonde soyeuse et son regard ne pu rien apercevoir d'autre. Quand il l'a dépassa par la droite, il n'avait qu'une envie, voir son visage. Mais il ne vu rien, pas même l'arbre dans lequel il fonçait et qui bordait le trottoir. Il s'était alors étalé magistralement dans une chute digne des plus mauvaises comédies d'Adam Sandler. Il se releva en hâte, son genoux saignait, mais la douleur il ne la ressentait pas. Ses pensées avaient gardé le même objectif, apercevoir le visage de cette jeune fille. Mais elle le dépassa, sans même lui adresser un geste de sollicitude quant à sa chute, sans faire attention à lui, alors qu'il s'était vautré presque à ses pieds. Elle esquissa seulement un changement de trajectoire pour ne pas interrompre le rythme de sa marche. Léo la regarda s'éloigner et, honteux, ramassa son vélo. Le hasard voulu que cette rencontre fortuite se renouvela à peine cinq minutes plus tard. Léo entrait dans son hall d'immeuble et la trouva là, farfouillant dans son courrier. Ils habitaient le même immeuble. Son cœur s'arrêta de battre, submergé par le bonheur et la honte de la retrouver si vite. De nouveau, elle n'esquissa pas un regard dans sa direction, mais qu'importe pour Léo car il pouvait alors profiter de la contemplation de ses lèvres soulignées de rouge, de ses yeux bleus, de son regard trahissant une indifférence certaine et dont l'origine lui était inconnue. Aubaine du destin, le courrier, dans l'immeuble de Léo, arrivait dans une boîte aux lettres communes et tous les résidents devaient piocher dans une liasse immense les lettres qui leur étaient destinés. Prenant son courage à deux mains, il engagea la conversation avec elle, du moins il tenta, car elle ne lui répondit rien. Pas même quand il tenta de lui décrocher un sourire en lui affirmant que d'habitude, il était un as de la bicyclette mais elle ne sourit même pas, se contentant d'un signe de tête pour montrer qu'elle avait entendu, ou simplement pour donner un peu d'air à son cou, étranglé par une écharpe de soie grise. Léo pris son courrier et s'empressa de la suivre dans les escaliers. Il voulait savoir à quelle étage elle logeait, il voulait capter peut être un ultime regard de sa part lorsqu'il lui souhaiterait « bonsoir » mais tout ce qu'il récolta, ce fut la vision de ses fesses à quelques hauteurs devant lui dans cette escalier qui les menaient jusqu'au 6ème étage et son parfum –quel parfum !- qu'elle laissait derrière elle. Ce qui constituait un amer mais non moins fruité lot de consolation.

Dans l'escalier, le vélo pesait lourd et Léo n'était pas franchement un sportif digne de ce nom. Ses jambes pesaient à chaque marche et il fût vite distancé par sa belle. Au 6ème et dernier étage, cependant, il la vit entrer dans le premier des appartements qui se présentaient et pu ainsi marquer avec son cœur l'emplacement de sa désormais bien aimée.

Dans la vie, Léo n'avait jamais eu de chance avec les filles. Son physique, quoique pouvant paraître plaisant aux yeux de profanes, n'était pas franchement ce que l'on pouvait appeler comme étant remarquable. Remarquable par la qualité et par l'impression qu'il laisse à ceux qui le contemplent. Il était plutôt petit, le dos légèrement voûté, son teint était blafard et ses yeux cernés, sauf quand il prenait le soleil, dont les éclats tartinait leur miel sur sa peau, la rendant exceptionnellement mat et rehaussant la beauté du vert coincé dans les rayures noisettes de ses yeux. Ce qui lui faisait principalement défaut, c'était avant tout son côté négligé. Il ne se rasait que très peu, n'achetait que peu souvent des vêtements et gardait les siens jusqu'à l'usure ou jusqu'à ce que leur odeur deviennent trop incommodante pour lui,  ce qui était déjà bien au-delà de ce que l'humain civilisé pouvait supporter. Toute sa vie, il avait couru après des filles. Des brunes, blondes, rousses, parfois avec succès mais c'était rare, et à chaque fois, elles se lassaient vite de son caractère taciturne, de ses réflexions étranges et de la distance qu'il mettait entre elles et lui et qu'il s'imposait par humilité et idéalisme face à la gente féminine. Avant de rencontrer sa belle blonde, son cœur était devenu sec. Il n'avait pas aimé depuis plusieurs années et se consolait en compensant par une alimentation surélevée en contenus vidéo sur la toile.

De retour dans son appartement, Léo ouvrit les volets, habituellement clos, de jour comme de nuit, afin de laisser entrer un peu d'air et  dans l'espoir que le vent lui apporte une nouvelle fois la fragrance de ce parfum entêtant. Tout ce qu'il récolta, cependant, ce fût un son. Fin et dangereux comme une aiguille, la sonorité d'un solo de clarinette résonnait chez lui et dans la cour sur laquelle donnait sa fenêtre. Il ne l'avait jamais entendu, pensa t-il au début. Il s'installa sur son canapé-lit, ferma les yeux et laissant son cœur et son corps profiter de ce solo acoustique semblant presque irréel et qui rendait sa mélancolie amoureuse presque délectable. Après plusieurs minutes, il voulut identifier sa provenance. Il passa la tête par la fenêtre, mais la cour, totalement fermée, résonnait toute entière de cette symphonie mystique. Le son lui semblait malgré tout proche et se dirigeait droit vers son cœur en passant par les oreilles. Se pourrait-il que.. ? se demanda t-il. Il ouvrit la porte de son appartement et entra dans le couloir. Oui, le son venait de cet étage. Il marcha vers sa provenance, ou l'écho se faisait le plus fort, et son cœur battait la chamade tandis qu'il se rapprochait du premier appartement de l'étage. Là, faisant face à la porte en bois, il s'imagina que celle qu'il venait de rencontrer et qu'il aimait déjà d'un amour fou, jouait pour lui. Son cœur fondant sous l'émotion, il versa une larme. Du bruit dans l'escalier le ramena à la réalité et, ne voulant pas être découvert et passer pour un obscur pervers par ses autres voisins, il retourna chez lui, le cœur sur un nuage.

Léo, malgré cet amour nouveau, ne changea pas son quotidien. A la différence qu'il maintenait désormais ses fenêtres ouvertes, malgré le froid, dans l'espoir de capter tout nouveau bruit de clarinette, ce qui n'arrivait qu'une fois par jour, peu de temps avant que le soleil se couche. Il restait alors avachit sur le rebord de la fenêtre, l'âme bercée par cette sérénade, et prenait plaisir à contempler la cour et son jardin en contrebas, les corbeaux, merles et pigeons qui assistaient eux aussi au concert, et les chats, se mouvant de toits en toits insensibles à la beauté qu'il écoutait et que son cœur par-dessus tout chérissait.  Il prit la résolution de lui parler, de lui déclarer sa flamme. Il lut Dom Juan et se résolut à lui offrir une rose accompagné d'un mot doux. Léo, à force de lectures médiocres, n'avait pas la plume facile. Il ne put romancer le langage brut de son cœur et écrivit quelques vers insipides résumés dans la note suivante : « je ne connais rien de vous, et vous rien de moi. Pourtant je vous aime et souhaiterait, si vous me le permettez, vous inviter à dîner. Signé votre voisin du 26 ». Il scotcha une rose au message écrit sur une carte qu'il parfuma avec le fond de son déodorant Axe, sonna à sa porte et partit se réfugier chez lui. Il entendit la porte s'ouvrir, puis se refermer quelques secondes après. Il attendit, le cœur battant, mais il ne distingua aucun son dans le couloir. Il attendit de nouveau toute la journée, et toute la semaine, n'osant pas rééditer son exploit. Déçu, dégoutté et voulant mourir, Il voulu s'excuser d'avoir importuné sa bien aimée. Il  sonna chez elle, espérant la trouver et se voir gratifier d'un innocent « Bonjour » ou « Aurevoir » qui aurait égayé sa journée, sa nuit et son âme mais elle n'ouvrit même pas. Il entendit de nouveau le son de la clarinette qui jouait et vibrait dans tout l'immeuble. Léo, abattu, se retourna alors vers son appartement, dans l'obscurité et n'en sortit pas pendant des jours.

Le démon n'avait pas refait son apparition depuis qu'il s'était désenvouté grâce aux formules de Tolkien dans le seigneur des anneaux. Il apprit certaines des répliques de Gandalf par cœur et se les récitait tous les soirs avant de s'endormir. Une nuit, qu'il regardait pour la énième fois la trilogie de Bilbon le Hobbit, il entendit frapper à sa porte. C'était de petits tapotements, comme si une souris, du bon de son nez, tâtait la résistance du bois avant d'y faire un trou. La hantise du retour du démon le bloqua alors. Il ne put ouvrir, trop effrayé de ce qu'il pourrait y trouver. Le lendemain, une fois le jour levé, il ouvrit la porte et trouva sur le paillasson un pétale de rose. « Se pourrait-il ? » se dit-il, mais il n'osa le croire. Presque un mois plus tard, la scène se répéta. Il n'ouvrit pas la porte de nouveau et le lendemain, un nouveau pétale avait éclos sur le pas de sa porte.

Le mois suivant, le tapotement de souris se renouvela. Prenant son courage à deux mains, il ouvrit la porte, et en fut ébahit. Il reconnu tout de suite la personne qui se trouvait derrière, c'était la clarinettiste, oui, c'était elle, sa Muse. Elle se tenait sur le pas de sa porte, le fixant de ses énigmatiques yeux bleus, un pétale de rose à la bouche et la main qui grattait la porte encore levé. Son autre main reposait sur son cœur. Elle était encore plus belle que dans son souvenir. Il la zieuta de haut en bas et de bas en haut. Vêtue d'une chemisette de nuit bleue, il pouvait apercevoir ses épaules nues, son cou fragile, les courbes de ses seins généreux, l'étoffe soyeuse de sa chemise s'ouvrant vers des jambes gracieuses et blanches et de petits pieds nues d'enfant. Il remonta à son visage, elle le fixait avec attention, les yeux azurs témoignant d'une attente fébrile. C'était comme un rêve et elle était un ange. C'est elle qui entra. Elle déposa la rose sur ses propres lèvres par un baiser, referma la porte et d'un geste expert, ôta sa chemise qu'elle déposa comme une fleur sur une chaise, tout en lui tournant le dos et se dirigeant vers son canapé-lit. Il partit à sa suite, vibrant intérieurement et remerciant mille fois la destinée et la vie pour lui permettre de vivre ce qui suivra. Elle s'approcha de nouveau vers lui et lui ôta tous ses vêtements, l'allongea et grimpa sur lui, sans dire un mot. Ils chevauchèrent ensemble ainsi durant plusieurs heures. Elle était une source intarissable et léo se délectait dans l'amour du goût salé de sa peau, de la douceur de ses seins, la dureté de ses tétons dans sa bouche et ses lèvres, des lèvres de princesses autrichiennes au goût de lavande. Il s'endormit de fatigue alors, et la belle, dont il ne connaissait toujours pas le nom, s'allongea à ses côtés et lui fît enfin entendre le son de sa voix par des mots doux susurrés à son oreille.

« Aimez-moi, doux prince. Prenez-moi jusqu'aux limites de la vie. Ne vivez que pour m'embrasser et goûter mon miel. Faites-moi l'amour comme si j'étais la seule femme sur Terre. Je me nomme Démone. Aimez-moi, doux prince, et ensemble glissons à jamais dans notre rêve éveillé »

Ces mots, il les connaissait, les avait entendu maintes fois, sans jamais avoir pu les déchiffrer. Ils prenaient désormais tout leur sens. Elle lui dit son nom : Démone. Lui promettait mille ans de plaisir à la condition qu'il l'aimât et ne la quitte point. L'euphorie de l'acte d'amour lui permit de réaliser sans s'effrayer que le démon qui le hantait toutes ses nuits était elle-même. Fou de désir et de fatigue, il s'endormit s'en penser à rien.   

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