On floute pour flirter, comme on ment pour retenir
Alice Neixen
- "Dis, Alice, tu as quelqu'un dans ta vie?
- Comment ça ?
Il faut toujours que l'on s'abstienne de prendre des risques, et qu'on lance des subtilités plutôt que d'encaisser la question et d'assumer la réponse. On prend des tournants, des tangentes, des parallèles, des voies en travaux. Tout plutôt que la ligne droite. On abuse d'adverbes, de conditions, d'allusions et de non-dits. On floute pour flirter, comme on ment pour retenir.
- Bah, quelqu'un qui partage ta vie, quoi.
Quelqu'un qui dort dans mon lit, quoi. Contre mon corps, quoi.
Quelqu'un qui surprend mon premier sourire, celui qu'on réserve à ceux qui ont les clés de notre cœur accrochées au leur.
Ça, quoi.
J'ai réfléchi, très vite, à ce que je pourrais dire, omettre, passer sous silence et révéler. J'ai rien trouvé. J'ai vite calculé, ce garçon aux yeux bleus qui dort entre mes draps, depuis combien de nuits, déjà ? J'ai pas trouvé.Un flash avec son corps, ce matin. Surtout pas ça. Ne pas dessiner ses contours, ne pas imaginer sa chaleur, sa douceur, son odeur. Ne pas penser à sa voix qui vibre, à ses sourires qui me déciment, à son corps qui se déhanche. Rester vague, dans une distance que j'ai déjà perdu, pour ne pas parler d'amour.
Les secondes passent, et tous les anges supposés les traverser vont y passer aussi. Peut-être qu'après ça va être mon tour, dans ces secondes écartelées par sa question qui n'a rien d'innocent, pas plus que le temps que je perds à essayer de le gagner. Je le regarde et je me dis à cet instant que tout l'enfer du monde tient précisément dans les silences qui sont des aveux. Je me dis aussi que je suis grotesque de penser à ça, là tout de suite. Que j'ai une façon bien curieuse de gérer cette situation alors que je suis assise sur une mine. Une mine attirante au profil d'un garçon irrésistiblement sexy, aux yeux qui menacent et retiennent en simultané, et me prend l'envie folle de lui répondre que non.
Je me dis que je suis bizarre de me parler autant alors que c'est lui qui attend une réponse. Que les mots, c'est bien beau, mais que ça sert à rien quand on a vraiment besoin.
J'ai envie de lui dire qu'il pourrait prendre sa place, remplir le vide, récolter mes cauchemars et distiller mes rêves.
Tu pourrais me sourire, et m'aimer pour trois, lui, toi et moi. Tu pourrais me garder dans tes bras pour un brin d'éternité, au moins aujourd'hui et demain.
Tu pourrais bien me faire un enfant avec des yeux d'amoureux.
Ça n'a pas duré plus d'une minute, j'ai pensé non très fort.
- Oui."