On ne fait pas l'amour. On l'invente.

Rosanne Mathot

L'amour, c'est comme un château : faut avoir les bonnes cartes, avoir lu Kafka et surtout, il faut disposer d'une bonne connection Internet.

Debout sur la table, une main sur la hanche, l'enfant réclame d'emblée un urinoir. En japonais. Ce qui ne manque pas d'engendrer un tumulte de murmures surpris et de haussements de sourcils interrogatifs, de la part de l'assemblée tranquillement occupée, jusqu'à alors, à boire sa bière dans le joli printemps bruxellois qui rayonne sur la terrasse. 


Par une mimique éminemment expressive, l'accompagnatrice du gamin incontinent, Aphrodite, fait comprendre au patron de café que l'affaire est très franchement urgente, s'il ne veut pas, sous peu, avoir à faire barboter ses clients dans le tourbillon doré d'une valse de serpillières. 


En attendant l'arrivée du providentiel urinoir, d'un geste assuré, Aphrodite a fourré une dizaine de gaufres dans la culotte du marmot, histoire de colmater vaguement les fuites qui menacent déjà d'inonder le café tout entier. 


De fait, le petit ket a beau ne mesurer que 46 cm au garrot, sa vessie a l'inépuisable contenance et l'infinie puissance gracieuse des geysers. Le gamin japonais n'y est pas pour grand-chose, faut bien le dire : de toute éternité, il a toujours fait pipi, comme on respire, sans intermittence et surtout, sans même avoir à y penser. (1)


Parfois, le garçonnet tente bien de se contenir, mais, maintenant que son coeur bat la chamade à l'idée de rencontrer enfin sa dulcinée belge, Jeanneke - dulcinée qu'Aphrodite lui a dégottée, via les réseaux sociaux - l'affaire est loin de s'arranger. L'incontinence, c'est un peu comme l'amour : on n'a pas toujours le temps de prendre toutes ses dispositions avant qu'il ne vous inonde le coeur. 


Aphrodite et le gamin s'en reviennent de la plage de Knokke, après un étonnant voyage via Tokyo et Lusaka. Ils ont tous deux le nombril ensablé et les joues roses d'avoir été frictionnées aux quatre vents du monde. De Zambie, la femme a ramené un pot de miel. Du miel de savane, qui évoque le foin et les gazelles. Par intermittence, elle y trempe un doigt, avant de le lécher. Et alors, façon soleil prodigieux, c'est toute la beauté ocre de la lumière africaine qui lui éclaire le sourire. 


Sur sa déclaration de revenus, dans la case « profession », Aphrodite a noté qu'elle était (sic) « dragueuse professionnelle ». Sur les sites de rencontre, elle séduit pour les autres, en se glissant virtuellement dans leur peau.(2)


Depuis quelques semaines, elle charme pour toute la ville de Tokyo, et en particulier, pour le jeune garçon qui l'accompagne. (3) 


De sa mallette, elle sort un ordinateur qu'elle connecte aussi sec au réseau wifi « CaféGeyser2.0 ». D'un clic enthousiaste, elle ouvre une de ses douze messageries instantanées. Jeanneke-Pis a répondu : une enveloppe rose clignote avec gaité. C'est très bon signe. Aphrodite affiche la missive : Jeanneke donne rendez-vous à son amoureux japonais, à 19h30, ce soir, sur la Grand-Place. Bingo : l'affaire est dans le sac !

 

C'est ainsi qu'on fabrique les love stories, dans l'asile 2.0 de Cupidon. L'amour, c'est comme un château : faut avoir les bonnes cartes, avoir lu Kafka, et surtout, faut disposer d'une bonne connexion internet. 


Mais c'est pas tout ça. L'heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S'agirait quand même pas de louper le film qui va démarrer à 20h15 sur la Une ! 


1. A Tokyo, une reproduction de notre Manneken-Pis est installée à la gare de Hamamatsucho. Elle ne mesure que 46 cm, alors que le ketje bruxellois mesure 55,5 cm. 


2. Plusieurs sociétés proposent aux célibataires des services de « coaching ». Le « client » laisse le « coach » draguer à sa place sur différentes sites de rencontre, contre rémunération.   


3. Après les attentats du 22 mars, Bruxelles a lancé une opération séduction à destination des touristes japonais. 

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