On the Road

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« Maintenant je savais où je m’installerais si jamais je venais vivre à Paris.. »

Cette phrase est de Jack Kérouac. On la retrouve dans le «  Vagabond solitaire » publié en 1960. Ce jour-là, déboulant de Pigalle, nous étions en 1957, il découvre Montmartre. Un éblouissement dans le froid humide. La neige fondue tombe du ciel, et lui tourne en rond comme un rat dans Paris. Chaque ligne distille un ennui gênant. Le vagabond a une panne de moteur, son âme s’épuise à jouer un rôle de merde dont il est le seul et unique responsable. A chaque pas il se demande ce qu’il va bien pouvoir sortir qui ne soit pas trop nigaud. Il a inventé un demi-Dieu tout seul, et personne ne le lui avait commandé. A mon sens il n’était pas spécialement honnête, tout juste moyennent humain et il n’en était que plus respectable. Plus Facile à Aimer.. Mais il brûlait trop d’énergie, au-delà de ses moyens,  alors qu’on ne lui demandait rien de particulier. Seulement il l’ignorait. Ce qui fut son drame. Je me souviens de l’effet que ces mots produisirent sur moi quand la première fois je les découvrais. Alors que le texte suait l’ennui et la solitude, bavait de jugements vaseux sur le menu des restos, s’estropiait à force d’allusions sur des racines françaises dont on se contrefout, de toute les grâces perdues  aussi minables que les pensions de famille qui voyaient débouler son tas d’os, si lourdingue des détails picturaux qui semblent l’avoir frappé au Louvres, dans quelques églises visités, les statues des parcs vides et glacés ;. Etc.. Et le voilà qui touché au cœur se retrouve enveloppé d’un appel quasi mystique. .. Ici je m’installerais si jamais je venais vivre à Paris.. Seulement au bout de trois jours à trainer dans les rues de Paris, il crevait d’une seule chose, d’envie de se casser et rentrer chez lui. Kérouac fit deux voyages en France. Le second en 1965 que je qualifie personnellement de pathétique. (Satori à Paris est sépulcral,  fulgurant de lassitude. rate son avion Air-Inter en partant pisser au moment du décollage, puis vient l'épisode brestois, la nuit du Mort-Vivant etc.. ) Dans un registre assez proche du premier d’ailleurs. Beatnik coupé de ses codes autant que de ses potes , il démontre son incapacité à s’inventer une raison d’exister de rechange. Il ne semble tenir debout que dans un grand rêve théâtral. Son errance est bidon depuis le début, et c’est même pour ça qu’on l’aime tant. Une aventure définitivement à l’abri des souffrances anonymes. Seules et vraies plaies du cœur qui débordent de toute forme de littérature. Nous y voilà. Kérouac est écrivain et rien d’autre. Tant pis pour lui s’il trouve ça inadmissible. . Au mieux il le sait et déjà se bricole des plaies et des cicatrices. Oh le beau parcours sanctificateur qui le mènera à chier ses entrailles et des litres de sang dans une baignoire. On pourrait dire que sa mort n’est pas glorieuse. Infâmante ?.. Mais je la trouve étonnement graphique. Surtout si on considère comme sur le tard il sortit de sa coquille pour plonger dans la démence de Burroughs. Clamser dans la Machine Molle.. entre nous, c’est pas mal pour un si bel homme. Burroughs lui était plus malin. Il se refit une santé après des indigestions de jus de seringue, et même trouva le moyen de se débarrasser de sa femme en lui collant une bastos dans le crâne. C’était un accident monsieur l’inspecteur, rien de plus.. On jouait à Guillaume Tell elle et moi.. Tous ceux qui me connaissent pourront témoigner.. Il était naturellement plus authentique. Vrai et malin. Presque émouvant si on réfléchit un peu. Kérouac ne disposant pas d’autant de ressources, craignait les années sombres de la vie. Une vieillesse horrible et pitoyable, et comment le jeune loup traçant la nuit américaine avec Neal au volant de la Ford 1937, Cabossée,  aurait pu se transformer en honorable cinquantenaire. Je crois qu’il a manqué d’imagination à ce stade, Neal pareil si on peut se mettre d’accord sur le principe. L’un a rendu l’âme dans sa baignoire, l’autre le long d’une voie de chemin de fer. Splendide. La Ford quant à elle perdit son train arrière. Kérouac à défaut d’imagination disposait d’une brillante lucidité. Il se voyait malheureusement finir en pitre, une sorte de figurant avec un sac à dos pareil à celui qu’on trouve sur les guides du routard. Picoler comme un trou lui apparut comme une issue glorieuse, et avait-il tort ?..  Parfois je regrette qu’il soit parti si vite. A d’autres moments j’admets qu’il s’est épargné les tracas de la vieillesse, cette cochonne qui va nous astiquer le zob jusqu’à le rendre tellement sensible qu’il y a de quoi nous dégoutter d’en posséder un entre les guibolles. Bien sûr et chacun le sait, quand l’affaire devient trop douloureuse, il est temps de penser à une petite euthanasie.

Le sujet se résume simplement. On fait le compte du temps passé  à vivre la matière qui deviendra le texte, puis on refait la même chose avec le texte. Le temps passé sur le texte comparé à la matière dont il est la sueur sacrée. C’est tout vu. La somme des vraies aventures se révèle en filigrane du mensonge. Heureusement les écrivains ne mentent pas. Ils écrivent. Sal Paradise est un acteur de cinéma dont il a tellement profité qu’il s’est pendu devant un mur de larmes au moment venu d’aller voir ailleurs. Pourquoi s’en défaire alors .. parce que Sal Paradise était un jeune et beau gars de vingt-cinq ans. Un héros imaginaire, donc forcément démesuré. Il aura vingt-cinq ans pour l’éternité, et Kérouac aurait mieux fait de se tuer en Porsche que d’une hémorragie dans la baignoire. Non, je m’égare. Sal Paradise fut le beatnik éternel. Kérouac l’écrivain qui ne se remit jamais d’avoir inventé un double aussi beau. Sa vision le dépassait. Marchant au Thé et à la benzédrine l'esprit filait plus vite que ses doigts. Il se serait renié lui-même pour en être de ces authentiques trimardeurs, et j’imagine qu’il y aspirait. Quoiqu’un écrivain ne va jamais au bout de ses rêves. Après chaque texte en général il passe à un autre et oublie. Kérouac finit par tout mélanger jusqu’au point de s’en rendre malade. Une sorte de honte le dévorait. Comme s’il s’en voulait de n’être qu’écrivain. Mais son destin l’avait choisi tel quel et il savait qu’il y aurait au bout.. la perle ;. Les trimardeurs finissent en crachant les poumons et dans d’horribles convulsions. Crevant de froid le long des rails vides. Leur solitude n’est alors qu’un détail de l’histoire. Comme pour Neal justement. Alors la perle.. ; une légende..

 Autre élément. Neal était le gars parfait et c’est bien lui qui avait le style.. la vraie écriture. Seulement son destin était truqué, pourri jusqu’à la moelle. Ses lettres interminables ont inventé l’écrivain. Kérouac fut l’écrivain, le Tathagata, et les lettres interminables de Neal ont  atterri sur un rouleau de cinquante mètres de long. Le texte est entré dans la légende. Les lettres de Neal sont juste passées à la poubelle. Il n’y a pourtant là qu’une seule et unique histoire écrite d’une seule et unique façon. Le destin s’est montré enfoiré et il est beaucoup plus fort que les hommes. Il les écrase et gagne toujours. Néanmoins il fallait être deux pour réussir le roman parfait. Une tâche inhumaine, et nul est assez grand pour écrire "On the Road" seul; Kérouac avait tout compris..

Dans cette course frénétique aux trois-quarts inventée domine l’idée folle que l’écrivain  vaut autant que ses personnages. Cette fameuse phrase du début, résume à elle seule les trop-plein de vérités de l’homme. Tellement qu'il en déborde. Fantasme de se retrouver là où il ne peut pas être. D’existences qu’il est prêt à fuir comme la peste. Ecrivain par nature à défaut de vivre au rythme naturel d’un vrai destin. Pour lui tout est impossible. A un pareil homme il faudrait au moins mille vies. Ironie du sort, la sienne véritable se montra la pire de toutes. Aucune de rechange comme je remarquais plus haut. Ce type qui pour moi fut une énigme, est devenu au fil des années un sujet de réflexion. Ecrivait-il pour vivre, vivait-il pour écrire, et plus mystérieusement, avait-il besoin de l’un ou de l’autre de ces présupposés pour déjà se lever le matin. La question est d’importance si on prend la peine d’évaluer la matière première de ses romans. Je me suis personnellement abaissé à ce travail. Bouffer les entrailles d’un autre n’a rien de reluisant dans un destin. Mais je l’ai fait.

Ultime réflexion. Je connais au moins un autre cas qui s’appuyant sur une série de tableaux vivants passa dans l’histoire et se vit éternel. Jésus de Nazareth. D'autant qu'à eux deux ils n'ont pas raté leurs sorties. De là à penser que Kérouac bouddhiste en peau de lapin fut sa dernière réincarnation, il n’y a qu’un pas. M’avançant sur la route glacée de l’hiver, je le franchis allègrement. ..

             -revu et corrigé-

               http://www.youtube.com/watch?v=XacvydVrhuI

        http://www.youtube.com/watch?v=amLungGziP0&feature=related          http://www.youtube.com/watch?v=ejKUJu9xct4&feature=related

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