Où il serait définitivement question de ce qu'on allait faire de cet héritage

padam

Il fallait encore que Marie téléphone au notaire.
Une fois que la grand-mère était décédée les choses s’étaient précipitées. Il fallait trouver un établissement mortuaire qui prendrait en charge cet aspect là de la mort, prendre contact avec le fleuriste, le traiteur, l’imprimeur, la presse et le notaire.
Puis, rassembler la famille.
C’était Marie qui s’était chargée de tout, évidemment. Parce qu’il parait que c’est normal, parce que de toute façon Erika n’a pas de voiture, sa tyroïde lui fait mal, son dépressif de mari a encore été injurieux ce matin avec elle et tu ne te rends pas compte à quel point ma vie est un fatras de pus et de croutes qu’elle se plait à étaler de manière ostentatoire à qui veut entendre et voir et veut bien l’écouter, pas comme toi.
Marie suit ce flot d’une oreille distraite, repose le combiné puis se replonge dans la lecture de ces documents juridiques – donc fastidieux mais finalement pas si incompréhensibles et qui se révèlent tout de même intéressants -.
Le rendez-vous est pris avec Maître Delpierre, demain, 11h.
Il fait ensoleillé. Erika est déjà là.
Pour ce genre de cérémonies officielles elle DOIT être à l’avance: elle a bien attendu 40 ans de recevoir sa part, qui, si elle l’avait reçue tout de suite, lui aurait permis de vivre bien, de se débarasser de sa tyroïde et de son mari. Mais toi tu ne sais pas…
Marie se détourne. Il faut répartir le reste maintenant. Mais elle n’a plus envie de rien: ces objets elle les a trop vu. Elle n’en veut pas! Elle veut bien les lui laisser à elle, qui veut tout: elle qui regarde avec envie la tribune, le fauteuil en velours aux grosses fleurs roses qui se lève et s’abaisse avec une télécommande. On peut même suivre des yeux les chiffres qui défilent à toute allure dans son cerveau et le calcul du gain qu’elle va se faire à revendre le tout chez Troc International. Ce cadre là représente par exemple trois mois de traitement pour sa rétention d’eau, ce vase là? Deux mois de vacances loin de ce mari moribond.
Marie laisse faire.
Elle voudrait seulement deux minutes de silence, de recueillement. Il n’y a plus que ça qui l’importe. Mais on lui reproche: que veux-tu? Tu ne dis rien alors on prend tout puis tu vas encore râler parce que le partage n’est pas équitable, mais tu dois y mettre un peu du tien aussi!
Tais-toi. Tu ne comprends rien, retourne à tes croutes. Va embrasser le notaire et achète toi une nouvelle fourrure, mais fous-moi la paix.
Marie signe les papiers, serre la main de Maitre Delpierre et quitte cet endroit officiel. Elle ne se retourne même pas.
Au moins maintenant elle ne devra plus voir Erika.

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