OUROBOUROS

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Libre. J’étais libre. J’étais en chute libre.

Mon corps a rebondi. Mon âme s’en est ressaisie.

Chut !

Libre.

Je me ressaisie.

Je me saisie.

Je me sais…

Chut !

Je saigne,  trois goutes, deux goutes, une goute.

J’essaie

Je m’assois

J’ai soif.

Une soif m’obsède, je me retourne dans mon lit plusieurs fois puis je me lève. Je bois. Rien à faire. J’ai soif encore même après trois, verres.  Je retourne dans mon lit. Je mets un coussin entre mes cuisses. Je retire le coussin. Je le sers contre moi. Je le jette par terre. La poussière d’oppresse. Ma demeure est dans un état dépressif. Mon lit aussi. La poussière, mon lit, tous, ne me laissent pas dormir. Ils me stressent. Ils me révoltent. Je m’assoie. Je me lève. J’étouffe. Je suffoque. J’inspire de l’air. Je l’emprisonne dans mes poumons. Je me mets en apnée. Je compte. J’explose. Le hoquet continue à m’agacer. J’envoie un sms, puis deux, puis trois. Je masque mon numéro. J’appelle. Je raccroche. J’éteints mon portable. Je le rallume. Je le mets en silencieux. Il me répond. Il me répond aussi. Et lui aussi. Tous ces autres me répondent. Il ne me rappelle pas, lui.

Je sue à la lecture des réponses que je reçois. Une sueur froide me traverse  à l’absence d’appel. 

Je me lasse de ces autres. Je me délasse sur ma banquette. J’allonge mes jambes sur ma table basse. J’allume et  j’insère.

C’est un vert bleu

Un bleu violet

Un violet un peu rosâtre

Un rose qui tend vers le rouge

Un rouge orangé

Un orange un peu jaunit

Un jaune blanchâtre

Un blanc gris

Un gris noirâtre

Un noir verdâtre

Il est chaud mon thé vert au jasmin, un peu trop jaune à mon gout, rafraichissant malgré sa température.

La vapeur me caresse la joue. La gorgée embue mes pupilles. La caresse embue mes cuisses.

Toutes ces couleurs insinuées dans les robes de Maggie Cheung m’excitent comme un homme, ses colles qui l’étranglent comme les mains d’un hidalgo au moment de l’orgasme. Je la jalouse. Je jouie des fentes qui libèrent à peine ses jambes.  Je jalouse les coutures sur ses hanches qui pincent sa cambrure.  L’étroitesse de ses robes comme l’étroitesse des ruelles du vieux Damas me serre le cœur.  Comme elle, je voulais pouvoir changer autant de robes tout en gardant le même modèle.

Le DVD bloque de temps à autre. Lui aussi est dépressif. Je le sors pour le réinsérer de temps à autres. Les vapeurs refroidissent. Les couleurs apparaissent plus distinctes. Le jour se  lève. Les couleurs frottent mes pupilles sèches.

Je me demande comment notre amour a changé de couleur. Ou, peut-être, je n’arrive pas à me l’avouer. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Je ne pleure pas. Ce n’est que la vapeur du thé sur mes pupilles que je viens de réchauffer pour me réchauffer. Il est plus chaud que ce que je pensais. Il me brule les lèvres comme le souvenir de son baiser.

Il m’appelle.

Je décolle mes lèvres.

Je ne réponds pas.

Je le rappelle. Nous échangeons des mots tendres. Nous flirtons jusqu’à sous ventre. Nous nous disputons jusqu’à la potence. Nous raccrochons. Tout recommence.

De faux appels, de faux pas, de fausses notes, de faux désirs, de fausses raisons, de fausses scènes d’adultère pour comprendre pourquoi les époux trompés en sont arrivés là. Le DVD de In de Mood For Love bloque à nouveau. Je l’éjecte, le remet dans sa boite.

Je me regarde dans un miroir, les cernes coulent sur mon visage. Ma patience s’impatiente.  Je deviens cendre. Je sors l’autre DVD. Pourquoi celui-là, celui de Pina Bausch, Café Muller. Pourquoi pas celui-là? Je l’insère. Il est très tôt du matin. Je m’assoupis en résistant jusqu’au dernier clignement. Les chutes de chaises me secouent de temps en temps.

Noun, 2009

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