Out of Earth
Clément Hourseau
« Si j’avais un vœu à faire, je quitterais ce monde pourri par les guerres, la cupidité, l’avarice et l’Homme. Peu importe les dangers que cela impliquerait, j’embarquerais sans hésiter à borddu premier vaisseau s’envolant en direction des étoiles. Quitte à vivre dans l’obscurité, je préférerais celle de l’espace à celle de l’Homme. »
C’est ainsi que débute le nouveau texte d’Adrien, jeune écrivain qui ne rêve que d’une seule chose… quitter ce monde ravagé par l’Homme et sa prétendue supériorité sur l’ensemble des autres espèces peuplant la Terre.
Installé devant son écran d’ordinateur, il aime écrire des textes engagés, prônant le respect mutuel, la sauvegarde de l’environnement. Il n’hésite pas à attaquer ce qu’il juge futile dans la société de consommation d’aujourd’hui. Il n’est pas extrémiste ni anarchiste. Pourtant, il aimerait par-dessus tout que l’Homme revienne à la raison, et surtout aux fondements d’une véritable société égalitaire et pacifiste. Mais il n’est pas dupe. Il est bien loin le monde des Bisounours. La société contemporaine est dominée par l’égocentrisme, la cupidité et l’individualisme. Il le sait.
Pour s’exprimer aux yeux du monde, il ne descend pas dans la rue, ni ne signe de pétitions. Il écrit. Sur son blog ainsi que sur son site. Des articles, autant que des nouvelles. Des créations qu’il rendlibres d’accès.
« L’Hommen’est pas une erreur de la Nature. C’est un prototype dont laseule particularité est d’avoir été programmé pours’autodétruire en cas d’échec, sans même en prendreconscience. »
Sonsentiment vis-à-vis de l’Humanité ne cesse de se dégrader au fildu temps. La politique, les conflits militaires, les criseséconomiques… Il ne doute pas que l’Homme puisse encore revenirdans le droit chemin. Mais ses espoirs se meurent petit à petit.Jour après jour. Il en deviendrait presque évident, dans sonesprit, que d’ici peu de temps, l’être humain quitteradéfinitivement la Terre… d’une façon assez peu élégante etdans l’indifférence la plus totale de la Nature, qui n’en tireraque d’énormes bénéfices.
« Jeme suis porté volontaire pour une mission d’un nouveau genre. Unesociété américaine basée en Floride vient de mettre au point,dans le plus grand secret, un prétendu vaisseau spatial. Ayantdécouvert, je ne sais comment, ma façon de voir les choses, ilsm’ont proposé de participer à cette « aventure »comme ils disent.
Ayanttout de suite accepté, voilà que je me retrouve aujourd’hui àune soixantaine de kilomètres de Miami, dans un complexe industrielet technologique géant. Le vaisseau, majestueux, robuste et racé,se tient devant moi. Il paraît inconcevable que l’Homme soitparvenu à fabriquer un tel engin surpuissant. Je n’en crois pasmes yeux. Jamais je n’aurais espéré connaître cela au cours dema vie. Mon plus grand rêve est sur le point de se réaliser. Jevais enfin quitter la Terre. De façon définitive.
Lesbudgets de la société sont limités. La conception de l’astronefa presque tout englouti. Des milliers d’heures de simulationsinformatiques ont été opérées. Les systèmes de bord ont tous étéanalysés, réanalysés. Tous les voyants sont au vert. Aucun testgrandeur nature n’est prévu. Je m’en moque. L’excitation megagne. Les dangers sont énormes. Je tiens plus que tout à la vie,mais l’occasion de participer à cette aventure hors du commun esttelle que j’accepte tous les risques inhérents. Même les pires.
Jeveux quitter ce monde corrompu. Terrien je suis, terrien je resterai…mais en exil je serai. La solitude à bord du vaisseau ne me fait paspeur. J’ai bien trop hâte de m’envoler à la rencontre dusystème solaire et de ses merveilles, pour ensuite me retrouver dansle vide interstellaire et dépasser les sondes Voyager 1 et 2,lancées il y plusieurs décennies. J’ai vingt-cinq ans, et je rêvede tout ceci depuis bien trop longtemps pour laisser passer cetteoccasion, cette chance, de foutre le camp d’ici. »
Déterminé,rien ne pourra faire changer d’avis Adrien. Il veut quitter laTerre, et il le fera. Ce n’est pas un caprice. C’est un besoin.Un besoin de s’éloigner de tout ce qui rend et a rendu l’Hommetel qu’il est aujourd’hui. Un redoutable prédateur. Redoutableau point de se prendre lui-même comme cible de ses attaques.
« Ledécollage est prévu pour demain matin. Je suis petit à petit gagnépar une certaine forme de stress. Je sais que mon choix est le bon,qu’il va me permettre de m’épanouir plus que tout ce que jepourrais connaître sur Terre. Pourtant, j’ai peur. Peur del’inconnu. Mais je ne le cache pas. Certains prendraient cet aveucomme une preuve de faiblesse. Pour ma part, il s’agit de savoirécouter mon corps et de faire preuve d’humilité. Une qualité quia quitté l’Homme depuis bien longtemps déjà.
Jene crains pas la solitude. Comme le dit l’adage, mieux vaut êtreseul que mal accompagné. Ici-bas, je suis très mal accompagné…Non par mes proches, qui sont formidables. Mais par mes congénères,autres membres de l’espèce humaine. Car la Terre est un astreexceptionnel. Il regorge de richesses en tous genres et n’a qu’unseul défaut majeur : l’Homme.
Monvoyage à travers l’espace doit me mener à rencontrer l’étoilede Barnard, une naine rouge de type M située à près de sixannées-lumière d’ici. Honnêtement, je ne sais pas vraiment cequ’est une naine rouge. Encore moins de type M. Je suis trèsintéressé par l’astronomie, toutefois mes connaissances restentassez vagues. Peut-être un peu plus évoluées que le commun desmortels, mais profondément ridicules pour tout scientifique serespectant. Je sais tous de même que mon périple me conduira àplus de cinquante-six mille milliards de kilomètres de la planètebleue. Et franchement, c’est tout ce qui importe à mes yeux.Mettre la plus grande distance possible entre l’Humanité etmoi-même. »
LaTerre est maintenant vierge de toute présence humaine. La vie esttoujours présente. Mais seulement sous forme animale et végétale.L’humanité a été réduite à néant, totalement impuissante faceaux armées rémanes, venue du fin fond de la galaxie pourpurger la planète bleue de son plus grand fléau.
Lamission était simple. Réduire à néant la totalité de l’espècehumaine. Aucun Homme ne devait survivre. Non pas pour coloniser laTerre. Non. Uniquement pour sauver son écosystème exceptionnel aupossible. Malheureusement pour eux, un être humain, un seul,voyageant quelque part dans la galaxie, est probablement encore envie.
C’estun risque qu’ils ne peuvent se permettre de prendre. Si jamais,d’une façon ou d’une autre, celui-ci parvenait à reconstituerun semblant d’espèce humaine, tout pourrait bien recommencer deplus belle.
« Lejour où vous lirez ceci, je serai déjà loin. Très loin. Au pire,je ne serai plus de ce monde. Au mieux, je voguerai à traversl’obscure magnificence de l’espace immaculé. Mon voyage doitdurer au moins quarante ans. Quoi qu’il arrive, sachez que je suisheureux là où je me trouve. Peut-être ai-je même une petitepointe de nostalgie en pensant à ma chère Terre natale. Mais je visenfin mon rêve. Naviguer dans les étoiles sans plus subir la bêtisehumaine. La vie est belle. Adieu. »
« Jedébute mon quatre cent soixante-quinzième jour de solitude. Un anet demi. Un an et demi que je vogue à travers l’espace. J’ai lesentiment de ne pas avancer. De faire du surplace. La Terre n’estplus qu’un petit point non distinguable à l’œil nu. Je prendsconscience, petit à petit, que mon rêve se réalise. Je suis seul.Tous mes soucis sont envolés. J’ai enfin le temps et l’envie deme présenter.
Jeme prénomme donc Adrien. Je suis âgé de presque vingt-sept ans etgrand passionné d’espace et d’exploration. À l’origine, jepratiquais le tennis de table. Ici, je me suis mis à la marche surtapis. Non pas par choix, mais tout simplement par nécessité, pourconserver un minimum de masse musculaire.
Jesuis écrivain. Ce qui explique peut-être que, malgré monéloignement de la Terre, je continue, encore et toujours, à écrirema vie. Je ne suis pas imbu de moi-même, ni égocentrique. C’estuniquement ma façon de combler mon esprit. De m’occuper.
Jamaisje n’aurais pensé dire une chose pareille un jour, mais la Terreme manque. L’Homme aussi. Bien que je ne cautionne toujours pas cequ’il est devenu, je ressens un petit vide. Je m’étais sûrementsurestimé. Je me savais humain, mais je ne me pensais pas sisensible. »
Lesdeux cents mètres carrés du vaisseau se fraient un chemin àtravers la noirceur du vide interstellaire. Vu de l’extérieur, ildonnerait presque l’impression d’être parfaitement immobile.
Sacoque est immaculée. Du moins, elle l’était à l’origine. SiAdrien pouvait l’inspecter aujourd’hui, il y percevrait unemultitude de petits impacts causés par tous ces minuscules corpscomposant le vide interstellaire. Sauf qu’Adrien n’est pas unastronaute. Malgré les apparences, il n’est qu’un banal êtrehumain. Il n’a aucun entraînement spatial. S’il ne s’étaitpas agi d’une mission privée, jamais il n’aurait quitté sonpays, la France.
« Cematin en me réveillant, j’ai constaté quelque chose d’étrange.Dans la salle des commandes, un voyant rouge était allumé. D’abordsurpris et quelque peu gagné par la panique, je me suis finalementrendu compte qu’il signalait que le contact avec le centre decommandement terrestre était perdu. Même si je n’avais plus lemoindre contact radio ou vidéo avec les ingénieurs, je savaispertinemment qu’ils me suivaient sur leurs radars. Cela merassurait en quelque sorte. Maintenant, je suis absolument seul,totalement coupé de mon passé.
Mesdiagnostics système ne révélant aucune avarie du côté duvaisseau, la coupure ne peut venir que de la Terre. J’espère quele contact sera rapidement rétabli. À l’instant où j’écrisces lignes, c’est comme si l’espèce humaine avait purement etsimplement disparu. La troisième guerre mondiale, une épidémieravageuse, une catastrophe naturelle ? Je ne sais pas. Je saisseulement que mon esprit critique me laisse penser que tout est de lafaute de l’Homme. En poussant ma réflexion un peu plus loin, je medemande si finalement je n’ai pas tort. Du moins un peu. »
Alorsqu’Adrien s’est endormi, la vie suit son cours. Traversant levide interstellaire de six années-lumière séparant la Terre dusystème planétaire de l’étoile de Barnard, une alarme retentitsoudainement, réveillant l’apprenti astronaute en sursaut.
Lesdétecteurs de l’astronef deviennent fous. Ils indiquent laprésence d’une planète inconnue sur la trajectoire de l’engin.Celle-ci est située droit devant, à une petite heure de vol. Il estvital de modifier l’angle d’approche, actuellement trop serré,afin d’éviter d’être pris au piège par la force de gravité del’astre.
Perçuecomme étant une Jupiter froide, son pouvoir d’attraction estextrêmement élevé. Heureusement, le pilote automatique semble enmesure de réagir de lui-même à cette rencontre. Il propose deuxoptions au jeune Homme, qui va devoir faire un choix crucial. Toutesdeux ont leurs avantages ainsi que leurs dangers.
Lapremière option consiste à une approche millimétrée visant àutiliser la force de gravité de la planète pour accélérersensiblement la vitesse du vaisseau et gagner quelques mois sur ladurée totale du voyage. Le risque de crash ou de désintégrationest très élevé en cas d’erreur, même infime. La secondesolution, encore plus périlleuse, résulte en un arrêt du piloteautomatique afin de laisser les commandes à Adrien… Peu rassuréde la situation dans laquelle il se trouve, il n’hésite pasvraiment. Il décide de faire confiance au pilote. Sa décisionenregistrée par le système de pilotage, il regagne sa cabine etaccroche son harnais de sécurité.
« Jeviens de vivre ma première grosse frayeur. Il semble que je sois surla trajectoire d’une planète solitaire. Une planète qui dériveau gré de l’espace, sans étoile autour de laquelle orbiter. À maconnaissance, une seule avait jusque-là été détecté par lesastronomes. C’était à la mi-novembre 2012.
Jesuis stupéfié de vivre un tel moment. J’espère pouvoir observerce instant unique lors de mon passage dans sa périphérie. Ce seraittellement formidable. Dangereux, mais formidable. »
Prisdans la puissante attraction, le vaisseau commence à accélérer. Savitesse augmentant, les régulateurs d’inertie adaptent leurpuissance afin d’éviter toute variation trop importante de lagravité intérieure.
Maisils deviennent insuffisants pour en absorber l’effet dans satotalité. Adrien se retrouve petit à petit collé à sa banquette.Hurlant de douleur, il pèse désormais dix fois son poids habituel.Ses organes sont comprimés par sa cage thoracique. Ses poumons segonflent à peine. Ses membres sont totalement immobiles, plaqués àsa couchette. Son cœur s’efforce de battre encore et encore malgréla compression subie. Adrien ne peut supporter plus longtemps cesconditions. Désormais complètement écrasé contre son matelas, ilperd connaissance. Peut-être même la vie.
« Quem’arrive-t-il ? Est-ce que je suis mort ? Cette lumièreblanche. D’où vient-elle ? Tout cela ne peut pas se terminermaintenant. Ce n’est pas possible ! Nonnnnnnn ! Je neveux pas mourir ! »
Uncouloir complètement blanc s’ouvre à ses yeux. Il hésitelonguement à s’y risquer. Sentant son cœur battre de plus en plusfort et de façon irrégulière, il s’y avance. Il ne distinguerien. Ni la sortie, ni ses mains et ses pieds. Il est comme un simplespectateur de lui-même.
Aufur et à mesure qu’il progresse, la lumière blanche se fait deplus en plus brillante. Sa vision devient floue, irraisonnée etirréelle. Il se trouve à un dernier pas de la source lumineuse.Peut-être la fin de ce mystérieux corridor. Il fait cet ultimemètre puis… plus rien. Le néant. Il flotte au milieu d’une marede lumière, de la même façon qu’un mannequin totalementdésarticulé. Il ne ressent qu’une seule chose. L’effleurementconstant des particules lumineuses sur son corps inerte. Le plusdéroutant dans tout ceci est la sensation de bien-être accompagnantcet état. Aucune douleur, le cœur léger, des étoiles plein lesyeux. L’extase totale et incontrôlée. Il délire.
« Ohhhhles zolies n’étoiles dans les yeux. Je vais vous attraper. Ohhhhla belle jaune. Ohhhhhhhhhh la belle naine brune… »
Lavitesse du vaisseau diminue rapidement. La force qui s’étaitimposée à Adrien diminue de la même façon. Peut-être même plusvite encore. La lumière blanche noircit, l’état d’extases’atténue. Il revient à lui. Son esprit est tout chamboulé.
« Jeviens de vivre un moment extraordinaire. Je ne sais pas si cela peuts’apparenter à une expérience de mort imminente, mais ils’agissait réellement de quelque chose de formidable. Je m’ensouviendrai toute ma vie. C’est certain.
Ayantsurvécu à cette première véritable épreuve de l’espace, je merends compte qu’ici tout est possible. En particulier le plusinattendu et le plus dangereux.
Parchance, le pilote automatique a tout de même réussi la manœuvreque je lui avais commandée. Mon aventure va se poursuivre. Pourlongtemps. Enfin, je l’espère… Prochaine étape, l’inconnu. »
« LaTerre n’a toujours pas donné de nouveau signe de vie. Cela faitsix mois. Je commence à croire que je suis réellement le toutdernier être humain de la galaxie. Je n’ai personne à qui parler.Ma vie est morne. Le rêve est toujours présent, mais jusque quand ?
Aujourd’huipour m’occuper j’ai fait une dizaine de fois le tour du vaisseau.D’ailleurs, je lui ai même donné un nom. Quitte à y passer lereste de ma vie, autant me l’approprier au maximum. Il se nommedésormais : le Galilée. »
Installédevant son télescope de huit cents millimètres de diamètre situédans la coupole d’observation, Adrien explore le ciel au gré deses envies. Empreint d’une pointe de nostalgie, il fixe sonobjectif vers l’un des principaux objets lumineux qui lui estaccessible. Le soleil.
Apriori, tout est normal du côté de l’astre du jour. Rien nesemble perturber son sempiternel mouvement rotatif autour du centregalactique. Rien. Ou presque… Une imposante masse noire,probablement plus grande que Jupiter, orbite autour de lui, cachantune grande partie de ses rayons lumineux.
Ébahipar ce qu’il observe, Adrien demande à l’ordinateur de bordd’analyser les données recueillies. En à peine quelques instants,la réponse tombe. Il n’y a pas d’erreur. Il s’agit bien dusoleil… partiellement caché par un gigantesque ovni.
« Voilàqui explique sûrement pourquoi la Terre ne communique plus. Mais dequoi peut-il s’agir ? Des extra-terrestres ? Un phénomènenaturel sans précédent ? Je suis encore plus inquiet quant àl’avenir de l’Homme.
J’étaisencore, de façon plutôt récente, très critique envers l’espècehumaine et sa façon de fonctionner. Même si toutes ces remontrancesn’ont pas disparu, je me rends bien compte que j’y suis peut-êtreallé un peu fort. »
Tantbien que mal, la vie suit son cours à bord du vaisseau. Adrien atout de même parfois de quoi faire. Quelques loisirs qui luitiennent à cœur, la maintenance de certains équipements, ladécouverte de la Connaissance, avec un grand « C ». Lereste du temps, il tourne en rond.
Iln’en reste pas moins que son esprit est accaparé par la Terre. Ilfait tout pour ne pas y penser, mais sans succès. Le devenir de sessemblables est plus fort que tout. Ici, à plusieurs milliards dekilomètres, il se sent totalement inutile. Pourtant, il vit sonrêve. Mais de façon bien trop extrême. Il ne souhaitait qu’uneseule chose… quitter ses congénères. Jamais il n’avait voululeur perte.
« J’aitoujours reproché beaucoup de choses à l’espèce humaine, et jemaintiens mes critiques. Néanmoins, je me rends bien compte que jene suis pas exempt de reproches non plus. Je le savais, puisque jesuis un Homme. Mais je comprends, peut-être trop tard, que je visdans une certaine forme d’égoïsme, de déni.
J’écristout ceci, mes ressentiments, mes pensées, tout en sachant trèsbien que personne ne pourra jamais les lire. Quel en est l’intérêt ?Ma véritable vie est sur Terre, pas au milieu de nulle part.
Jedois rentrer, peu importe les risques, je dois bien cela à monespèce. Ma prise de conscience est tardive. J’espère qu’elle nele sera pas trop. »
Soucieuxde se racheter, de venir en aide aux siens et de comprendre ce qui sepasse réellement dans le système solaire, Adrien se rue dans lasalle de pilotage.
Tapotantà toute vitesse sur certains instruments, il met en pratique sesconnaissances en informatique. Secondé par le pilote automatique, ilentreprend de reprogrammer les coordonnées de destination duGalilée. Cela ne lui prend que quelques minutes. Lesmanipulations à effectuer sont plutôt simples et à la portée detous. Quelques clics, deux ou trois manipulations…
Conscientqu’il ne pourrait rien faire avant d’avoir atterri, son toutpremier objectif sera de pénétrer dans le système solaire sans sefaire repérer par le possible ennemi. Une tâche ardue, ne sachantpas à quelle éventuelle menace il s’expose. Aussi, pour contrôlerautant que possible les dangers, il fait le choix de passer levaisseau en mode furtif. Une décision particulièrement énergivorequi ne devrait cependant pas avoir de réel impact sur ses deuxannées de voyage retour. Deux années qu’il pourra mettre àcontribution pour tenter d’élaborer quelques plans pour,peut-être, secourir ses semblables.
« Jesuis parti vers l’infini sans le moindre complexe. Aujourd’hui,je fais machine arrière, le cœur rempli d’espérance et demotivation. Je suis peut-être le dernier espoir de l’espècehumaine. Je ne sais pas si mes épaules seront assez fortes pour toutsupporter. Mais tel est mon destin, tel est mon choix… »
« Jevois enfin le système terrestre. La Lune me paraît étrange.D’immenses cratères, bien plus imposants que tous ceux que j’aieu l’occasion de voir par le passé, sont parfaitement visibles àsa surface. On dirait que des astéroïdes s’y sont écrasés enmasse depuis mon départ. C’est peu probable. Qu’a-t-il bien puarriver ? Je l’ignore. Je vais essayer de le découvrir au plusvite. »
Adriense penche sur ses écrans d’ordinateurs. À l’aide de sontélescope embarqué, il examine la zone de façon plus détaillée.Il y découvre quelques petites taches noirâtres, par-ci par-là.Incapable de déterminer avec précision ce dont il s’agit, il nepeut, pour le moment, émettre que des suppositions.
Seulesindications, certaines de ces « taches » semblentmobiles, évoluant dans des directions a priori sans relation lesunes par rapport aux autres. Difficile donc d’imaginer qu’ilpuisse s’agir d’un simple événement naturel. Contrairement àce qu’il avait envisagé au moment où il a décidé de faire levoyage retour et de revenir en direction de la Terre, il n’est pasparvenu à élaborer de « tactiques ». Son principalproblème fut d’anticiper tout « ennemi » qu’ilserait susceptible de croiser. Bien que sachant parfaitement utiliserson imaginaire lorsqu’il s’agit de produire des fictions, il neparvint pas à produire ce qu’il aurait souhaité.
Aujourd’huià quelques dizaines de jours seulement de sa destination, il esttoujours dans le vague. Ses dernières observations n’ont rien detrès rassurant. Il se demande ouvertement si le fait de rentrern’était pas une erreur. Sa fougue l’a probablement amené àprendre une décision de façon hâtive. Bien qu’il faille quandmême relativiser les choses, puisque de son point de vue, il étaitseul, perdu au milieu de la galaxie.
« Jene regrette aucun de mes choix ni de mes actes passés. Je suis prêtà risquer ma vie. Ma seule erreur, quoique je n’en sois moi-mêmepas convaincu, pourrait être d’avoir quitté la Terre sur un coupde tête. Mais je ne supportais plus du tout le chemin que prenaitl’Homme sans s’en rendre compte. »
Leradar du Galilée indique que plusieurs ovnis, au moins trois,s’approchent rapidement du vaisseau. Le temps d’interception estestimé à six ou sept heures maximum, selon les possibles variationsde vitesses de chacun des protagonistes.
Ilne lui aurait pas été évident d’agir tout en parvenant à seposer sur Terre, mais s’il se fait aborder en plein espace, il nese fait guère d’illusions sur ce qui pourrait lui arriver. Sonseul espoir dans ce cas précis ? Que ces éventuelsextra-terrestres n’aient pas la même mentalité que l’Homme etque l’inconnu ne leur fasse pas peur. Pourtant, il n’en est pasréellement convaincu. Dans le cas contraire, il ne donne pas cher desa vie.
Poursuivantses recherches, il ne parvient toujours pas à capter la moindretrace d'existence humaine en provenance de la Terre. Aucune émissionradio, aucune lueur détectée en période nocturne. Plus le tempspasse, plus il est convaincu que l’espèce humaine a totalementdisparu, où, dans le meilleur des cas, que des survivants sontparvenus à se terrer afin d’échapper à des envahisseurs.
« Lesmasses inconnues se rapprochent. Nous sommes à moins d’une heuredu contact. Il est évident que des communications ont lieu entre lestrois objets. Ils ne sont donc aucunement naturels.
Leurdécision de venir à ma rencontre alors que je suis à une certainedistance de la Terre me paraît également de mauvais augure. Quepuis-je faire ? J’ai bien une petite idée, mais elle demandeune certaine dose de courage, ou plutôt d’inconscience.
Seulesdeux options s’offrent donc à moi. Soit je me risque à entrer encontact avec ces entités, soit je fais le choix ultime… Monimagination est fertile, très fertile. Je ne peux me représenterune race extra-terrestre comme étant amicale et traversant l’universuniquement pour venir nous dire « bonjour ». Je peux metromper, mais en bon être humain que je suis, j’ai mesconvictions, et elles sont assez tranchées. C’est dans des momentscomme celui-ci que je me rends compte que je n’ai rien de plus quemes congénères.
Jesuis fier de moi, fier de ma vie, fier d’avoir été ce que je suisaujourd’hui. À la merci de n’importe quel prédateur, je netiens pas à me faire prendre. Que celui qui n’a jamais péché metraite de fou… Adieu. »
Cesderniers mots posés noir sur blanc, Adrien se rend dans la salle decommandement du Galilée. Il se dirige vers un clavier quelquepeu à l’écart et y entre un code alphanumérique. Une foisvalidé, un compte à rebours s’enclenche. Il ne reste plus quetrois minutes…