Papier
evinrud
Les gens sont des menteurs, des frileux qui cachent sous leurs manteaux des petits carnets tachés de leurs secrets .
Les gens sont des menteurs, je le sais, je les espionne, mais tout le monde l'ignore, que je l'ai trouvé, la vérité .
J'ai des idées. J'ai choisi. J'ai décidé. De choir. Les corps qui m'encerclent sont assis, cassés, tordus, flasques, satisfais du moelleux de leur vie. Fixés à un support, toujours en quête d'une place pour mieux contempler, fatigués de la mouvance des autres, ils se jettent sur les commodités de conversation pour ne plus penser à leur corps en angle droit .Bien droit .
Je n'ai pas la prétention de me hisser, de me grandir ou de brandir un chiffon en signe de victoire. Gardez vos illusions, je m'en vais vers l'étron .Celui qui colle aux semelles. C'est moi, la merveille misérable .Je m'enroule dans la poussière, m'écorche les pieds avec les épines honteuses.
De corps, je n'effraie personne, j'aime bien cligner des yeux en public et attendre que quelqu'un me regarde pour arrêter. Sinon, rien de particulier à signaler.
D'esprit, on me dit que je suis propre, enfin c'est ce que je comprends. Mais cela, c'était avant d'arrêter de mentir .
Je reviens sur la question: je veux vous expliquer pour ensuite voir vos yeux s'écarquiller.
Je sais ce qu'il va arriver : Les gens vont fermer les pages des possibles pour écrire des livres. Que c'est joli, un livre. C'est un bel objet, dont la reliure se marie assez bien avec les plinthes du salon. Quant aux livres que l'on ouvre. A ceux que l'on tire hors de leurs rangs, ceux qui ont la chance d'être touchés, caressés, humés par les plus connaisseurs, ceux là, que l'on choisit, nous offre la magie. La magie qui pénètre vos pupilles, se pose sur vos paupières pour peser sous les yeux.
Vous êtes cerné, vous lisez.
Et puis, vous devenez celui-ci bercé par ses pensées, de la buée sur les vitres et le regard suspendu, au delà de ce qui bouge. Une formation d'astronome en trente-trois tours. Et puis, pour les plus héroïques, on saute dans les flaques, et on se coiffe comme Clarissa Dalloway. On oublie ces rendez-vous, on préfère l'écran de fumée. Je ne parle pas de cinéma mais de votre propre comédie. Vous avez votre place, entre ceux qui colmatent l'air conditionnée avec leurs édredons, ceux qui imprègnent leurs oreillers de leurs fantômes moites et ceux qui se tapissent au fond de leurs baignoires-cercueils. Cependant, le marbre vous paraît un peu froid et la surface trop proche. On vous dit pourtant, qu'il faut essayer. C'est donc la première fois que vous goutez à la cachette du vasque glacé. Alors, vous rassemblez votre corps pour oublier une vie passée assise et on laisse glisser le velours opaque sur le palpable. Sans bruits. Sinon celui du froissement de la conscience qui plie sous la volupté du velours, on s'accroche aux lianes de l'imaginaire et on se laisse courir le long des tuyaux. Pacotille. Je me permets de vous prendre comme exemple parce que j'imagine que vous êtes comme moi puisque vous me lisez. C'est peut-être un peu naïf d'imaginer Orphée sous chaque chapeau, mais je prends le risque, je n'ai pas d'autre jeu à vous exposer .
Mon univers est de dentelle que je cache sous mes oripeaux. Je vous ai parlé de vous, maintenant que j'ai touché votre vérité, je vous parle de moi qui suis dans vos vapeurs et qui flotte dans votre intimité. Entre le fromage et le dessert, ce sursaut du cerveau qui froisse le coquillage pour en faire du sable, c'est moi. Je ne dure jamais longtemps, ma force fait trembler vos tempes et s'en va sous la pointe de vos pieds. Ça ne dure jamais longtemps car vous êtes de forts menteurs, en votre fort intérieur. Je me cache entre les mailles pour filer vos bas. A en perdre haleine, j'ondule autour de vos poignets, me moque du fil de vos idées, j' hérisse vos poils légers et resserre vos lacets .
De quel droit puis-je m'imposer chez vous? Ce n'est pas la prétention qui dicte ma conduite, c'est la raison en érection. Cependant ce n'est pas la doctrine surréaliste que je transpose, même si Nadja m'a déjà offert un café .
Il s'agit de vous persuader de mon humanité, ma réalité. Je ne m'érige pas en martyre, ne me baisez pas les pieds . Je suis juste un être formé de la fantaisie des idées, un doux râle, mi-facile, mi-tremblant. Ce matériau ne se prête pas à la plaisanterie car je veux parler de cette légèreté que vous rejetez au creux de votre cornée, chassée pour la journée et qui attend la nuit tombée pour vous visiter. On en a fait des chansons, des airs connus de gars disparus, des tragédies déguisées et des victimes de supermarché. Il est possible de m'approcher, car pour avoir l'omniscience, on m'a donné corps et esprit. Ainsi, il est possible de me toucher, entre le fromage et le dessert, et même de me pénétrer comme on se régale de l'amer. Mon boudoir est ouvert.
En ce moment précis, ce n'est pas possible puisque j'occupe la cellule 139 du bagne pour filles mal élevées, on nomme l'établissement: Saint-André. Les gardiens ne sont pas compréhensifs et n'ont pas accepté mes pastilles Vichy en échange de ma liberté. Mais c'est mieux ainsi. Je vais à présent vous conter comment de l'enfermement civilisé, je suis parvenue à me glisser sous vos ongles, comme une lunule amère.
On est nombreux à jeter nos tumultes sur le papier, comme si la souffrance engendrait le génie, comme si une mastication de graviers excusait les flots de mots déversés .
J'ai essayé aussi de faire courir la plume, ancrant ma vérité dans la fibre du papier. Mais mon poignet a refusé. Et mon bras a suivi. La décharge s'est poursuivi dans l'épaule et a tiré sur ma jugulaire comme on fait frémir une corde de guitare .
Le souffle coupé.
J' étais la sacrifiée.
J'ai tué mon corps, scié mes bras en hommage à Vénus pour mieux embrasser le marbre. J'ai rayé les valeurs de l'homme pour être cette silhouette déjà ombre pour vous. Une marionnette sans fils, un peu humide, qui danse sous l'orage. Ne parlons pas de folies, vous savez que j'ai raison.
Il est vrai que c'est vraiment charmant de vouloir métamorphoser votre propre violence en jolies lettres, alignées, rangées entre la majuscule et les points de suspension...Vous gagnez la satisfaction intellectuelle, une accélération du flux sanguin, et une délivrance. « J'ai écris. Tout est là, lis jusqu'au bout, tu pleureras ». Aisance.
S'est alors révélée ma vocation. La rémunération n'est pas négligeable, il s'agit de la perte de l'amour propre. Pour mieux accueillir les désirs sales. Moduler ses désirs par l'écriture n'a jamais tué personne.
Justement.
Je devais toucher la mort, ouvrir ma porte grande ouverte aux courants d'air putrides et ne devenir qu'une feuille presque morte, sensible aux pires fantaisies de l'âme qui a faim.
Fille de l'air, j'ai volé une rivière de diamants. Juste parce que ça brillait.
C'est tellement excitant.