Papire
vatomuro
Quand j'étais jeune, je devais avoir quinze ans, il y a eu un nouveau voisin dans la petite maison à coté. Juste a coté de la notre, nos garages étaient collés. Il devait avoir cinquante ans, sa nana pareil, et il avait un chien qu'il mettait toujours dans le garage car il aboyait tout le temps. Mais alors vraiment tout le temps, même dans la journée dans le jardin, et alors ça faisait trop de bruit donc il le mettait dans le garage. Je crois que j'ai jamais entendu un chien qui aboyait autant. Il aboyait comme on respire. Pour nous, c'était encore pire dans le garage car comme je l'ai dit les garages étaient collés donc ça résonnait dans notre maison et surtout dans la chambre de ma sœur qui se trouvait près du garage et ça l'empêchait parfois de dormir.
Et parfois on allait lui demander s'il pouvait garder son chien dans la maison mais pas dans le garage et il disait oui mais en vrai il s'en foutait et le garage continuait de résonner.
Il passait ses journées à boire et on entendait les bouteilles en verre rouler sur le carrelage tout le long de la journée quand il tapait dedans malencontreusement.
En quelques jours on avait cerné le personnage et on s'est dit qu'on était encore tombé sur un champion du monde.
On entendait les cling cling et les waf waf et encore des cling cling tout au long de la journée.
Le premier barbecue de l'année il a hurlé sur ma mère à travers les thuyas de la haie en disant qu'il pouvait pas garder ses fenêtres ouvertes tellement ça sentait la sardine partout chez lui à cause de ce qu'on faisait griller. Même les fenêtres fermés il disait ça empestait alors qu'on faisait même pas de sardines. On a rien répondut et on l'a laissé cuver son vin en silence.
On le surnommait Papire car on disait qu'il n'y avait pas pire.
La première fois où je me suis fais réveillé la nuit, c'est avec la lumière des gyrophares des gendarmes qui avaient débarqués chez lui car ils avaient été appelés par un voisin qui avait entendu des coups de feu, ou bien c'était peut être même sa nénétte qui avait passé le coup de fil.
En fait, Papire, pour faire taire les aboiements incessant de son chien, il a pas trouvé meilleur solution que de l'abattre d'un coup de fusil de chasse dans son garage, comme ça, comme un clebard.
Les gendarmes l'ont alors embarqués de nuit, îvre mort, et on ne l'a revu que le lendemain dans l'après midi.
Entre temps sa bonne femme avait prit ses clics et ses clacs et avait mis les voiles. Pas folle la guêpe, elle a du se dire après le chien ça sera mon tour, on peut jamais savoir, avec quelqu'un qui taquine pas mal la bouteille et qui a la gâchette facile. Il est rentré tout penaud, j'imagine avec un bon mal de crâne, pour trouver sa bicoque toute vide. Ce soir là il a bien remis le couvercle, on a entendu un festival de bouteilles qui roulaient par terre.
Dans les jours qui ont suivis, il est venu s'excuser auprès des voisins du paté de maison, en disant que le bruit constant du chien l'avait rendu fou et qu'il regrettait son geste. Nous il est pas venu s'excuser car il savait qu'on l'évitait, même si c'est notre maison qui était le plus gêné par son bordel sonore continu.
Cet enfoiré racontait quand même à tout le monde au café du village qu'il avait buté son chien quand même, comme s'il racontait qu'il s'était fait cuire un œuf. Alors ses histoires de regret j'y crois pas trop. Mon œil Papire, mon œil. Oui parce que quand il était pas en train de picoler chez lui il picolait au tabac de la place avec ses copains de picole. Généralement il rentrait beurré comme une biscotte, en voiture bien sûr.
La seconde fois que je me suis fait réveillé par des lumières de gyrophares, c'était ceux de l'ambulance. Cette fois ci, pas de coups de feu n'y rien. Cette fois ci c'est lui qui a appelé l'ambulance. Mort saoul. Il leur a dit qu'il avait beaucoup trop bu, qu'il avait un fusil chez lui et qu'il pensait faire une connerie. Ça aussi je le sais car il l'a bien raconté dans les détails au café et vous savez dans les petits villages comme ça la nouvelle tourne vite.
Il s'est fait embarqué par le Samu en plein milieu de la nuit et là cette fois ci on l'a pas vu pendant une semaine. On s'est même dis, ça y est, Papire a du casser sa pipe. Que dalle ! Il est revenu en pleine forme, paré a s'en remettre une bonne et à continuer ses concerts nocturnes. Sa poule est revenu entre temps d'ailleurs, le coup du je suis au fond du gouffre depuis que tu m'as quitté bébé, j'ai failli me foutre en l'air ma vraie cam c'est toi promis j'arrête avait dû marcher.
C'est pas pour gâcher la fin du film mais elle a reprit la tangente genre deux semaines après. Le voir tout plein de vinasse toute la sainte journée ça a du être la goutte d'eau qui fait déborder le vase, surtout qu'il avait pas du mettre tant d'eau que ça dans son vin le père Papire.
Il s'est retrouvé encore une fois tout seul comme une pauvre chaussette.
Enfin il était pas vraiment tout seul, il avait ses copines les bouteilles, les voix dans sa tête et sans doute le fantôme de son chien qui le hantait.
Les semaines ont passées et elles étaient toutes pareils. Et puis un jour plus rien. Plus de bruit.
Papire s'était envolé, on n'a jamais su ce qu'il était devenu. Depuis j'ai déménagé, ça remonte à longtemps maintenant cette histoire, dix ans quelque chose comme ça, mais c'est vrai que des fois on en reparle de Papire avec mes parents. Il portait toujours des chemises à carreau et fumait des Gitanes.
Son chien, c'était un beau toutou tout noir qui s'appelait Choco.