Papy

Manon .

Besoin d'écrire. A toutes ces vieilles personnes qui ont déjà vécu tant de choses, ces personnes sages trop souvent délaissées. Il ne faut jamais les mettre à l'écart, on fini par le regretter.

Solange arriva vers la maison délabrée, deux mois, ça faisait deux mois qu'elle n'avait plus de nouvelles de son grand père. Elle l'aimait tellement. En voyant la vieille bâtisse, une vague de souvenir la submergea, elle se souvenait de lui plusieurs années en arrière, quand elle venait avec ses parents tous les dimanches, les assiettes de charcuteries, le verre d'Oasis qu'il lui servait. Mais elle se souvenait surtout de la boule à neige bleue, sur laquelle elle marquait la date à chaque fois qu'elle venait. Et du couteau de son grand père, il ne le lâchait jamais. 

Solange avançait lentement mais fermement vers la porte de la maison, cette dernière était encore moins bien entretenue que la dernière fois qu'elle était venue, un an plus tôt. La peinture était partie presque totalement, laissant des plaques grises, les fenêtres commençaient à moisir. 

Son père la dépassa, le gravier crissant sous ses pas. Elle savait ce qu'il pensait, la dernière phrase que lui avait adressé son tonton "si tu reviens je te casserai les jambes". Elle voyait son père contenir sa peur et sa rage. 

Une fois devant la porte marron, elle aussi usée par le temps et l'abandon, il frappa deux fois dessus. Laissant s'échapper deux bruits sourds, s'éloignant dans le vent. Un homme ouvrit la porte, son tonton, le frère de sa mère. Il avait toujours eu un petit air de ressemblance avec le chanteur, Renaud. A vrai dire c'était même son sosie. Il était également alcoolique, il avait le visage gonflé, rouge. Le père de Solange laissant échapper d'une voix froide et ferme

"Nous venons voir Claude. " 

Sans même attendre la réponse de Cyril, il entra. 

Solange lui emboîta le pas, l'odeur de la maison elle, n'avait pas changé. Un mélange de poussière, de tabac et de javel, elle adorait cette odeur. Elle se demandait comment la combinaison de ces éléments pouvait donner une odeur si douce, agréable. 

Son père se dirigea dans la cuisine quand sa mère arriva, le ventre de la jeune fille était noué. Elle avait un mauvais pressentiment, la dernière fois que son papy était venu la voir, il avait l'air tellement fatigué. Il avait beaucoup maigri, Solange se souvenait lui avoir touché le genoux et avoir senti ses os, pourtant il avait gardé le sourire, lui demandant des nouvelles de Kevan, lui racontant son enfance.

Elle avança vers la chambre de son grand père. Doucement elle ouvrit la porte et appuya sur l'interrupteur. Elle eut un haut le cœur devant cette vision d'horreur. Les volets étaient fermés, la moisissure s'étendaient sur les murs. Dans la pièce régnait une odeur putride, un mélange d'urine, de moisis, de vomi et de renfermé. Le lit avait disparu, du moins, presque. Le matelas était soutenu par quatre parpaings. Et sur le matelas, était roulée en boule une créature squelettique, comme dominée par la peur. Le matelas était noir, noir d'urine et d'autres excréments là où elle se trouvait. Cette vision d'horreur un être aimé dans cet état, comment se pouvait il ? Elle souhaita que ça soit un horrible cauchemar, elle voulait se réveillé. Mais c'était un cauchemar éveillé. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues. Elle voulu s'avancer mais sa mère la devança. 

"Papa, tu m'entends ?

La lèvre de son grand père bougeait à peine, ses yeux luttaient pour rester ouverts. D'une voix faible il répondit 

- Qui êtes vous ?

- C'est moi papa. Répondit sa mère en pleurant. C'est moi, ta fille, Clémence.

Le père de Solange arriva dans la pièce, 

- Claude vous me reconnaissez ?

Lui aussi fut touché par cette vision d'horreur, il pleurait comme tout le monde dans la pièce.

- Oui vous êtes Sylvain, mon gendre.

- Nous allons vous emmenez à l'hôpital d'accord ? Nous allons appelé les ambulances, ils ne devraient pas tarder.

- D'accord"

Cette vision devenue insoutenable Solange détourna son regard de son grand père, c'est à ce moment qu'elle remarqua, il n'y avait aucunes photos, elles avaient toutes disparues sauf une, la photo d'elle dans les bras de son grand père prise à son baptême était posée sur la table de nuit, face à lui.

Soudain une vague de colère la subjugua, elle sortit de la pièce et se dirigea vers Cyril.

" Pourquoi tu n'as pas appelé les urgences plus tôt ? Cria-t-elle.

Il répondit avec une froideur qui lui glaça le sang.

- Il ne voulait pas y aller. Puis il allait très bien hier.

- Et alors ?! C'est ton père! Même si il te dit non, tu dois l'aider ! Et ne me fais pas croire qu'il allait bien hier! Il est squelettique! Il baigne dans ses excréments bordel! Tu as quarante ans et tu es toujours à sa charge! Tu aurais au moins pu faire attention à lui! 

La rage la faisait pleurer, la rage et la douleur, elle le haïssait, comment avait il pu faire ça ?

- Tu n'avais qu'à venir le voir plus souvent."

Ces mots eurent l'effet d'un coup de poignard, et si c'était vrai ? Mais elle n'avait pas eu le temps avec son bac. Mais elle aurait pu venir les weekend. Oui mais les weekends aussi elle n'avait pas le temps. Ça y est elle se détestait elle aussi, envahit par la culpabilité, c'était sa faute. Elle aurait pu éviter cela, le sauver.

Les urgentistes arrivèrent, quand ils soulevèrent le corps de son grand père, le drap glissant pour laisser aux yeux de tous un être fragile, trop maigre aux hanches saillantes, aux mains géantes pour un corps si décharné, son grand père ressemblait à un de ces top modèles beaucoup trop maigres. Ils devaient peser quarante kilos tout au plus pour un mètre quatre vingts. Mais ce qui choquait le plus Solange c'était l'empreinte du corps sur le matelas, il avait dû passé toutes ces journées roulé en boule dans le noir. Qu'avait il vécu ?

Le cœur serré, Solange partit en courant, il devait se battre, il devait survivre, il ne pouvait pas partir, pas lui. Une soif de vengeance essayait de dicter ses pensées, mais la douleur, la tristesse et la culpabilité la rongeait déjà.



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