Pâques

masque

On a souvent une vision surfaite du bonheur. Hier encore, une amie me confiait combien elle était malheureuse de ne pas être heureuse. Et pourtant ! Cette fille, je la connais, elle dévore le monde et les gens avec une intensité rare. La voilà, elle, la plus vivante, à se torturer parce qu'il lui manque quelque chose. Comme si ce manque n'était pas le cadeau le plus précieux ! Comme s'il pouvait être comblé ! Comme s'il devait être comblé !

On imagine le bonheur comme un état parfait, où on se débarrasserait de ses blessures, de ses démons. Il y a du mal en nous dont il faut se purger et après, enfin, on sera bien. Et évidemment on ne se purge jamais du mal, d'où l'angoisse terrible. Pourquoi je ne suis pas heureux ? Pourquoi les choses ne vont pas d'elles-mêmes et ne s'enchaînent pas comme si tout était bien ? Pourquoi ce trou béant en moi ?

Laisse-moi te dire une chose : le bonheur n'existe pas. Mais nous avons mieux que le bonheur. Nous avons la vie. Tu as ta vie. Ta vie, avec toutes les souffrances, les joies, les espoirs qui la tissent à mesure qu'elle se déroule. Et ce chef-d'œuvre, cette partition sublime fais de toi une guerrière, une artiste, une héroïne digne d'être célébrée et chantée par les chœurs célestes.

« Être heureux » c'est absurde. On est jamais heureux. Dans toute joie, même la plus intense, il y a un fond de dégoût, un arrière-goût amer. Et dans toute tristesse, dans toute tragédie, doit se dissimuler quelque part une jouissance secrète. À aucun moment nous ne ressentons la joie, la seule joie, pure de toute scorie. D'ailleurs c'est idiot. Ce que nous appelons « sentiment de joie », comme tout sentiment, est constitué de scories psychiques très diverses. C'est une coloration interne, une tonalité d'existence comprenant une infinité de nuances – et donc du dégoût, de la frustration, de la mélancolie.

Si nos vies sont merveilleuses, ce n'est pas malgré la souffrance, c'est grâce à la souffrance. Nous sommes ses enfants. Et nous sommes beaux.

Nous ne pouvons pas être heureux. Mais nous pouvons être vivants. Nos vies sont des cadeaux que l'on dépose devant l'éternité. Des prières. N'oublie pas : les moments les plus insignifiants de ton existence ont une importance métaphysique. L'Esprit souffle partout. Tes soirées – celles où tu bois, tu danses, tu parles, tu ris, tu aimes, tu baises, tu pisses – sont des cérémonies rituelles. Tes larmes rentrées sont des offrandes.

J'ai eu 21 ans hier – et malgré le dégoût, la frustration, la mélancolie, je continue à remercier, à rendre grâce, à célébrer car je suis en vie.

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