Par delà les mers

Océane Martin Aguilera

Texte rédigé à l'occasion d'un exercice durant un cours de rhétorique classique. Ajout possible au Supplément au voyage de Bougainville de Diderot.

Amis ! Pourquoi cette agitation ? Pourquoi les voiles ne claquent-elles pas encore au bon vouloir des vents ? Pourquoi ces bavardages de ménagères aussi dévotes que sottes ? Vos âmes semblent perturbées depuis notre départ. Vos regards se dérobent, vos mains tremblent, alors que le ciel se couvre de son voile de grisaille habituel. Lors de notre première traversée, vos yeux pétillaient de courage alors que nous essuyions tempêtes et déferlantes. Vos gestes étaient assurés, fermes, dignes des marins de ce brave Ulysse, si longtemps tenu loin de chez lui par une fortune capricieuse. Quoi alors ?

Cessez donc cet affolement aussi vain qu'insensé. Sont-ce donc encore ces paroles outrageuses qui vous bouleversent tant ? Compagnons, pourquoi porter crédit aux dires d'un vieil homme qui ne sait reconnaître le vrai du faux ? D'un vieil homme, incapable de voir quels progrès son peuple pourrait être capable pourvut qu'il délaissât ses dieux et ses moeurs pour prendre les nôtres ?

Pourquoi, camarades, notre Dieu tout puissant exaucerait-il le souhait d'un fils qui n'est pas le sien ? Dieu n'en fera rien ! Tout comme il a protégé notre venue, il nous gardera de la mauvaise Fortune lors de notre retour. Nous rentrerons dans notre pays, notre France bénie, auréolés de gloires et d'honneurs d'avoir défié ces sauvages aux traditions si impies et si disparates. La honte ne nous touchera pas et l'honneur sera sauf, d'avoir vécu aussi près de l'Enfer et du vice sans le rapporter dans nos cales. Reconnus, pour notre abnégation d'avoir goûté aux affres de la dépravation, au nom de l'exploration et de la découverte.

Cette dépravation, ils l'appellent vertu. Leurs mœurs, décousues et impies, leur coûteront l'Hadès une fois venu l'ultime sacrement. Ils nous traitent de barbares, mais qui sont ceux qui épousent une soeur, montent une cousine, échangent une mère ? Ils nous traitent d'impurs, mais à qui sont ces vices qui ont détourné du regard de Dieu un de ses serviteurs ? Ils nous reprochent notre religion, mais sur leur île, qui est garant de la pureté de leurs filles ? Qui est garant de la loyauté de leurs femmes ? Personne. Ils nous reprochent nos richesses matérielles, mais ils ne vivent pas, nobles, comme des hommes. Nous ne sommes pas des Néron, emplis d'une mégalomanie et d'une psyché torturée, mais nous ne sommes pas pour autant des chiens amaigris et piteux.

Alors amis, par le ciel je vous en conjure, ne prêtez plus attention à ces sombres paroles. Faites votre devoir. Dépliez et repliez les voiles, pour qu'elles épousent au mieux les vents favorables. Voguez et travaillez, pour revoir vos mères, vos filles, vos épouses, si dévouées et si pieuses, qui vous attendent de l'autre côté de ces ondes, de l'autre côté de cet horizon. Honorez votre engagement auprès d'elles, auprès de moi, et auprès de la couronne de France !

Allez ! Retournez à vos occupations, et n'oubliez pas : honneur et gloire vous attendent à votre retour.

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