Paradis
judy-may
Mes doigts couraient sur le clavier, enchaînant les mélodies tristes. J'aurais voulu qu'elles soient joyeuses, mais la vie n'a pas été assez clémente avec moi. Autour de moi, le blanc, la pureté. Jamais je n'aurais rêvé endroit plus paisible pour jouer. Mais c'était sûrement trop paisible. Voilà combien de temps que je jouais déjà ? La vue d'un visage souriant et rassurant me manquait, je n'ai sûrement pas vu de sourire depuis mon arrivée ici. Ce lieu vide, sans autre vie que moi, un piano pour seul meuble. Suis-je condamnée à jouer de cet instrument pour l’éternité ? Et quel en est l'utilité si personne n'est là pour m'écouter ? Jouer du piano me permettait enfin de penser à rien, arrêter de me questionner pour me rapprocher d'un état qui semblerait être une paix intérieure... Mais est-ce que je veux vraiment de cette transe imposée ?
Un bruit étranger vint troubler cet état si confortable. Je cessai de jouer du piano instantanément. Des pas. Quelqu'un venait.
« Ah ! Enfin quelqu'un ! Excuse-moi de débarquer ainsi, je n'ai pas vraiment le choix. Je suis vraiment désolée, je ne peux m'arrêter de parler, c'est ma condition d'entrée, la tienne, c'est quoi ? »
La condition d'entrée, c'est vrai. Mon arrivée ici me revint en mémoire, je devais continuer de jouer du piano. Promptement, je glissai mes mains sur le clavier une nouvelle fois, laissant la jeune fille derrière moi parler dans le vide :
« Ne dis rien, je crois avoir deviné. Tu as de la chance, de pouvoir rester ici, assise. J'aime bien cet endroit, c'est calme, il y a personne. »
Eh bah on est deux maintenant, et ce n'est plus aussi calme. Un regard en arrière me permit d'identifier une jeune fille à l'apparence insignifiante, un ruban orange au poignet. Le mien est bleu. Ces rubans donnés à notre arrivée servent juste à valoriser notre vie passer. Un héros de guerre n'aura qu'un ruban blanc de plus qu'un criminel. Tous logés à la même enseigne. Je n'ai rien fais de particulier dans ma vie pour être identifiée par cette couleur qui ne m'évoquait rien. Je n'ai pas rencontré assez de gens pour connaître la signification de toutes ces couleurs. Évidemment, l'inconnue au ruban orange ne cessait de parler :
« Je suis désolée de t'embêter comme ça... Mais je n'ai pas le choix, je ne vais pas rester longtemps, ne t'inquiètes pas. Je passe juste. Mais je ne me suis pas présentée : Je m'appelle Emi, je suis arrivée à 14 ans, je n'ai pas eu de chances... Et toi ? Enfin, je suppose que tu ne veux pas trop parler, je ne pourrais que t’interrompre, je suis sincèrement désolée. »
En effet, je ne voulais pas parler, mais je fis un signe à Emi pour qu'elle s'assoit à mes côtés sur le fauteuil du piano.
« Oh ? Je peux m'asseoir ? Vraiment ? Tu es sure ? Je ne ferais que t'embêter. Mais bon, à vrai dire, je suis très fatiguée. Merci beaucoup. C'est très gentil. Dis, tu es sur hein ? Je peux rester ? Sur ? Tant mieux... Ne dis rien, je suis vraiment désolée, mais j'y peux rien du tout. Vraiment désolée. Je ne te dérange pas hein ? Et le piano ? Tu n'as pas besoin de l'entendre ? Enfin, je suppose que ce n'est pas grave si tu fais une fausse note, tant que tu joues. C'est vraiment joli en tout cas. Je dis pas ça pour te remercier hein ! Non, vraiment, j'aime beaucoup beaucoup ce que tu joues, ça me rappelle ma vie d'avant. Oh, excuse-moi, tu ne veux sûrement pas en entendre parler, c'est dur pour tout le monde. Tu es jolie, et jeune. Je crois qu'on a le même âge. Toi non plus, tu n'as pas eu de chances... Que tes cheveux sont beaux ! Noir comme la nuit, j'en ai jamais vu d'aussi long. Les miens sont tout rêches, je pourrais jamais les laisser pousser comme les tiens. Enfin, c'est pas grave, je ne vois pas souvent des gens. Oui, tu es la première personne que je vois depuis des mois. Tu es vraiment très jolie. Je suis sure que tu dois être super gentille. Pourquoi le monde est aussi injuste ! On ne pourra jamais avoir une vraie discutions toutes les deux. C'est trop bête ! »
En effet, c'était injuste, le monde ici est dur. Derrière ce semblant de ''Paradis'', se cache plutôt l'enfer, à vrai dire. Condamnée à rester ici, pour l'éternité, en sachant que tous mes souvenirs risquent de partir avec le temps... Emi à raison. Ce monde n'est rien. Mais qu'est-ce qu'on peut bien y faire ?
« Si seulement on s'était connue sur terre, on aurait pu être amie, toute les deux... »
Une idée germa en mon esprit. Désolé Emi, mais ça vaut sûrement mieux pour nous deux.
« Vraiment, c'est joli, ce que tu joues, en même temps, tu n'as pas le choix. Je ne vais pas m'éterniser ici, je t'embête trop... ? Pou... Pourquoi tu me prends le bras ? Continue de jouer ! C'est dangereux ! Mais... Que... Arrête ! C'est danger...
Un baiser. Il suffisait juste de ça pour nous rendre compte que seul le courage pouvait nous mener au paradis, après le purgatoire. J'ai cessé de jouer, elle a cessé de parler, et un sentiment est né dans mon cœur. Aussi étrange que ce soit, ce sentiment me suivra par-delà les nuages.