Paris 15h30

esprit-vagabond

Et si vous plaquiez tout pour vivre votre rêve ?

L'air est humide et froid, le temps pluvieux. Paris attend, l'orage finira par éclater. Il entre dans la gare, son dernier recours. Il est pâle, les cheveux ébouriffés, sa jolie chemise froissée avec un noeud de cravate totalement relâché. Il semble fou, peut-être l'est-il devenu ?

Il entre dans le premier train qui l'emmènera loin d'ici, loin de cette métropole. Il ne connaît pas sa destination, qu'importe il sait qu'il doit mettre de la distance, beaucoup de distance et vite. Il s'installe dans un wagon vide, sa mallette à ses côtés. Il pourrait la poser à terre, s'en débarrasser même or malgré son départ ou plutôt sa fuite précipitée, il avait quand même pris soins de l'embarquer. Après tout, depuis plus de 10 ans elle l'avait accompagné, une certaine amitié s'était développée entre eux... En plus, elle ne contenait rien mais il y tenait malgré tout. Le train démarre, il recommence à respirer.

Les arrêts défilent mais il n'y prête pas attention, ce n'est pas encore assez loin pense-t-il. Le paysage se transforme à mesure qu'il avance vers cette destination inconnue. La froide atmosphère d'une ville surpeuplée laisse place à la chaleur d'un environnement luxuriant dépourvu ou presque d'hommes. Après plusieurs heures, le train s'arrête à son terminus. Il laisse derrière lui sa cravate hors de prix, comme délivré du boulet des prisonniers.

Il sort, et est ébloui par un soleil de printemps. Il ne sait pas où il se trouve, c'est d'ailleurs ainsi qu'il considère sa vie. Un mec paumé, qui s'est perdu en cours de route sur le chemin de la vie et de ses devoirs inhérents. Au loin, il aperçoit des falaises où vient s'écraser un océan impétueux. Il s'y dirige. Il court, s'élance, c'est plus fort que lui, sa vie en dépend. Ce désir si impérieux lui fait perdre haleine dans une course effrénée pour rattraper... "Quoi au juste ?", se demande-t-il.

Il finit par atteindre la côte et s'assoit face au vent. Il ferme les yeux et attend. Il étouffait dans sa vie à Paris, ici tout n'est que paix. Des murmures lui parviennent. Il rouvre les yeux et l'aperçoit. Depuis combien de temps ne l'avait-il plus revue ? C'était sa faute après tout, il était sensé revenir mais il s'était laissé emporter par le flot de la vie. Pourtant, elle avait toujours été là, elle l'aavait toujours attendu : visage d'une femme à l'horizon. Elle avait changé. Les rondeurs de son visage tels qu'il se les rappelait, avaient laissé place aux traits délicats d'une femme. Comment était-ce possible ? Il s'était convaincu que tout ça n'était qu'une illusion puérile causée par une imagination débordante, enfin on l'avait convaincu. Il n'ose parler de peur de briser la vision qu'il a d'elle, de peur que tout ça ne soit vraiment que son imagination. Elle prend alors la parole :

—Tu as fini par revenir... J'ai cru que tu m'avais oubliée...

—À vrai dire, j'étais convaincu que tu n'existais que dans ma tête et qu'une fois adulte tu disparaîtrais. Je suis là car je me suis enfui de mon travail, et je me suis retrouvé là, comme poussé par une force intérieure.

—Que s'est-il passé depuis tout ce temps ? Demande-t-elle Eh bien, je suis parti étudier, j'ai trouvé un boulot et... j'ai pris mes jambes à mon cou. J'étais un brillant universitaire, promis à un brillant avenir. J'ai intégré une prestigieuse société mais il faut croire que cela ne me suffisait pas. J'étais devenu méconnaissable, ennuyeux à mourir, un automate sans sentiment que des devoirs... Tout me paraissait si fade, si ennuyeux et paradoxalement si stressant... J'ai eu un déclic et j'ai tout quitté. J'ai tout laissé tomber, me laissant guider par mon seul instinct que j'avais si longtemps refoulé. Et me voici maintenant, au milieu de nulle part faisant la conversation à un simple mais ravissant visage de femme à l'horizon... Ai-je perdu complètement la raison ? Bon sang, qui es-tu ?

—Ça n'a jamais eu d'importance jusqu'ici.

—Maintenant oui ! Rétorque-t-il

—C'est vexant tu sais, être traitée comme une étrangère alors qu'on se connaît depuis toujours ! Demande-toi plutôt ce que tu vas faire maintenant ? Qu'est-ce-que tu es venu chercher, toi qui m'a laissée tomber pour vivre ta vie !

—Ne m'en veux pas, je suis perdu...je ne sais plus...

—Alors je ne peux rien pour toi !

Et sur ce, elle disparaît.Et il est pris de panique. Il se redresse puis prend conscience de son geste absurde. Ce n'est pas en se levant qu'il va retenir une forme apparaissant au loin à l'horizon. Il veut l'appeler, mais elle ne lui a jamais donné son nom, connaît-elle seulement le sien ? Ça n'avait jamais compté, un nom n'est rien qu'un nom.

Il se rasseoit, las de tout. Ses yeux se ferment et il glisse dans un profond sommeil. Il rêve qu'il se trouve encore à son bureau. Il étouffe, veut sortir mais cela est impossible, aucune porte ni fenêtre. Il tape sur les murs mais en vain. Il s'éffondre sur le carrelage froid de ce bureau sans âme, la tête entre ses mains. Qu'est-ce-qui ne va pas chez lui ? Un murmure ténu lui parvient aux oreilles. Il se concentre dessus afin de mieux comprendre les paroles. C'est alors que le murmure s'amplifie, se répercutant sur les murs de son ancienne prison : "Souviens-toi de tes rêves d'enfant". Une fois ces mots compris, le rêve prend fin et il continue à dormir d'un sommeil profond. Un rayon de soleil vient caresser sa joue où commence à poindre une barbe. La brise du vent soulève ses cheveux bruns. Il ouvre les yeux, s'asseoit tout hébété, que fait-il là déjà ? Et puis il se rappelle, et prend conscience qu'il a dormi à la belle étoile ! Qu'aurait-on pensé de lui ? Il venait de partir comme un fou, avait parlé à une étrange créature et s'était endormi dans les mêmes vêtements que la veille, à même le sol...Oh et puis, il s'en moque, il sourit et éclate même de rire. Comme c'est bon de sourire à nouveau à la vie, depuis combien de temps n'était-ce pas arrivé ? Il se tourne vers l'horizon. Elle n'est pas là, et il est déçu. Tout à coup, il se souvient du murmure entendu dans son rêve. A n'en pas douter, il s'agissait de la voix de la jeune femme. "Qu'avait-elle dit ? Ah oui, "souviens-toi de tes rêves d'enfant"".

De quoi rêvait notre héros enfant ?

Ses parents possédaient une jolie petite maison près d'une falaise, où il aimait beaucoup se rendre étant petit, malgré les protestations de ses parents sur une éventuelle chute fatale... La nuit, il entendait les vagues s'échouer contre les rochers, le berçant et l'amenant dans un sommeil peuplé d'aventures et de héros au grand coeur. Le matin, il allait s'asseoir sur un rocher et racontait ses rêves à la petite fille dont le visage apparaissait à l'horizon. Quand cela avait-il commencé ? Il ne s'en souvenait plus très bien. Un souvenir vague où juste pour admirer le paysage, il s'était justement assis sur un rocher et avait regardé l'horizon. Elle était là, et depuis c'était un rendez-vous quotidien qu'ils se donnaient. Elle l'écoutait, commentait aussi ses histoires, éclatait de rire en écoutant des scènes burlesques...Bref, elle était là, elle le comprenait. Plus d'une fois, il avait voulu partager ses étranges histoires oniriques avec sa famille mais aucun ne voulait lui prêter attention. Et d'ailleurs, le jour où il avait parlé de cette fille apparaissant à l'horizon, on lui avait clairement signifié qu'il pouvait être dangereux d'avoir une si grande imagination avec une mention d'un séjour dans un hopital où on laissait les gens comme lui. Alors il continua de raconter ses histoires à la petite fille qui lui conseilla de les écrire dans un cahier pour en garder une trace. Il avait eu besoin de pas mal de cahiers d'ailleurs. Il grandit et dut aller dans une grande école car c'était comme ça que tout le monde faisait. Cependant, cette école n'était pas tout près, il devait donc dormir là-bas ce qui signifiait ne pas venir aux rendez-vous sur la falaise. Il promit de lui rendre visite, mais le temps passé loin d'elle, et le fait de n'être cru de personne, avaient achevé de le convaincre que ce n'était qu'une illusion, et une illusion qui pouvait être dangereuse. En effet, petit, il ne songeait en aucun cas à vivre loin de cette falaise, quitte à pratiquer un métier méprisé de sa famille. En dehors d'être cadre, sa famille traitait les autres travaux comme étant pour la "populace", et sa digne lignée n'en faisait pas partie ! Seul contre tous, il plia, et l'abandonna...

Il relève la tête soudainement car il vient de comprendre où tout ça l'avait mené : il se déteste. Il s'est renié. Comment avait-il pu croire qu'en devenant quelqu'un d'autre il pouvait continuer de vivre...Il entend encore cette voix lui demander : "Que vas-tu faire à présent ?". Au loin, la sonnerie du train approchant de son terminus interrompt sa douloureuse remise en question. Il se met debout et court vers le train. "Plus vite, allez plus vite" s'invective-t-il. Il atteint le train et repart pour Paris. Son visage reflète l'excitation, l'euphorie, il a du mal à tenir en place. Le train comme répondant à son impérieuse impatience fonce sans jamais s'arrêter jusqu'à la grande ville. "Etrange ! " se dit-il, "suis-je le seul dans ce train ?". Arrivé en gare, il se précipite chez lui et établit une liste : retirer de l'argent, démissionner de son emploi, déménager et trouver un autre appartement, etc. Cette liste semblait ne jamais finir mais qu'importe, il est décidé, il est plus que temps maintenant. Cela lui prit deux semaines, deux fatigantes semaines où il fallait sans cesse justifier de ce revirement à ses collègues, à ses amis et surtout à sa famille. Il avait rapidement trouvé l'endroit où s'établir, l'endroit dont il avait toujours rêvé. Il irait séjourner dans une auberge le temps de trouver l'appartement.

Il prend le train qui cette fois l'amène vers un autre avenir, plus radieux. Il descend en gare et se dirige en direction de l'auberge du village. Il dépose ses affaires, et ressort en prenant sa vieille mallette dans la main. Elle n'est plus vide à présent. Elle contient ses vieux cahiers d'histoires et de nouveaux manuscrits n'attendant que son imagination. Oui, son rêve d'enfant est sur le point de se réaliser... Le village où il avait choisi d'habiter sur un coup de coeur, se situe au bord de la mer et c'est d'ailleurs vers elle qu'il se dirige. Il respire l'air marin si revigorant, et va vers les rochers, comme au bon vieux temps. Tout en marchant, il aperçoit une personne assise sur ces mêmes rochers, et ce qu'il découvre le stupéfie. Elle est là, en train de peindre. Cette femme qu'il avait cru perdre, est devant lui, peignant un visage bien connu de lui : son propre visage. Elle se retourne, un sourire malicieux sur les lèvres : "Bonjour Alexandre, cela fait longtemps que je t'attends...".

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