Paris, le 09 juillet (6)

Fionavanessabis

Loveletter number 4. suite de Paris, le 8 juillet. Cette lettre fut écrite à quatre mains, l'un des auteurs voulut rester anonyme.

Paris, le 09 juillet

Mon cher cousin Henri,

Imagine ma deuxième vision de la perfide Albion! Elle avait répondu à mon invitation ; elle était déjà assise à la terrasse, de dos.

Je vis sa nuque entière puisque cette fois, elle avait relevé ses cheveux en un chignon désuet d'où s'échappaient des mèches, retombant sur les épaules comme une crinière. Une invitation à effleurer la ligne pure qui délimitait sa nuque, à fourrer les deux mains dans sa coiffure et la désordonner avec doigté. Ou bien à lui lécher la pomme avec fougue. Ou les deux.

Mais tu me connais, Henri, je ne suis pas ce genre d'homme. Regarder Alice me fit plutôt égrener un chapelet d'images ; qui auraient tôt fait de converger vers le tripotage de mon appareil au garde-à-vous et mon invitation généreuse à lui faire clapoter le minou.

Mais je ne suis pas plus un sauvage. Tu veux te faire une idée de la personne qui m'incita à user d'un tact tout britannique, et à déployer mes meilleures manières ? Disons qu'elle a la beauté canonique d'une femme de quarante ans, un petit nez mutin, des yeux de cocker triste qui vous regardent par en-dessous, qui donnent envie de lui relever le menton pour déposer un baiser sur la rangée des cils, ou bien au contraire de lui faire plonger la tête et de sacrifier à Vénus, et oh! la peau d'albâtre des Anglaises, les cheveux auburn, les courbes opulentes à faire damner un saint et oublier la pointure de ses chaussures. Tu vois le tableau !

Au début de notre promenade, je voulus l'emmener à la Butte aux Cailles, et nous en profitâmes pour échanger des impressions, elle sur les Français, moi sur ses compatriotes. Je l'ai taquinée ainsi, mais elle me l'a bien rendu.

Mon anglaise, lui dis-je, tu me fais rire avec tes remarques sur les Français. Et, comme je le suis jusqu'aux bouts des ongles, ne compte pas sur moi pour adopter un semblant d'humour pisse-froid à l'anglaise, la marque de fabrique d'un peuple qui n'a jamais été en mesure d'assumer sa sexualité. Alors, je vais te la jouer bien cliché sur la forme, Gaulois jusqu'au bout de mes ergots.

Il est vrai que je peux comprendre votre retenue quant à la libido. Comment ne pas rester de marbre, marque de fabrique d'ailleurs bien britannique, puisque dès Calais, on devine que les falaises de craie seront à l'avenant de vos peaux diaphanes et ne sont guère une invitation au voyage ? Enfin, non, je rectifie. C'est sans doute ce qui a poussé les plus mâles d'entre vous à prendre la mer. J'imagine l'équipage du capitaine Cook découvrant le bronze lascif des Tahitiennes. 

S'il n'y avait que le derme, je pourrais, dans l'absolu, accepter une dose d'excentricité et aller assister à une course de lévriers. Mû par un exotisme à rebours, j'accepterais les avances d'une britannique, échauffée par un éthique rayon de soleil, m'invitant par une œillade à découvrir son ondée insulaire. Il me faudrait alors passer le cap des mutations physiques que l'entre soi séculaire a généré. Je ne suis pas fétichiste et prendre mon pied avec une dame chaussant du 43 n'est pas ma tasse de thé. Et mon complexe de castration ne me pousserait guère à accepter une entente cordiale avec une dentition qui ne font fantasmer que les orthodontistes.

Elle me parla alors du coq gaulois, emblème parallèle au lion et à la licorne anglais.

Du magnifique plumage du volatile, dressé de bon matin, qui pousse son cri haut en couleurs mais dont les pattes trempent inexorablement dans le fumier...

Ce qui lui valut en retour, du coq à l'âne, une explication personnalisée de certaines expressions comme être gonflé, valoir son pesant de cacahuètes, être un Français pur jus ou ne pas être de la même trempe....

A quoi elle me dressa le portrait d'un Gaulois râleur invétéré au verbe fleuri et au grand cœur, prônant haut et fort cette idée fixe que la France est le plus beau pays du monde, avec bon nombre d'arguments culinaires à la clef !

Ce Gaulois qui décline inlassablement la liste des petits plats de la région comme une déclaration d'amour, alors même parfois qu'il est déjà engagé dans l'acte sacro-saint du repas!  Il mange, il savoure, il émaille son repas de bons mots et de commentaires de plus en plus graveleux à l'approche du dessert.  Le Gaulois et son amour des mets visqueux ; des escargots, des huîtres, des calamars, de la langue de bœuf, …et des fromages coulants !

Je la rassurai, je ne me serais pas attardé des heures à table. Le gazon de Wimbledon aurait suffi à mon bonheur.

A la Butte aux Cailles, un banc où elle refit sa boucle, une seule jambe posée sur le bois, j'aurais pu la prendre en lui retroussant l'ample jupe, afin de rendre un hommage délicat à sa féminité et se désaltérer à sa cyprine d'anglaise…lui ouvrant une perspective du même coup sur l'intérêt d'avoir développé le palais à toutes sortes de mets.

Monter les marches du passage derrière la rue des Abbesses, et prier qu'elle se fatigue, pour voir ses hanches se dérouler plus lentement encore dans l'ascension, et frémir à l'idée de la croupe voilée par ses jupes mais un peu plus dessinée suivant la marche à gravir.

Lui montrer le vieil immeuble à colombages tapi entre deux monstres modernes et comme elle ne le vit pas d'emblée, tant il est étroit, m'approcher, lui prendre l'air de rien la base de la nuque, et pointer son index vers la curiosité, en même temps que pointa mon insigne masculin, lorsqu'elle tourna à demi la tête et que j'osais lui parler presque dans le cou.

- Vous avez fait du piano, me dit-elle quand je lui tendis la main pour enjamber un parapet proéminant.

Et l'apogée, lorsqu'au sommet de la butte Bergeyre, nous contemplions, en contrebas du panorama sur Montmartre, la vue de la vigne parisienne sur laquelle je rêverais de la jeter et de l'empaler de mon piquet, dérobé aux regards entre deux rangs de vigne.

Et elle de conclure, lorsque je la raccompagnai dans le métro, la voyant fatiguée de déambuler ainsi sous les verrières des passages parisiens, et de dévaler des escaliers à la volée, que décidément, elle ne saurait rester insensible à ce Gaulois souvent drôle, gouailleur, odorant et non aseptisé, exhalant une saine animalité, vociférant des jurons de charretier mais se découvrant poète pour décrire le bouquet d'un vin, qui comme son aïeul des Gascons le cadet, a du panache, en somme.

Dommage qu'alors, sur le seuil de l'hôtel, une autre perfide se rua vers elle dès qu'elle la vit, se présenta comme sa cousine, inquiète de ce qu'à la réception on lui avait indiqué qu'elle était à l'hôpital…Le charme de la conversation avec Alice se rompit momentanément, je les laissai entre cousines, non sans me féliciter du long regard coulant qu'elle me jeta, avant de m'inviter à déjeuner le lendemain pour me remercier de la visite pittoresque.

A très vite,

Augustin


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