Paris-N.Y.1978.Ch.37

loulourna

                            

38-Paris-N.Y.1978 Ch.37

Christine culpabilisait de ne pas avoir eu le courage de rompre plus tôt. Par pure lâcheté, elle avait prétexté de la maladie d’Arlette pour fuir le moment fatidique, le face à face finale qu’elle redoutait tant. Ce 28 juillet 1978, devant la tombe ouverte de sa grande mère, Christine savait qu’elle n’avait plus d'échappatoire. Malgré les circonstances, malgré son chagrin, elle ne pouvait s’empêcher de penser à Frédéric.

Frédéric devant la table qui lui servait de bureau n’arrivait pas à se concentrer sur la pile de travail entassée depuis 2 semaines. Il tapotait sa pointe Bic sur une page blanche. Il leva la tête sur le calendrier de la poste accroché au mur. Aujourd’hui on enterrait la grand-mère de Christine. Il savait que cet événement scellait la fin de son aventure avec la jeune fille. Une parenthèse qui avait commencé dans une queue de cinéma et qui se fermait avec l’enterrement de la grand-mère de Christine. Sans se l’avouer, il espérait se tromper, mais il ne manquait pas de psychologie à ce point-là. Il aimait Christine, mais quelque chose ne marchait pas et il avait beau chercher, il ne savait pas quoi. l’éternelle histoire : l’un amoureux, l’autre pas. Christine avait toujours cloisonné sa vie et d’elle, il ne connaissait qu’elle. Tout autre que lui n’aurait peut-être pas accepté d’être livré à la volonté de la jeune fille : c’est toujours Christine qui décidait de leurs rendez-vous. Part faiblesse amoureuse il avait laissé faire. Lorsqu’il lui avait téléphoné pour lui proposer de l’accompagner au cimetière, d’un ton sec, elle avait répondu,--- J’aimerais autant que tu ne viennes pas. De toute façon ça n’a pas de sens, tu ne la connaissais même pas. C’est à ce moment-là qu’il avait réalisé qu’il était le copain qui la saute de temps en temps et qui la faisait rire quand elle avait du vague à l’âme et rien d’autre. Christine n’avait pas compris ou pas voulu comprendre que ce n’était pas sa grande mère qu’il voulait accompagner au cimetière. Il avait perdu Christine.

Toute à ses idées sur ce qu’elle considérait comme son ex-petit ami, d’une façon machinale, elle répondait mécaniquement, aux marques de sympathie d’anciens camarades de sa grande mère. Elle en reconnaissait certains pour les avoirs vus rue de Blanc-Manteaux. D’autres, des inconnus, avec une tête de circonstance lui prodiguaient embrassades et mots de condoléances. Beaucoup de monde, beaucoup de fleurs. Tous, défilaient devant la tombe et le bruit de la poignée de terre sèche jetée sur le cercueil au fond du trou résonnait douloureusement dans sa tête. Le représentant de l’Hôtel de ville, un sous-fifre quelconque, des trémolos patriotiques dans la voix faisait l’apologie d’Arlette pour son comportement courageux pendant l’occupation allemande. Il fit également l’éloge de son mari brave parmi les braves qui avec audace, sans relâche, alors même qu’il se savait traqué, éditait un journal clandestin jusqu’à son arrestation et déporté en Allemagne. Christine habillée de son tailleur noir, acheté pour la circonstance se sentait seule, définitivement seule.

Que n’aurait-elle pas donné pour être loin de tout ça.

La foule s’éparpillait, quittait le cimetière. Christine restée seule, submergée par l’émotion, avant de descendre l’allée principale, resta un long moment devant le bloc de granit. Devant des inconnus : sa famille. Céline Vandaele épouse d’Adrien Langier

1896-1942

Même pas réunie à Adrien. Noyé parmi une multitude de petites croix blanches Il reposait quelque part dans un cimetière militaire de la Somme. Céline n’avait jamais voulu le transférer. Combien de fois Christine s’était-elle promise d’aller s’y recueillir. 

Julien Langier

1915-1944

Son grand-oncle ; elle ne savait rien de lui. Arlette n’avait jamais voulu lu en parler. 

Monique Nimier

1942-1959

Dieu sait que petite fille elle avait posé des questions sur sa mère.

Arlette, avec beaucoup de réticences, lui avait un jour lâche --- elle est morte à 17 ans... emportés par la maladie.

Lorsqu’elle fut en âge de comprendre, elle s’était demandée qu’elle pouvait être l’âge de sa mère à sa naissance ? Encore un sujet tabou.

Christine se doutait que tous ces mystères devaient cacher des vérités désagréables.

Arlette Langier, épouse Nimier

1916-1977

Pierre Nimier, son grand père, mélangé à la terre de Buchenwal.

Les pensées macabres de Christine l’amenèrent à imaginer son nom sur la pierre tombale ; Christine Nimier 1957 - ... ? . À quel avenir était-elle destinée ? Le monde n’allait pas bien ; quel était l’événement qui viendrait ruiner ses propres rêves ? sa propre vie ? Deux conflits avaient néantisé trois générations et ruinés les promesses d’une vie heureuse pour combien de membres de sa famille. Elle avait parcourue les allées calmes du cimetière un grand nombre de fois. C’est là qu’elle avait préparé la plupart de ses examens. Au hasard de ses promenades, elle avait quelquefois fait des découvertes émouvantes. C’est ainsi qu’elle avait rencontré Mèlies, Edith Piaf, Courteline, Chopin, Proust et bien d’autres encore. Sa grand-mère maintenant reposait parmi ces personnages, simples mortels, et pourtant créateurs d’œuvres impérissables. À chacune de ses flâneries, malgré l’indicible tristesse qui l’envahissait immanquablement, elle n‘oubliait jamais d’aller se recueillir devant la tombe de sa famille, ou plutôt des fragments d’une famille écorchée par des événements échelonnés sur des temps difficiles.

Elle chassa ses idées noires et quitta le cimetière pour son rendez-vous avec le notaire de sa grand-mère.

Arlette avait été prévoyante. Depuis plusieurs années elle avait mis au nom de sa petite fille, l’appartement de la rue des Blancs Manteaux et la boutique avec un logement au premier étage du 4 de la rue du Renard. Les loyers étaient directement versés sur un compte à son nom. Christine ne s’était jamais préoccupée d’argent ; sa grande mère avait toujours pourvu à ses dépenses. n’étant pas un panier percé, ses besoins avaient toujours été limités. Face au notaire, elle réalisa qu’elle n’avait pas à se préoccuper de son avenir financier. Elle pouvait parfaire ses études en toute quiétude.

Un silence pesant l’accueillit lorsqu’elle pénétra dans l’appartement, rue des Blanc-Manteaux. Elle n’avait rien changé à la galerie de photos du couloir et ne le ferait probablement jamais. Habituée à vivre dans un studio elle n’occupait que la cuisine, la chambre qu’elle avait fait repeindre et le bureau qu’elle avait vidé de tous les papiers, factures et documents divers, soigneusement rangés dans des cartons qu’elle avait entreposés dans le living en attendant de les trier. Pour l’instant, elle n’en avait ni le courage ni l’envie. La lecture des lettres de Céline et Adrien l’avait suffisamment éprouvée. Une semaine avant la fin du mois, elle reçu une lettre de sa correspondante américaine ; Cathy Blackmore qui habitait Riverhead à Long Island. Elles s’étaient rencontrées par le biais de l’Education National, 6 ans plus tôt, et s’écrivaient régulièrement sans s’être rencontrées une seule fois. Un échange de photos ; c’est tout. Plusieurs fois, elles s’étaient mutuellement invitées mais pour une raison ou une autre cela ne s’était jamais concrétisé. Elles avaient trouvé une astuce pour se perfectionner, l’une en français, l’autre en anglais. Lorsque Christine recevait une lettre de Cathy, avec sa lettre suivante en anglais, elle lui retournait la lettre corrigée. Cathy faisait la même chose avec les lettres de Christine.

Cathy allait commencer des études de droit international à Columbia university. Christine s’était inscrite à Rockefeller university, pour parfaire ses études de la littérature américaine. Elle avait sauté sur l’occasion lorsque Cathy lui avait proposé de partager un petit appartement à Manhattan. Sa lettre du 25 juillet concernait cet arrangement.

Riverhead, le 25 juillet 1977

 

Ma chère Christine

Je ne sais pas ce qui va me faire le plus de plaisir ; enfin te rencontrer ou ne plus voir mes lettres corrigées à l’encre rouge. Je plaisante bien sûr ! Les photos c’est bien ; te voir en chair et en os, c’est mieux. Je suis certaine que nous allons bien nous entendre, de toutes les façons les dés sont jetés. L’appartement est loué, disponible à partir du1e septembre.

Nous avons une grande cuisine et deux chambres à coucher. Je suis sûr que cela te conviendra, ce n’est pas loin de l’université. J’ai réglé la question financière, nous ferons nos comptes lorsque tu seras ici.

Je joins à ma lettre ta réservation d’hôtel pour le 15 août.

J’ai hâte de te rencontrer, ton amie Américaine.

Cathy

Christine sourit,---Ma petite Cathy, c’est la première fois qu’une de tes lettres ne sera pas corrigée. Son sourire s’effaça,---Il me reste une dernière formalité à remplir, ce n’est pas la plus facile. Elle pensait à son rendez-vous avec Frédéric.

Ils avaient convenu de se rencontrer au Flore le vendredi 04 août pour 16 heures 30. Initialement Frédéric avait proposé de venir la retrouver rue des Blancs Manteaux. Christine avait prétexté un rendez-vous à Saint Germain. Elle se sentait plus courageuse dans un endroit public. C’était une belle journée d’été, même un peu trop chaude. Elle était venue à pied, le métro ne marchait pas, une grève qui durait depuis une semaine : reconductible avaient dit les syndicats. Cela faisait trois jours qu’ils reconduisaient. La terrasse était bondée ; les touristes venaient au Flore comme d’autres visitaient le Louvre. Dans la salle, un seul consommateur ; Frédéric assis devant un café, il ne l’avait pas touché. Christine se dirigea vers lui. Les quelques mètres pour atteindre sa table, lui parurent être des kilomètres d’un parcours plein d’embûches.

Elle se sentait coupable de jouer un mauvais rôle dans une pièce médiocre. Frédéric ne méritait pas ça pensa-t-elle. Il avait hésité avant de venir au rendez-vous du Flore. Sa façon de l’éviter depuis plus de deux mois et la tête des mauvais jours qui se dirigeait vers sa table ne laissait pas beaucoup de places à autre chose que sa mise à mort. Il se maudissait de ne pas l’avoir laissé se dépatouiller au téléphone mais la voir une dernière fois avait été sa motivation finale. Et puis, bien qu’il ne crût aux miracles, il s’accrochait à un dernier espoir.

Christine essaya de faire bonne figure.---Quelle chaleur, je suis venu à pied depuis le Marais. Je suis certaine qu’a la RATP ils ne savent pas pourquoi ils font grève, mais un mot d’ordre doit être suivi. Décidément la France restera éternellement un amalgame de corporations ne défendant que leurs propres intérêts ; chacun pour soi.

Frédéric ne broncha pas. Un autre signe de mauvaises nouvelles ; ce n’était pas dans les habitudes de Christine de râler sur les manœuvres obscures des syndicats ou de parler politique. Cela commençait mal, elle essayait de donner le change.

Il ne se faisait pas à l’idée de la perdre, et décida de ne pas l’aider dans sa démarche. ---A voir ta tête, je suppose que ce que tu vas me dire n’est pas agréable.

---Oui.

Christine resta silencieuse.

--- Tu t’en vas ?

---Oui.

---Tu pars plus tôt que prévu ?

--- Oui.

Frédéric soupira. ---Tu pourrais peut-être me dire autre chose que oui.

--- Oui.

---Dis moi un autre mot, rien que pour voir si tu en es capable.

Allez ! dis-moi tout c’est encore le mieux. Je sais que rien n’est simple dans ta tête mais tu ne m’as pas habitué à te voir aussi bloquée.

---Je pars le 5 août à New York. C’était faux ; elle ne partait que le15.

---Ah, enfin une phrase, on avance. Je pensais que tu devais partir début septembre.

Oui... mais j’ai décidé de partir plus tôt.

---Tu me fuit ?

---Non, je fuis Paris.

— C’est la même chose. Après un silence prolongé,--- Tu veux que je t’accompagne à Roissy ?

---Non.

---Ah ! La conversation évolue, nous sommes dans la phase “”non”. Je parie qu’avec ma prochaine question, tu vas encore dire non. Tu me donneras ton téléphone ?

--- Je ne crois pas que ce serait une bonne idée.

---J’ai perdu, j’avais parié sur “non”. Je suis un peu lent, mais tu es en train de me dire que tu me quittes.

--- En effet.

--- Il y a quelqu’un d’autre ?

--- Non... non, il n’y a personne, mais je pense que c’est mieux pour nous deux.

--- C’est peut-être mieux pour toi, mais je t’en prie, ne décide pas ce qui est mieux pour moi.

Christine, la tête baissée, murmura--- Si je pensais que notre relation pouvait se transformer en amitié, cela serait différent, mais je sais que c’est impossible.

--- Bien sûr que je ne veux pas de ton amitié ! Tu sais très bien que je tiens à toi. Mon rêve c’était de t’épouser et non pas devenir ton meilleur copain. Je pense qu’il vaut mieux arrêter là cette conversation. Ne te fais pas de souci, je m’en remettrai, ne t’inquiète pas, je ne vais ni te supplier ni te harceler.

Frédéric se leva,--- Je te souhaite tout ce que tu désires, mais désires-tu quelque chose ? Frédéric laissa l’argent pour son café, Christine n’avait rien pris.

Restée seule, elle se sentait idiote. Ce n’est pas ainsi qu’elle aurait voulu que ça se passe avec Frédéric et pourtant elle savait que leur histoire ne pouvait pas s’achever autrement.

Elle s’en voulait d’autant plus que sur un point il avait raison ; que voulait-elle ? Elle n’en savait rien. À l’âge ou chaque jeune fille rêve du grand amour, Christine se sentait incapable d’aimer, vraiment aimer.

En débarquant à Kennedy Airport, Christine avait en mémoire le plan de la ville. C’était simple il suffisait de visualiser une grille de mots croisés. La cinquième avenue divisait New York en Est et Ouest. Du nord au sud ; Downtown, Midtown et Uptown, comme leurs noms l’indique. D’une simplicité enfantine. Elle avait plusieurs jours de liberté et avait décidé d’en profiter pour faire du tourisme, se vider la tête des derniers événements de Paris. Cathy lui avait retenu une chambre dans un hôtel pas trop cher dans le Westside pas loin de Columbus Circle et de Lincoln Center, quartier investi par les danseurs, artistes lyriques et musiciens. C’est en tout cas ce que disait la brochure qu’elle avait consultée dans l’avion.

Lorsqu’on parle de New York, il s’agit, la plupart du temps de Manhattan. Le Queens, Brooklyn, le Bronx, Harlem, parties intégrantes de la ville, étaient dans l’esprit des touristes, des quartiers mal famés, peuplés de bandes organisées et de délinquants de toutes sortes. Verticalement, les hauts buildings donnaient le vertige. Les constructions du début du siècle inspirées des temples grecs ou des cathédrales gothiques et les immeubles Art Déco des années vingt se reflétaient dans les constructions récentes, tours de verre pour former un kaléidoscope aux mouvements perpétuels. La ville, au niveau du trottoir, était chaude et accueillante ; des boutiques comme partout ailleurs, des petits restaurants sympathiques. Où que l’on soit, le vrombissement des voitures, les klaxons énervés, les alarmes des ambulances ou de la police, participaient de jour comme de nuit à un grand concert sans fin. Ville cosmopolite par excellence, toutes les ethnies du monde y étaient présentes. Chaque quartier était une ville, un pays, une attraction. Un immense Disneyland. Little Italie et Chinatown, quartiers voisins, n’ont de mémoire d’homme, jamais eu d’incidents de frontière. En composant la Rapsodie in blue, Gershwin avait parfaitement compris la ville et l’avait simplement copié. Incontestablement un plagiat ; Jamais une musique n’avait autant collé à un lieu. Le rythme déferlant des New-yorkais arpentant vivement les rues toujours débordantes d’hommes affairés, d’employés de bureau, de jeunes secrétaires en tailleurs strictes, chaussées de baskets qui se métamorphosaient en escarpins dans l’ascenseur les menant à leurs bureaux.

Cathy avait été désolée de ne pas être venu la chercher à sa descente d’avion. Elle était retenue à Riverhead pour des raisons familiales. Christine lui avait dit de ne pas se faire du souci, qu’après les derniers événements parisiens, deux semaines de dépaysement, seul dans cette ville, lui convenaient parfaitement. — C’est exactement ce qu’il me faut pour me changer les idées. On se retrouve le 1e septembre dans le hall de l’hôtel. Elle se laissait séduire par l’un ou l’autre des restaurants exotiques qui abondaient à New York. Elle se promenait au gré de sa fantaisie, visitait les musées, se promenait dans Central Park, visitait Soho, quartier des galeries d’avant-garde, Greenwich Village, fréquenté par les étudiants de Columbus University qui était toute proche. Christine voyait des “ Parrains “ à chaque coin de rue de Little-Italy et des membres des triades aux visages énigmatiques semblaient sortir des souterrains de Chinatown. Cette semaine grisante de balades et d’exploration, marqua la frontière entre la mort de sa grande mère, sa rupture avec Frédéric et sa nouvelle vie. Elle se sentait prête à s’intégrer dans cette débordante vitalité. Samedi, premier jour du mois, comme convenu, elle attendait son amie dans le hall de l’hôtel. Cathy avait prévu d’être là vers 11 heures. Christine était excitée à l’idée de rencontrer pour la première fois celle avec qui elle allait vivre un bon bout de temps. Un peu d’appréhension aussi. Allait-elle pouvoir cohabiter avec une amie qu’elle ne connaissait que par lettres interposées ? Il était certain qu’à l’origine, la proposition de Cathy avait un intérêt financier. Question argent, les Américains étaient beaucoup plus pragmatiques, moins tortueux que nous Français pensa-t-elle. Les Américains ne stigmatisaient pas l’argent, indispensable à une vie décente. Le mythe de l’argent méprisable, une notion vieille Europe ne les concernait pas, Oui, elle était persuadée que tout se passerait au mieuxn. Elle en était là de ses pensées lorsqu’elle entendit derrière son dos, prononcé son nom sur le ton interrogatif et déformé par un fort accent anglais. Christine reconnue immédiatement Cathy. Un peu plus ronde que sur les photos, mais c’était bien elle, avec son brushing et son maquillage style poupée Barbie. Elles se serrèrent dans les bras et s’embrassèrent. Après des effusions sincères, se tenant les mains elles se regardèrent et probablement satisfaite du résultat Cathy, dans un français à couper au couteau dit, --- Allons-y, j’ai un taxi qui nous attend, et en tapotant sa poche, --- J’ai les clés.

Cathy avait terminé sa phrase en anglais. Elle ajouta,---Christine, nous sommes en Amérique, alors nous allons parler anglais. Je te promets, le jour ou je viens en France, nous parlerons français. Dans le taxi, Cathy prit la main de Christine, et celle-ci pouvait voir sur son visage sa joie sans restriction. Voilà encore une chose que je vais apprendre ici : à être un peu plus extraverti, plus expensive. Oui, elle se sentait vraiment bien. Cathy prit un petit air contrit ---Je suis encore désolée de n’avoir pas pu venir quelques jours plus tôt, mais c’était vraiment indépendant de ma volonté.

---Cathy, New York est une ville captivante, je n’ai pas vu passer le temps. Le timing était parfait, j’avais besoin de solitude.

Voilà encore une des spécialités de New York ; les embouteillages de taxis jaunes qui sillonnaient la ville dans tous les sens à la recherche d’un client. Un trajet dans un de ces voitures était un véritable rodéo provoqué par les nombreux nids de poules dus aux grands changements des climats saisonniers de la ville. Le taxi traversa Central Park à toute vitesse, sans se soucier des deux passagères plaquées sur la banquette arrière. Après avoir traversé Central Park, croisé Madison et Lexingnton, il s’arrêta net au coin de la 64e et de la troisième avenue, devant un immeuble de briques rouges d’une dizaine d’étages. Le portier reconnu Cathy, lui sourit et vint les aider à porter les bagages jusqu’à l’ascenseur. Elles explorèrent l’appartement, composé de deux chambres à coucher et d’une cuisine à l’américaine. ---Enfin chez nous, claironna Cathy, vérifions les placards de la cuisine, nous allons faire la liste des produits d’entretien et denrées alimentaires qui manquent.

Une ex-boîte à biscuit obtint le titre de caisse commune. En fin d’après midi Cathy téléphona à ses parents et Christine lui fit comprendre par gestes qu’elle descendait. En parcourant les quelques blocs de la 3e avenue elle repéra les boutiques nécessaires à leur survie. Dans un drugstore ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, elle fit quelques achats avant de remonter à l’appartement. Cathy était toujours au téléphone. Pendant que sa mère parlait, Cathy mit la main sur le combiné pour chuchoter,--- choisi ta chambre.

Christine secoua les épaules et fini par mettre ses valises dans l’une d’elle. Ce n’est qu’après avoir rangé ses vêtements dans un placard qu’elle ouvrit le double-rideau d’un rouge délavé qu’elle eut la surprise de s'apercevoir que le mur de l’immeuble mitoyen était à vingt centimètres de la fenêtre. Bonjour la vue se dit-elle, au moins je n’aurai pas de bruit.

Il lui semblait flotter dans un agréable no man’land sans antécédent litigieux, sans attaches ni contraintes. Elle se trouvait au point zéro d’une nouvelle vie. Paris était loin. Cela lui donna un sentiment de force et de sérénité et ressentit un pur moment de félicité. Cathy avait fini de téléphoner. Christine se leva, passa la tête dans l’entrebâillement de la porte ouverte de sa chambre.

--- Ce soir, je t’invite au restaurant. La façon dont tu t’es occupée de l’appartement, mérite une récompense.

Cathy se leva d’un bon. --- D’accord, je suis prête dans un quart d’heure.

Entre la 3e avenue et Lexington il y a une multitude de restaurants de toutes sortes aussi accueillants les uns que les autres. Elles choisirent un restaurant italien, d’aspect très confortable. Sur les tables, des nappes à petits carreaux blanc et rouge, sur lesquelles une petite flûte contenait trois roses. Le personnel était plus italien que nature. Elles passèrent une très agréable soirée. Christine et Cathy avaient réciproquement réussi leur examen de passage.

Le lundi matin, Christine se dirigea vers sa future école pour confirmer son inscription. Elle avait vu sur le plan qu’elle n’avait qu’à couper les deuxième et troisième avenues pour arriver sur New York avenue ou était situé Rockefeller university. Une petite marche d’un quart d’heure. Le temps était toujours au beau fixe. Les bruits et l’agitation incessants de la rue lui semblaient être une musique et un spectacle familier. Elle se sentait complètement New Yorkaise.

Pour Noël, Christine avait accompagné son amie à Riverhead et avait ainsi fait la connaissance de ses parents ; des gens sympathiques qui l’avaient accueilli chaleureusement. Son père était avocat et était très fier de sa fille, qui études finies, allait le rejoindre dans son cabinet.... du moins, il l’espérait. Et ainsi s’écoulèrent les trois mois suivants lorsque le 4 janvier Christine apprit ce que signifiait le froid à New York. Le vent glacé, venu du Labrador, enfilait les avenues de New York comme s’il s’agissait de simples canyons, transperçait jusqu’à l’os et défigurait le visage des rares passants. Le samedi 7 janvier le froid était à son paroxysme et Christine s’était bien promise de ne pas sortir ce soir-là. Ravie, rien qu’à l’idée de rester au chaud avec un plateau et un bon verre de vin de Californie, devant la télé. Rêve très vite parti en fumée. À force d’insister Cathy réussi à la convaincre de l’accompagner à une soirée chez un de ses amis très désireux de faire la connaissance de la jeune et jolie Française. ---Ce sont exactement ses paroles. Viens, je t’en supplie, je n’ai pas envie d’y aller seule... tu t’amuseras, il y aura plein de gens sympathiques.

Il était trop tard, mais Christine regrettait son accès de faiblesse et d’être venue à cette soirée totalement inintéressante... du moins pour elle. Cathy, très excitée semblait être dans son élément, ce qui était un peu normal ; le tout New York juridique et financier assistait à cette party organisée par l’un des plus grands avocats d’affaires d’un cabinet juridique important de Wall Street. Max Bannon. L’appartement était le dernier étage d’un immeuble situé au coin de Park Avenue et la 52e rue. Rien que la salle de réception ressemblait à la salle des Pas perdus de la gare Saint Lazare. Désœuvrée au milieu de tout ce monde qui parlait surtout dollars, elle se dirigea vers le buffet, ou des garçons en tenue d’officiers de marine s’occupaient efficacement des invités. Christine se fit servir une coupe de champagne. L’ennui était total. Son regard croisa celui d’un jeune homme qui semblait également s’ennuyer copieusement. Ils se sourirent mollement, sans plus, simplement parce qu’ils étaient à la même soirée et que leurs regards s’étaient croisés. Une jeune femme le prit par le bras, ils se perdirent dans la foule. Elle l’oublia. Cathy la présenta à plusieurs invités.

L’entrée en matière ne variait que très peu. ---Ah ! vous êtes Française, j’adore Paris, j’y étais il y a trois mois... et bla bla bla et bla bla bla.

--- Ah ! vous êtes Française, je raffole de la cuisine française. Et il vous énumérait des restaurants célèbres, ou Christine n’avait jamais mis les pieds, et parlaient de grands vins, que Christine n’avait jamais goûtés. Il y eut même un couple pour lui dire

--- Ah ! vous êtes Française, l’année dernière nous sommes allés en Autriche, nous sommes fous de votre cuisine.

Cathy là prit par la main et l’entraîna vers une baie vitrée qui dominait la ville illuminée. --- Viens, je vais te présenter un jeune et brillant avocat. Il vient d’être recruté, happé devrais-je dire par le cabinet de Jerry Cramer, avocat considéré comme un des grands spécialistes du droit international. Il s’occupe particulièrement des litiges commerciaux entre nation et ce n’est pas une mince affaire. Le maintien de la paix dans le monde part d’un bon sentiment mais totalement irréaliste et irréalisable. Pendant les précisions données par Cathy, Christine pensait que l’ONU était une copie de la SDN qui n’avait pas été très efficace pour éviter la deuxième guerre mondiale. Plusieurs états membres des Nations Unis sont en conflit perpétuel. On se demande pourquoi on appelle ça les nations unies. Bref ! Entre les missions d’observations, les forces de protections, les missions de vérifications des NU, le travail ne manquait pas. Les conflits sont nombreux, les commissions d’arbitrage ont fort à faire.

---Tiens, le voilà.

Christine reconnue le jeune homme au pâle sourire.

--- Sammy ! je te présente Christine Nimier. Christine voici Sammy Goldman. Je reviens de suite. Cathy disparu aussitôt. L’instant est gênant, on vous présente, vous ne savez pas quoi dire et pour être poli, on dit une banalité, ce qui ne fait qu’augmenter la gêne, surtout si votre interlocuteur répond par une autre banalité. Dans ce genre de situation il y avait longtemps que Christine avait adopté une tactique ; c’était par commencer de ne rien dire. Elle s’attendait au pire au sujet de la France. Mais non. --- Je déteste qu’on m’appelle Sammy, mon nom c’est Samuel. Vous aimeriez qu’on vous appelle Cricri ? Sans attendre de réponse il lui proposa d’aller chercher quelque chose à boire. ---Une coupe de champagne, ça vous va ?

Samuel disparu dans la foule... il ne revint pas. Elle prit la décision d’abandonner la soirée sans prévenir Cathy. Dans l’entrée elle récupéra son manteau et vit arriver Samuel avec une coupe de champagne dans chaque main. L’air contrit, il s’excusa ---Je suis désolé, j’ai été happé par une vague relation et je n’arrivais plus à m’en dépêtrer.

Christine mettait son manteau.

---Bon ! je vois que vous partez. Vous ne voulez pas boire cette dernière coupe de champagne avec moi.

--- Je regrette pour le champagne... oui, je pars, ce sera pour une autre fois. Bonsoir, dit Christine en sortant un béret de laine de sa poche et l’enfonça jusqu’aux oreilles. Elle se retrouva dehors dans le froid glacial. Elle s'engouffra rapidement dans un taxi en maraude. Elle se jura que demain dimanche personne ne l’obligerait de sortir de chez elle. Elle se réveilla vers 10 heures. Cathy dormait toujours. Christine ne l’avait pas entendu rentrer. La porte de sa chambre était fermée. Elle alla dans la cuisine et se fit une tasse de café. Dehors un temps toujours aussi épouvantable. La tête dans le sac, Cathy émergea vers midi, dans le style “” ou suis-je ? “”. Elle se précipita sur le café, comme si c’était une bonbonne d’oxygène et avec une tête de zombie vint s’asseoir en face de Christine. Après sa deuxième tasse, elle sembla reconnaître l’endroit. --- Je ne t’ai pas vu partir hier soir.

--- Non, je ne voulais pas te déranger.

--- Alors ! que penses-tu de Sammy ?

--- Samuel, rectifia Christine, sans vraiment savoir pourquoi. Elle ajouta,---Je n’en pense pas grand-chose, notre entrevue a été très courte.

--- Ce sont tous des grosses têtes dans la famille, son père est ingénieur agronome spécialisé dans l’irrigation des plantes qui poussent sans terre, ou quelque chose comme ça et sa mère est une grande spécialiste de l’économie politique ; elle fait partie de la délégation israélienne à l’ONU. Après un silence --- Il est beau garçon, tu ne trouves pas ?

À sa grande surprise, Christine se rendit compte qu’elle n’avait pas mémorisé grand-chose ; il était plus grand qu’elle, avait les cheveux blonds...ou châtain clair...non plutôt marron et les yeux...aucune idée. Par contre elle se souvenait parfaitement de son manque de savoir vivre, son arrogance.

--- Oui...peut-être, mais mal élevé. Il me propose une coupe de champagne et disparaît.

---Tu ne l’as plus revu ?

Christine souriait, ---Si, au moment ou je partais, il est arrivé avec deux coupes de champagne devant la porte d’entrée.

---Il a dû être vexé.

--- Question vexation je pense avoir eu la priorité.

Le reste de la journée se passa à traînailler.

Trois semaines plus tard, Christine et Samuel se rencontrèrent à nouveau. C’était à l’occasion d’un dîner chez Jerry Cramer. Parmi une dizaine d’invités, elle reconnu Samuel en grande conversation avec son patron. Leurs regards se croisèrent. Il entraîna Jerry vers Christine. --- Je te présente Christine Nimier. Une Française qui fait des études à New York.

--- Bien venue aux Etats Unis. Vous faites quel genre d’études ?

---Littérature anglaise, à Rockefeller university.

--- Vous devez vous sentir dépaysé, je vous confie à Samuel. Dans notre communauté d’avocats, lui seul est capable de parler d’autre chose que de procès ou d’argent.

---Samuel, je te confie Christine. Je suis désolé que ta mère n’a pas pu venir ce soir. En l’absence de ton père, j’aurais pu lui faire la cour.

Il prit la main de la jeune femme dans la sienne,---Christine, j’espère que vous passerez une bonne soirée. Excusez-moi, il faut que je m’occupe de mes autres invités. Avant de s’esquiver, il mit sa main en cornet, s’approcha de la jeune femme et lui dit en souriant ---Si un jour, vous avez un problème juridique, n’hésitez pas, regardez bien mes invités, avec chacun d’eux je vous garanti d’avoir gain de cause, même si vous êtes coupable à150 %.

Christine pensa que décidément New York avait insidieusement été envahi par toute une frange de l’espèce humaine experte dans l’art de manipuler la loi pour ceux qui avaient les moyens de payer. Elle se sentait vraiment loin de ce monde triomphant, tout en n’ignorant pas qu’avec plus d'hypocrisie ce n’était pas très diffèrent en France.  Lorsqu’ils passèrent à table, Samuel présenta le siège à Christine et s’assit à côté d’elle. Devant son air légèrement étonné, il lui montra son carton --- C’est ma place. Puis en Français. ---J’espère que vous ne m’en voulez plus pour mon manque de savoir vivre à la soirée, chez Max Bannon.

Christine avait encore du ressentiment contre Samuel. mais elle préféra jouer l’indifférente.

--- Non, pas du tout. Grâce à moi vous avez bu deux coupes de champagnes.

--- Je n’ai bu aucuns des deux verres. C’était avec vous ou rien du tout. Après votre départ, je ne me suis pas éternisé.

--- Ne me dites pas que j’ai gâché votre soirée.

--- Non, non quand même pas... mais je ne me suis vraiment pas rendu compte que je vous faisais attendre.

Christine trouvait que maintenant il en faisait un peu trop. Samuel parlait le français avec un léger accent indéfinissable.

--- Votre français est très bon.

--- Mon père est né en Belgique... à Bruxelles. C’est par lui que je parle français... et par l’école aussi. Je parle également allemand par ma mère.

--- Et par l’école aussi je suppose. ajouta Christine.

--- C’est vrai, on ne peut rien vous cacher. Je parle également hébreux, ma langue maternelle et anglais par mes études. Et vous ?

--- Je termine un master de lettres anglaises... et peut-être d’allemand l’année prochaine...ensuite je verrai ... peut-être continuer mon espagnol.

---À nous deux, nous pouvons voyager dans le monde entier.

---Même en Picardie, je parle le patois picard.

--- Formidable ! mon rêve, j’ai toujours évité Amiens de peur de ne pas me faire comprendre. Soupçonneux, il ajouta. --- C’est vrai ? vous parlez le picard ? ---

Non, je plaisantais, mais ma famille est originaire de Beauvais. Sans deux guerres stupides, je parlerais probablement picard.

---Nous en somme presque au même point. Si mes grands parents n’avaient pas été massacrés par les nazis, je parlerais probablement yiddish avec l’accent belge. Vous parlez de deux guerres stupides qui ont fait du mal à la France, pour nous une seule a suffi...ou presque.

Ces quelques mots agacèrent Christine. ---Quand vous parlez de nous vous parlez de qui ? Vous avez tendance à vous approprier toutes les douleurs de la deuxième guerre mondiale. Que savez-vous de mes grands parents et des risques qu’ils ont encourus. Vous n’imaginez quand même pas que « vous » seuls avez été des victimes. Je suis bien placé le pour le savoir. Si c’est moi qui avais dit, « vous », vous me taxeriez d’antisémitisme. Christine, la tête sur le billot aurait nié assouvir un désir de vengeance et pourtant inconsciemment, elle profita du « nous » de Samuel pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Elle était pourtant consciente que ce « nous » ne méritait pas sa vindicte outrancière.

Samuel vit Christine se refermer comme une huître. Il était consterné et ne pensait pas mériter une telle véhémence dans ses propos, mais il s’abstint de faire un commentaire. Peut-être pas aujourd’hui mais Il voulait garder une possibilité de renouer le contact. Si par-dessus le marché elle savait que c’était lui qui avait provoqué son invitation, encore lui qui avait arrangé d’être assis auprès d’elle, qu’elle serait sa réaction. Cette soirée devait être une possibilité de rattrapage et il avait échoué.

À la réception chez Max Bannon il avait été attiré par la solitude que dégageait le beau visage de la Française. Il avait été troublé, comme jamais auparavant, par quelque chose dont il ne pouvait définir la nature, après que leurs regards se soient croisés. Sur sa demande, Cathy les avaient présentés. Ses aventures amoureuses s’étaient toujours mal terminées, principalement par sa faute, par sa manie de chercher les défauts, les travers des jeunes femmes qu’il rencontrait. Sans importance pour une aventure sans lendemain, mais rédhibitoire pour toutes tentatives d’une relation suivie. Christine, rien, ni dans son physique, sa voix, ses propos ou sa démarche ne lui permettait de déceler une quelconque imperfection.

Lorsqu’il était parti chercher les coupes de champagne, il fut apostrophé par une vague relation. Sûr de son charme il avait fait une première erreur ; ne rien faire pour écourter cet entretien. Lorsqu’il revint vers Christine, elle était sur le point de partir. Aujourd’hui, sa deuxième rencontre et sa deuxième erreur. Après l’avoir remis à sa place, elle lui tourna délibérément le dos et entama une conversation avec son voisin de droite jusqu’à la fin du dîner. Samuel se maudissait mais ne s’avoua pas vaincu. Il lui téléphona plusieurs, sans succès. Samuel ne devait plus revoir Christine...du moins pas à New York.

A suivre....


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