Paris, sans rail, rit

absolu

Poinçonner son ticket, le jour commence à poindre, la vie pointe le bout de son fardeau, bateau ivre d’abus, jusqu’au havre du soir, Paris le jour, Paris la nuit, brille quand on se met au lit, s’aigrit quand on en sort.

J’étais loin d’imaginer aussi le temps de transports, les minutes qui semblent des heures, dans les escalators. Est-ce que j’ai eu tort ? Je ne pense pas. En plus, ils sont souvent en panne, alors quand on arrive à la station Gare du Nord de la ligne 4, c’est une ascension périlleuse qu’il faut entreprendre afin de ne pas se faire aplatir contre un mur, ou pire, piétiner… arriver enfin dans un long couloir chaud empli d’une odeur de caoutchouc brûlé, le métro de la ligne 4 est l’un des derniers à encore rouler sur pneus…

Porte d’Orléans - Porte de Clignancourt, les relents d’une horreur souterraine, qui font cligner les yeux en cours d’ouverture. Il ne manque plus qu’une couverture pour finir la nuit. C’est gris, c’est sale, c’est loin d’être la quête du Graal. Les rats grouillant dans les coins sombres, les râles des sans-abri se mélangeant aux ombres de la « grotte » , ça sent pas la rose, même si certaines se vendent à la sauvette. Ces roses-là, elles s’effeuillent au moindre courant d’air suspect. Ces pauvres gens-là, ils sirotent la menue monnaie récoltée dans la journée.

Fleurs du mâle – roses bon marché – trop pressé de conclure sa dernière « affaire ». Les autres – qui ont trop marché – glissent vers la cirrhose, glissent de plus en plus bas, jusqu’à ce que leurs yeux atteignent la hauteur de nos pas. « Emballé c’est pesé », est-ce encore vrai ? Les dames ne donnent pas leur poids ( ou alors c’est une balance qui les trahira). On ne les voit pas, on ne les voit plus, on se dit juste que « ça pue ». Les odeurs pestilentielles se mélangent, impossible d’en isoler une. Les questions existentielles dérangent, on se perd dans l’infortune.

Les allées pleines, les haleines chargées, la condensation embuent les fenêtres des wagons, ça cache un peu le noir du béton entre chaque station. L’on ne voit plus que la masse grouillante, où chacun se débrouille pour respirer, qui entre, qui sort, qui se resserre, qui s’éparpille, mouvements incessants des corps qui s’entassent, des hommes qui s’envient, qui s’engouffrent dans les rames, sans vie. C’est la parade matinale, c’est l’apparat des syndicats, perturbations régulières sur les lignes, « il est interdit de descendre sur les rails », c’est sûr, le rail, il vaut mieux le faire remonter jusqu’au cerveau. « Ne laissez pas vos bagages sans surveillance » , et les caméras alors, elles servent à quoi… à surveiller la libre circulation de la cam, des rats ? Faudrait voir à s’calmer, on peut pas faire un pas sans voir un message de mise en garde, sans être réveillé par une voix digne des micros de grandes surfaces qui « demandent Janine à la caisse 24, Janine à la caisse 24, merci », comme si la dame parlait dans un mouchoir qui lui aurait préalablement servi à recevoir le chagrin que la mort soudaine de « Bryan » – dans le 5687ème épisode des « Feux de la Gloire » alors qu’il venait d’apprendre que « Barbara » était enceinte de lui – lui aura fait versé pendant sa pause déjeuner. Mesdames et Messieurs qui prenez le micro pour faire des annonces Gare du Nord, s’il vous plaît, videz votre bouche avant d’parler…

Dans le même genre, y a les messages des conducteurs de trains qu’on essaie invariablement de déchiffrer derrière les grésillement et le sifflement douloureux du micro. On devine, on déduit, qu’il excuse l’arrêt du métro en plein trajet, mais au moment où le message est diffusé, le métro repart… Enfin, ça part d’un bon sentiment, c’est déjà ça..

Sombre le tableau, en noir et blanc, nuance de gris, c’est normal, en hiver c’est tout pourri. Faut voir avec la lumière estivale, le défilé se transforme en carnaval. Enfin, remarquez, la différence c’est l’étendue de chair dévoilée, qui laisse son empreinte humide d’avoir sué.

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