Paris, ville d'amour

arthurm

Je me souviens très bien de la première fois où je suis rentré dans ce bar, en plein coeur de Paris. Il faisait une chaleur étouffante dehors, comme quand on plonge le visage sous l'aisselle d'une femme qui sort d'un match de tennis.

A l'intérieur, le barman, un italien, sapé comme un milord, exhibait une couronne de poils bruns par le V de son col ouvert. Une espèce de musique mi-rock mi-rien du tout résonnait, au comptoir deux piliers sirotaient du berger blanc sec. Typiquement le genre de lieu où deux genres de personnes entrent. Ceux qui se sont perdus, et qui repartent aussitôt, et ceux qui connaissent l'endroit et viennent croiser des types qui sont comme eux, ou pire, et qui s'en foutent.

Pour vous faire une idée, dites-vous juste que cette place n'est même pas un endroit où vous vous arrêteriez pour commander un perrier-citron afin de satisfaire un besoin pressant. Je dis ça en connaissance de cause, parce que c'est comme ça que j'ai connu le troquet.

J'étais dans le métro, je rentrais d'une journée de stage particulièrement éprouvante, et là, le truc que je déconseille à tout le monde, le ventre qui se tord, une flèche de douleur qui te transperce le bide et qui remonte le long de la colonne vertébrale, accompagnée d'une sueur froide, le tout débouchant sur une envie de chier ses tripes quasi-instantanée qui te ferait pleurer si tu as le malheur de te retenir.

Pas le choix, descente du tube au prochain arrêt, quelques secondes d'immobilité afin de raisonner tes intestins, et hop, direction les escaliers en vue de la sortie à l'air libre et la recherche d'un bar. Et là, je le vois, tout miteux, tout crado, parfait.

Je traverse la route, rentre, commande un truc et file aux chiottes en suivant les indications du barman sur le trajet à suivre. Je finis par y arriver, en bas d'un escalier, et j'ouvre la porte.

Vision d'horreur, de quoi te faire sortir par la gorge ce qui t'encombre les abats depuis quelques pénibles minutes. Aucun doute, même la soutane d'un prêtre est plus propre, et de loin. Je ne dis pas ça par esprit de provocation, juste que si vous pouviez voir ces gogues..

C'est aux lieux d'aisance dit-on, qu'on reconnaît la qualité d'un établissement. D'origine turque, le trou encerclé de faïence, surplombé par multitudes de posters, de concerts, de stars du X, de graffitis, et autres numéros de téléphones laissés là par des homos refoulés ou des célibataires aigris et plaqués de fraiche date semblent attirer toutes les misères du monde.

J'en parle comme si j'y avais passé ma vie, mais le tout n'a duré que 10 secondes, en étant large. Plus envie. Le remède absolu. Vite remonter. Échapper à ça.

Je suis alors remonté, et j'ai regardé mon perrier, avec un oeil vide. Je ne pouvais pas boire un truc que j'avais commandé pour aller visiter l'enfer. Une main qui se lève, un appel bref et le rital se pointe devant moi, sourire aux lèvres, m'enlève mon verre sans rien dire, le vide dans l'évier et me sert une bière dans le même verre. Il me la pose devant moi, et me sort, comme complice :

« -celle-là elle est pour moi. Je sais ça fait un choc. »

 Celle-là, je l'ai pas volée. Quatre gorgées plus tard, le verre est vide. Levage de bras, la même. Le verre est envoyé au lave-vaisselle, j'hérite d'un vrai verre, comme un signe imperceptible que je suis digne de ce rade. Première rasade, la brassée est vidée de moitié. Je sors un paquet de clope et sort, sans un mot, sur le trottoir profiter de la vue des nanas qui passent, jupe en étendard, sous mes yeux de constipé subit.

L'italo me rejoint, allume une tige aussi, puis tire deux chaise, sur lesquelles, toujours sans un mot, on se pose et se place de manière à avoir le front au niveau du bord des hauts des bas des femmes qui passent.

« -on se connait pas, mais un type qui reste boire une bière après avoir vu mes chiottes mérite que je lui parle. T'es mon invité ce soir, et discute-pas le principe. Si t'es sage, je te dirai même où se trouvent les vraies toilettes, celles réservées aux clients. »

 Qu'est-ce que tu veux répondre à ça ? Que tes entrailles malades sonnent l'halleluiah dans ton bide ? Que de toute façon sa bière est tellement infecte qu'elle porte en elle un problème plus urgent, à savoir celui de comment réparer l'oesophage à court terme ?

Dans le doute, j'ai rien dit, me contentant de tirer sur ma blonde, en regardant passer la faune.

J'aurais dû, je pense, me douter de quelque chose, quand les deux piliers sont sortis eux aussi, avec un sourire goguenard et la bosse au froc, prêts à pourfendre la malheureuse qui viendrait demander son chemin. Avec des lurons du genre on est prêt à tout ou on est prêt à rien, et ils sont de la première trempe. Le scénario est bien rôdé, le rital repère une pouliche, se lève, lui sourit et s'approche d'elle. Forcément séduite (il dégage quelque chose de presque animal le bougre !) il la prie d'accepter un verre, elle le laisse avancer, lui parler et lui offrir un verre, finalement.

Et c'est là que, malgré moi, je suis entré en scène. Comme une espèce de cousin un peu perturbé, de quoi attirer l'empathie. Et le tour est joué, avant d'avoir eu le temps de dire ouf, la fille se retrouve avec un verre entre les mains, qu'elle boit de bonne grâce, ignorant la ciguë, ce qui a pour effet immédiat une légère euphorie, et dans le quart d'heure qui suit, la plus belle salope que vous ne verrez jamais, en train de jouer les contorsionnistes dans les chiottes du bar, entourée comme il se doit des deux piliers, voir du patron lui-même, pour le fun, quand il ne tient pas la caméra..

A vrai dire je ne sais pas pourquoi je raconte ça, parce qu'il n'y a aucune gloire, ni aucune fierté à avoir, et de plus, j'écris de la petite table du fond, dans le bar, sur les lieux même du crime, où je joue depuis des semaines maintenant mon rôle à la perfection, moyennant une consommation sans modération et à l'oeil.

Je suis retourné dans ce bar tous le jours depuis, et sans trop connaître les Lois, je pense que je suis à moitié complice de ce qui se passe ici. Mais que voulez-vous, personne ne bronche quand tout le monde y trouve son compte. La touriste piégée visite un Paris qu'elle ne connaissait pas, le patron arrondit ses fins de mois en vendant ces petits films sur Internet, les deux porteurs de poutre poutrent, et moi, assis à ma table du fond, je bois comme un trou, sauvant ma conscience en me disant que ce que j'engloutis finira par ruiner le bistrot. Certaines journées particulièrement chanceuses, quand trois, ou quatre filles franchissent la porte, je redouble d'effort et je suis prêt à parier que, une fois de retour chez moi, j'ai avalé la moitié de l'Atlantique, facile.

Chacun sa vie après tout, je vais pas m'en aller chier sur le fonctionnaire ou sur le président de l'Assemblée Nationale qui mate des matches de foot pendant les séances du parlement.

Un beau jour calme, voilà le rital qui me lance :

 « -Eh le puits, ça te dirait pas d'oublier ton verre un de ces jours et de venir remplir un con rose et chaud ? »

 Je le regarde, et je dis rien. Je parle pas beaucoup, faut dire, quand je « travaille ». Je réponds pas surtout parce que de toute façon je suis tellement saoul du soir au matin et vice-versa que je suis incapable de bander, quand bien même la nana aurait la chatte la plus serrée qui soit. Plus la force de grand chose, à part de lever le coude. La vie est une question de priorité mon gars, retiens-bien ça. Pour ma décharge, on va dire que je suis en deuil, aussi.

 Ludivine, ou Morgane, à moins que ça ne soit Sarah. La féline. Une de celles que la Nature essaie de copier à chaque printemps sans jamais réussir. Une de celles qui sont à elles-seules un univers. Une de celles qui font bander jusqu'aux pédés. Elle était entrée dans le bar, pas pour demander son chemin, pas pour aller aux chiottes, mais parce qu'elle aimait les rades pourris, qui sont toujours le signe de discussion et de verre pas cher. Elle est entrée et même la musique a fermé sa gueule. Elle a commandé une pinte qu'elle a vidé en deux minutes. Même la musique continuait à fermer sa gueule. Elle a sourit à tout le monde et même la musique a eue la trique de sa vie en balançant, comme ça, sans prévenir « like a virgin » de Madonna.

À l'intérieur, l'air était plus lourd que le ciel du périph, on aurait pu découper la testostérone au couteau. Truc de fou.

Évidemment, elle est passée par les chiottes.

Évidemment, elle est restée entre deux actes rangée entre le mur et le trône de faïence parce que le patron a eu la main lourde, il voulait en profiter longtemps.

Évidemment, il a fallu la déposer quelque part dans une petite rue à la fermeture.

Évidemment, je n'ai pas bronché.

Évidemment, anonymement, j'ai appelé une ambulance et je l'ai veillée toute la nuit durant sur son lit d'hôpital où les infirmières trouvaient que j'étais bien gentil de rester comme ça, auprès d'une inconnue, que j'étais certainement un saint, au bas mot, et qu'elles prieraient pour moi dès qu'elles en auraient l'occaz'.

Quand elle s'est réveillée, les flics étaient là, tout en carnet, stylo et képi. Elle ne se souvenait de rien, elle m'a regardé et pas de réaction.

La bonne affaire. Dans ma tête, j'avais déjà arrêté de boire, j'avais ralenti, en tout cas, je vivais avec elle, on avait une armée de marmots, elle m'aimait, ce qui est bien légitime, je lui ai sauvé la vie, après tout.

Quand elle est sortie, on a continué à se voir, entre mes heures de présence au bar. L'enquête piétinait, ce qui m'arrangeait pas mal. Quant à savoir si j'avais des remords de lui mentir, à elle, pas du tout, j'avais surtout la preuve tangible que j'étais vivant et bien vivant, un barreau de tous les diables, et on en dit ce qu'on veut, ça te donne une espèce de confiance en toi, cette merde, autant en profiter.

Ça devait faire une bonne dizaine de jours qu'on se fréquentait, et j'avais sorti le grand jeu, parce que ce soir, clairement, on y allait. Dans ma tête en tout cas, c'était déjà prévu. Et ça envoyait du gros.

Première étape, le bar, mais le bar classe, loin de ce que les souvenirs pourraient faire remonter. Je m'étais sapé d'un costard de location, gomina aux cheveux et tout le barda. Bref, l'alchimie. Tout se passait comme sur des roulettes, et elle me dévorait des yeux, je sentais bien dans ses gestes, son attitude, qu'elle se sentait en confiance et que si je m'étais approché pour l'embrasser, elle aurait répondu par l'affirmative.

Deuxième étape, le resto, et là, magie. Souriante, charmeuse, féline comme la première fois que je l'avais vue. Drôle, attachante, intelligente, vive, simple, naturelle, le repas était plus que fade à côté d'un seul de ces battements de cils.

Quand nous sommes sortis, on est allé se balader sur les bords de Seine. Je cheminais dans ma tête le scénario de comment j'allais lui prendre le visage pour déposer sur ses lèvres les miennes. Et puis au bord de la jetée, au milieu des éclairages lancés par les bateaux mouches, je l'ai prise par les hanches et je l'ai embrassée. D'abord surprise, j'ai senti ses lèvres dessiner un sourire. Je l'ai donc serrée un peu plus fort, pour coller mon bas ventre contre le sien.

Elle a bien sentie que j'étais un mec, un vrai. Pour lui montrer que j'étais fort, que je pouvais la tenir fermement, je l'ai tenue fermement, maintenue contre mes reins, qui tressaillaient déjà, frottant contre mon caleçon. Elle a fait mine de vouloir sortir de l'étreinte, et a même commencé à jouer, en dégageant ses lèvres de ma bouche gourmande. J'ai souri et répondu au jeu, en continuant à la serrer plus fort, à me déplacer pour la plaquer contre le mur.

Elle a sorti ses griffes, a ouvert ma chemise à coups d'ongle, faisant sauter les boutons et lacérant mon torse. Putain que c'était bon. Je pouvais pas rester sans réagir, j'ai commencé à la peloter comme un malade, le souffle court, l'embrassant toujours.

C'était très animal, très bestial, je savais bien que c'était le bon moment. Je n'avais pas imaginé ça comme ça, mais ça me convenait.

J'ai dégagé une main, baissé mon froc et sorti mon mandrin. Dans la magie du moment, elle s'est mise à pleurer, tremblant littéralement d'excitation. J'étais à deux doigts de faire pareil, remarque. Quand je l'ai prise, elle a arrêté de se débattre, se laissant faire, une poupée gonflable chaude et moite. Ça n'a pas duré longtemps, mais bordel que c'était bon.

J'ai joui, je me suis retiré, et pendant que je glissais ma nouille dans son étui, j'ai vu son genou remonter et me faire rentrer les couilles au niveau du pancréas. Douleur blanche, et puis le SM, pas mon truc du tout, mais bon, allons-y. Je lui en ai mise une, puis une deuxième, elle est tombée, et pour être sûr que l'affaire lui plairait, je lui ai craché dessus.

 « -Porte-moi jusqu'à la Seine, s'il te plait. Jette-moi et laisse-moi sentir l'eau sur ma peau. Tu as été trop bon, j'ai joui comme jamais, je veux me baigner maintenant. »

Vous savez ce que c'est, quand on est amoureux, on fait ce que femme veut. Je l'ai prise délicatement et jetée dans la Seine, et je l'ai regardée sombrer dans une apnée, aspirée par l'ivresse des profondeurs. J'ai attendu un peu, puis j'ai pris le chemin du retour. Qu'elle nage tout son saoul, on se reverra bien demain, ou un peu plus tard. Elle reviendra, puisqu'elle m'aime, et que moi aussi.

Finalement, je ne l'ai jamais revue, j'ai donc repris mon poste au bar, sans prendre de pause, et, quand j'ai terminé ma journée de taff, je me balade de temps en temps le long des quais, en espérant la revoir, courant vers moi.

Je suis en deuil donc, et depuis je ne bande plus, je bois en l'attendant.

Que feriez-vous, vous ?

Je ne suis pas infidèle.

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