Parler

luxaeterna

Je les regarde attentivement, prenant quelques secondes à affronter mon regard aux leurs, séparément. Je me rends compte de notre situation déplorable. Ma bouche s'est enfermée dans le mutisme, le langage n'étant devenu que purement phatique. Je me demande pourquoi les gens s'obstinent tellement à parler pour ne rien dire. L'échange de regards, les gestes, les faits, donnent bien plus à voir que des mots incohérents, d'une simplicité ridicule et uniquement nécessaires à combler le vide. L'ennui. Car comme le dit si bien Baudelaire, il est le pire ennemi de l'Homme. Ainsi, celui-ci s'offre à une diversité de divertissements pour oublier qu'il est seul. Les gens s'agglutinent pour se faire croire que d'autres tiennent à eux. Ils tentent de se trouver des points communs, toute chose qui pourrait les pousser à se revoir, échanger un numéro. La technologie, à nouveau une échappatoire puérile. Être connecté pour ne pas se sentir déconnecté de la réalité. Des chaînes d'info qui déballent des horreurs auxquelles nous ne pouvons rien faire, nous tiennent au courant, nous rapprochent face à des choses mondialement connues, offrent la possibilité de naître une conversation. Des conversations vides de sens puisqu'elles n'aboutissent qu'à des points de vue divergents abjects, et parfois des cris. Alors, on essaye de bien faire, d'être poli, de ne pas trop monter le ton. On a peur du regard des autres, on a honte d'être nous-même, et cette manière perpétuelle de nous cacher amène la plupart d'entre nous à passer notre vie sans nous connaître vraiment. La norme, simple moyenne mathématique, nous enferme dans un étau de plus en plus serré. Le monde devient manichéen. Religion, orientation sexuelle, politique, tout est devenu bon à désigner comme coupables. Car les gens sont tristes. Ils tentent désespérément de se rapprocher de l'idéalisme, ce qu'ils appellent utopie inaccessible, de leur film ou de leur roman préféré. L'amitié, l'amour sont devenus des stéréotypes. On a besoin d'être passionné, envie de s'investir pour une cause, comme tout le monde. Les gens sont des acteurs de leur propre vie. Ils ont besoin de se sentir importants, alors ils aident les autres, certains simplement pour se donner bonne conscience, d'autres pour tenter naïvement d'être quelque peu utile au sein de ce non-sens et de l'absurdité de ce qu'on appelle notre monde. Je les regarde parler et j'aimerais être seul. Ce soir, j'irai marcher sur la plage. Un seul jour de plus et les nerfs auraient lâché comme ils lâchent si souvent quand je suis seul. Un jour de plus et je serais parti à la plage et ne serais pas rentré au petit matin. Je suis dans le train et je rentre chez moi. Je regarde le paysage défiler par la fenêtre et je me rends compte que je ne comprends plus ce monde. Je tente désespérément d'être raisonnable, de penser que cette prise de conscience soudaine n'est que passagère. Que les autres aussi doivent être perdu au milieu de ce monde, de cette chose, cette sorte de bulle opaque qui nous entoure, qu'on aimerait briser, pouvoir simplement passer sa main au dehors, sortir de ce cauchemar et toucher rien qu'une fois l'air du réel. L'atmosphère pure qui me permettrait de respirer. 

Je veux m'envoler.

Je veux vivre.

Je ne veux plus parler. 

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