Parodie contemporaine du mythe d'Oedipe

Hen'sen No Tenshi

Laho, le roi de la voltige, des acrobates, des trapézistes séduit un jour la jeune et jolie Joca. Cette stagiaire journaliste a pour mission d’écrire un article sur le grand cirque Alexis Guss, et plus particulièrement sur le bel athlète : Laho. Après une courte et intense union, ils se séparent sur les conseils avisés de la voyante, médium, médisante, conteuse d’histoires Delfouette surnommée ainsi à cause des vapeurs pestilentielles qui la précèdent et annoncent son arrivée.

« Elle pue mais elle est chouette ! Elle lit l’avenir dans tes chaussettes ! Voici la fameuse Delfouette ! »

Mais il faut bien reconnaître que, par certains côtés, elle fait Pythié Delfouette.
Le soir où Laho était là-bas, dans l’antre puant de la medium, elle lui tint à peu près ce langage :

« Dis donc Laho, ta Joca c’est vraiment un cas, mais un cas pas jojo du tout ! Elle ne t’apportera que des ennuis ! D’ailleurs, si tu as un fils avec elle, il te tuera et l’épousera. »

N’importe quoi ! Et l’autre là-haut, Laho, il l’a crue.
Joca, accroupie et nez pincé, écoutant leurs propos, en reste abasourdie :

« Mince, pour moi, c’est cuit ! » et elle s’enfuit.

Bref, ils se sont séparés, lui continuant ses voltiges, toujours plus haut, toujours plus dangereux. Petit détail, neuf mois plus tard, elle met au monde un garçon qu’elle décide d’abandonner en suivant le célèbre principe « Faites des crêpes, pas des gosses,

c’est meilleur et puis en plus ça ne pleure pas ! », elle déguste donc une crêpe au Nutella en prenant sa décision. Prête à larguer son enfant, qu’elle transporte dans un cageot, Joca cherche un endroit propice. Passant devant la salle des fêtes, elle entrevoit une scène décorée et allumée. La salle étant vide, Joca entre, s’apprête à poser l’enfant en coulisses, mais entendant du bruit, elle suspend précipitamment le nourisson par les pieds à un projecteur et s’éclipse. Quelques heures plus tard, l’acteur déguisé en berger pénètre sur scène, aperçoit l’enfant aux pieds enflés pendu au projecteur et se dit :

« Oh ! Un bébé aux pieds enflés pendu à un projecteur ! Je vais l’appeler Œdème ! »

Après une certaine hésitation, il décide de mettre Œdème en vente sur Ebay afin de pourvoir à ses besoins de pauvre intermittent du spectacle. Les réponses ne tardent pas à affluer, les enchères grimpent, pour finalement attribuer Œdème au fameux propriétaire du prestigieux cirque Alexandro de Quincke. Le petit Œdème de Quincke est élevé dans l’amour de ses parents, entouré d’artistes, de comédiens, de musiciens, de magiciens, qui arrivent de toutes parts. Des Rhums, dont la sobriété n’est pas exemplaire ; des Chinois contorsionnistes ; des Russes, avec des hauts et des bas ; des etc.… Les Rhums clandestins de Rhumanie, sont accusés de beaucoup de maux par les autres communautés, quant au petit Œdème, éduqué dans ce milieu cosmopolite, il grandit et devient untrapéziste de haute volée. Le docteur Toto, qui soigne même les animaux, est d’un grand secours pour rétablir Œdème lorsque celui-ci chute. Ainsi, sur le chemin de la vie, Œdème rencontre des personnes aidantes et compréhensives, comme d’autres qu’il n’apprécie guère. Il faut dire aussi qu’Œdème, très complexé, prend le contre-pied et en fait toujours trop, si bien qu’à cause de son succès croissant, il a les chevilles qui enflent. Œdème a soif d’indépendance et de gloire, c’est pourquoi il se fait embaucher par le célèbre cirque Alexis Guss et son fameux directeur intransigeant. Laho, clopin-clopant, dans le soleil et dans le vent, ressasse sans cesse ses malheurs. En effet, appuyé sur sa jambe de bois, Laho est tombé de très haut, et se retrouve bien bas. Le boiteux, acariâtre, à cause de son allergie au plastique, ressemble à un vieux pirate vociférant partout des ordres. Lorsqu’Œdème se présente à lui, Laho se donne pour mission de rabattre le caquet de ce jeune impudent, et il se tue à la tâche, pour ainsi dire. Pour cela, il harcèle Œdème, tout est bon : injures, ironie, allitérations, anaphores, répétitions, associations burlesques, antiphrases, tonalité héroïcomique, humour décalé, parodie, moqueries, antithèses, hyperboles et métaphores hyperboliques, il va même jusqu’à utiliser l’oxymore ! Là c’en est trop pour Œdème qui décide de faire tomber Laho de son piédestal. L’ancien voltigeur, devenu dresseur de fauves, allume une énième cigarette pour tenterde calmer ses colères. Œdème, lui aussi, décide de calmer cette colère, c’est pourquoi, sournoisement, il libère les fauves affamés sur la piste aux étoiles où Laho est dans la Lune :

« Je vous le livre avec le cure-crocs ! Bon appétit. Adieu Laho, nous nous reverrons dans l’au-delà ! »

Sur ce, les félidés déchiquettent patiemment, avec un plaisir non dissimulé, triant les tendons, les muscles et prélevant goulument la chair, se léchant les babines. Soulagé, Œdème reprend son train-train, à nouveau perturbé par le manque d’organisation et de direction du grand cirque. Une réunion est mise en place pour désigner le nouveau chef. Le doyen, Sphux, le vieux clown auquel on n’apprend pas à faire des grimaces propose une devinette :

« Qu’est-ce qui a quatre pattes le matin, deux à midi et trois le soir ? »

S’ensuit un intense moment de réflexion, troublés par des réponses fantaisistes telle que « L’Homme »

N’importe quoi ! Tout à coup, Œdème a une illumination, la réponse lui paraît évidente :

« Un livreur de prothèses faisant la tournée des hôpitaux qui doit en livrer quatre le matin, deux à midi et trois le soir ! »

Et Sphux de s’exclamer : « C’est exact ! Tu es notre nouveau chef ! », puis le clown tombe en arrière, mort de rire.

Au sens propre, il a tellement ri, que son cœur à lâché. Tous les artistes, ou presque, reprennent de plus belle l’entraînement en vue du « Gala de l’union » qui sera présenté dans peu de temps à la télévisionafin de renflouer les caisses des œuvres sociales de l’Union des artistes.

La fête bat son plein, les stars font leur cirque, et c’est là que la célèbre Joca arrive, chargée de couvrir l’évènement médiatique. Sa carrière fulgurante a fait d’elle une des journalistes les plus recherchées, malgré son âge avancé, son ascension demeure fulgurante.

« Mais, dit-elle, je ne vieillis pas, je traverse le temps.  »

La chirurgie esthétique fait des merveilles, les coiffeurs, esthéticiens, stylistes, diététiciens sont à leur affaire. Notre cinquantenaire, la véritable femme cougar est lâchée sous le chapiteau de l’Union.
En parlant d’union, Joca repère rapidement sa proie, qui n’est autre qu’un charmant voltigeur, Œdème, qui plus est directeur du cirque.
Son ambition est à son comble, cette aventure fait écho en elle, mais elle ne se souvient plus, perdue dans la quantité astronomique d’aventures qui ont forgées sa vie. Très séductrice, notre Joca cougar commente le spectacle, riant haut, parlant fort, usant de gestes et d’expressions diverses et variées :

« Hahaha ! Je suis Aimdéair (MDR) ! », regardant avec insistance Œdème de Quincke.

Le cinquantième Gala de l’union se conclut par une union : « Joca + Œdème = Amour » est gravé à jamais sur l’un des piliers du cirque. Mais peu de temps après, le sort semble s’acharner sur le cirque Guss, en effet, les élections ont pris fin.
Dorénavant, non seulement les intermittents n’ont plus aucune garantiesde salaire, mais en plus, les Rhums et autres « étrangers » sont renvoyés aux frontières, vidant le cirque de la plupart de ses artistes. D’autre part, les animaux attrapent et transmettent la leptospirose. Tandis que Joca voit apparaître un cheveu blanc et quelques rides, elle entame une dépression. Bref, la catastrophe. La seule à être épargné à la fois par les autorités et par la maladie se trouve être Delfouette, sans doute protégée par son halo odorant. Assistant à ce désastre, la vieille Delfouette veut éclairer Œdème :

« Je l’avais bien dit bouffi ! Tu as tué ton père et couché avec ta mère, et maintenant c’est la misère ! 
- Et en plus ça va être ma faute !, s’indigne Œdème, Ah ça, j’en ai ma claque ! Je retourne chez les de Quincke ! »

Joca, bourrée de cachets, anxiolytiques, calmants, antipsychotiques, antirides et autres met fin à ses jours en voyant apparaître son second cheveu blanc. Elle demande à être recouverte intégralement de cire, afin de préserver son visage et son corps pour les générations à venir, prête à rejoindre le fameux musée Grévin. Œdème, qui souffrait de ses enflements de pieds, se trouve tout à coup avec des glaucomes aux yeux, et perd la vue, il retourne alors à tâtons chez ses parents acheteurs et finit sa carrière de trapéziste les yeux bandés.

« Et voilà la fin de la tragédie. Œdème réalisa avec stupeur que ce que je disais était vrai, et il jura un peu tard que l’on ne l’y prendrait plus. » conclut Delfouette.
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