1 - Cercles Concentriques

jadedm

Chapitre 1 du roman - Un tant soit peu d'amour

L'aurore, cette lueur brillante et rosée, moment de transition entre l'aube et le lever du soleil, nimbait l'océan de couleurs chatoyantes, semblables à celles des fuchsias ornant les routes irlandaises. Il faisait chaud en ce mois de mai, et la pluie qui s'était abattue quelques jours plus tôt, nous avait oubliés pour le moment. C'était un temps idéal pour aller se promener sur la petite plage de Nore. 

  Comme à son habitude lorsque le climat était favorable, Ms Brennan avait chaussé ses bottes délavées par de nombreuses virées. Habituellement, la vieille dame allait se promener le soir, avant que la nuit ne tombe complètement, lors de cette heure entre chien et loup. Cette fois-ci, pourtant, elle était rentrée trop tard de son rendez-vous médical et n'avait pas pu y aller. 

  Ainsi, au petit matin, elle était sortie de chez elle à la hâte, impatiente de prendre l'air et de profiter de cette journée qui s'annonçait splendide. Elle avait parcouru quelques mètres et était passée sous la grande arche en pierres roses, dernier vestige de l'enceinte d'un château, dont le sentier permettait à présent de se rendre à la plage en contrebas. Le chemin serpentait entre les herbes hautes, dévoilant au détour d'un virage une pittoresque étendue de sable fin. 

  Bien que sa vue soit loin d'être parfaite, Ms Brennan m'aperçut tout de suite, malmenée par les vagues qui se brisaient sans ménagement sur mon corps inerte. Son pas se fit plus pressé, et lorsqu'elle comprit que sa vision ne lui jouait pas de mauvais tour, elle se mit à courir. Sa silhouette se dandinait, tantôt à droite, tantôt à gauche, tandis que ses petites jambes trapues et bancales s'enfonçaient dans le sable, manquant de lui faire perdre l'équilibre. Quelques mèches folles s'envolaient de son chignon pourtant bien tiré, et des cris de mouette sortaient de sa gorge. 

  Elle arriva alors à ma hauteur et se laissa tomber dans le sable. Elle tenta à plusieurs reprises de me retourner, tout en bégayant d'inaudibles paroles. Lorsqu'elle y parvint enfin, un glapissement lui échappa, et même s'il ne faisait aucun doute quant à mon état, elle s'empressa de prendre mon pouls. Comme elle ne sentait rien, elle se pencha au-dessus de mes lèvres bleuies pour tenter de déceler un ultime souffle. 

  Elle finit toutefois par se redresser, reposant délicatement mon bras le long de mon corps. Elle écarta solennellement les cheveux roux qui s'étaient agglutinés sur mon visage, et débarrassa celui-ci des grains de sable qui s'étaient incrustés dans ma peau, telles des centaines de minuscules taches de rousseur. 

« Ma pauvre fille... Ma pauvre fille... »

  Ces mots jaillirent de ses lèvres tremblantes, et elle continuait de les répéter encore et encore, comme s'il s'agissait d'une foutue prière.


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