Partie 2

Une chariote fut mise à notre disposition. Elle en jetait pis que la roulotte d'Achille Zavatta ! Une caravane attelée à quatre bons bœufs, aussi bourrins que ta pomme au volant de ta caisse, les soirs de sorties trop arrosées... Imagine !

Elle comportait aussi un poste de pilotage à trois places, séparé des « appartements » par une cloison de verre dépoli. Au-dessus de la cabine du chauffeur se trouvait un compartiment pourvu d'un lit qui tenait plus justement de la niche d'un chien. Fallait pas craindre de se cabosser le globe pour roupiller dans ce volume ! Je comptais sur la force de l'habitude pour m'accoutumer à cette couche en comparaison de laquelle une table d'opération de l'Inquisition espagnole ressemblait à une chambre du « Hilton » !

Placards de rangement, malles, coffres, banquettes rabattables, gogues, lavabos, penderies pour armure et robe de bure et saucisson, douche extra large, tout était étudié pour ressembler à ton camping-car de beauf ! Je passais donc quelques heures dans ce mobil-home nouvelle génération en compagnie de Gougueule. C'était un homme de bon conseil et de grand savoir, dont l'ingéniosité confinait au génie. Après mes demandes, il s'activa des nuits entières avec ses moinillons apprentis pour loger dans notre chariote les choses de première et dernière nécessité.

Nous disposions alors d'un engin ultra-performant, capable de nous sortir des situations les plus fâcheuses. Un coin abondamment fourni de cruches "made in Pom' Rolls" fromages à foison, viandes en tout genre, légumes oubliés, arbalètes à répétition, boucliers frappeur, Christ hurleur, Durandal à Rolland télescopique, papelard à fion en soie de Chine et j'en passe... bref, tout ce qu'il faut pour ne pas être emmerdé !

Cette transformation était nécessaire afin d'éviter que notre bus à l'impériale tourne roulote de Romanichel. Il en serait fallu de peu sinon que l'on tresse des paniers et vole des poules le long du chemin... Sur les flans de notre caravane épique, nous avons écrit "Burdigala - Grand Nord". En effet, nous éprouvions le besoin de magnifier notre exploit futur. Prêt à ridiculiser Magellan ou Vasco de Gama ! Les deux mots "Grand Nord" sont de ceux qui stimulent toujours l'imagination. Se rendre là-haut implique immédiatement dans l'esprit du connard moyen une hardiesse qui le fait frissonner...

Astucieux, Gougueule l'avait fait immatriculer de notre Comté, endroit paisible de la belle France du vignoble, peu propice aux magouilles occultes. Des plaques parisiennes, voire marseillaises eussent éventuellement attiré l'attention, non ? Ah, tu vois !!!

Pour la première fois de ma vie, je m'étais laissé pousser la barbe. Elle était loin de ressembler à un certain Panoramix mais elle commençait pourtant à me donner l'air de quelque artiste sans renom qui compte plus sur son système pileux que sur celui de son pinceau pour conquérir la gloire. Je portais une robe de bure usagée, des sandales du "Docteur Martens" (dont la semelle cousue façon Goodyear est rainurée et translucide avec le système de coussin d'air visible. Une languette noire au talon avec l'inscription jaune "airwair with Boucing Soles", l'empreinte laissée par la semelle, les coutures jaunes, un support de voute plantaire et coussinet de confort à l'avant du pied, terminent la description !) un Christ étincelant comme pendentif où il y avait inscrit "I love your pussy !" le tout affublé d'un chapeau de cuir à la Van Helsing ! La classe personnifiée, quoi !

L' HOMME ! He aquí el hombre !!!

(à suivre)

NDLR : si tu te penches quelques minutes (tu peux faire ton lacet !) sur le trajet mis au point par Gougueule, tu pourras mettre en évidence sur une mappemonde un périple pas si irréfléchi que cela, mais juste un peu longuet...