Partie de campagne

sbeno

Ca sentait bon la campagne, à moto.

Les courts instants, nombreux cependant, où j’ai traversé le tout petit chemin goudronné, bordé d’arbres et de quelques tiges de gazon de ci de là, j’ai eu le souvenir du feu de cheminé. Celui qui nous rappelle à nos bons souvenirs d’enfance, pour moi, le souvenir de quelques mois d’hiver, auprès de toi, sur le canapé un peu dur mais confortable, la gueule dans le feu.

Cela a duré 1 semaine. 1 semaine de souvenirs à marquer le sol à coups de pneus, à coups de décélérations et de frein moteur, pour savourer le moment que je pourrais enfin vivre collée à toi, dans mon dos, en riant, te faisant peur. Chaque fois que j’ai traversé la petite allée, tout près de Roissy et ses Boeing qui reviennent d’on ne sait jamais où, j’ai inventé mille histoires. Toutes plus drôles, toutes plus tendres, toutes plus agréables les unes que les autres.

Je ne t’en ai jamais fais part. Je ne te l’ai jamais dis. Pour le faire, sans l’avoir prévu.

Parce que je t’aime à ma manière. Un peu n’importe comment, dans des cris, dans des envies soudaines, dans le moment. 

Il m’est si agréable ce souvenir des plots à ne surtout pas frapper. On se dit qu’on n’y arrivera jamais. Que ça va trop vite. Ca fait peur, on se dit qu’on va tomber. Et quand on tombe en moto, on ne sait jamais pour combien de temps on en aura. Finalement, on s’excite à rendre la vie un peu plus dangereuse. Alors on vous rappelle à l’ordre, on compte le nombre de morts à coup de calculs savants, le nombre de blessés aussi. Mais on se sent plus fort que ça. A la ligne de départ, on regarde loin devant nous. Et chaque fois que vient le moment de mettre les gaz, on se dit qu’on est con. On se teste. Pendant le trajet, on se trouve ridicule. Ca fait un peu d’adrénaline. A l’arrivée, on lâche tout. On place le sélecteur sur le neutre et on regarde derrière nous. La prochaine fois, on ne touchera plus qu’un seul plot. Et quand, par magie, on n’en tape aucun, on arrive bien trop vite, à « mac 2 » comme ils disent les profs. On freine d’un coup pour viser la bonne ligne, on frôle la chute. Celle-ci ne pardonnerait pas.

Chaque fois que je me suis retrouvée à la ligne de départ, j’ai pensé au chemin de campagne. A chaque plot que j’ai évité, je me suis sentie meilleure. A chacun d’eux que j’ai laissé derrière moi, j’ai vu la campagne se rapprocher un peu plus, j’ai entendu ton rire, tes cris d’effrois. J’étais déterminée à le vivre. Rien n’aurait pu m’arrêter. Je l’avais décidé ainsi. J’ai risqué ma vie en plaçant ma main droite n’importe comment sur le levier d’accélération, en effectuant ce maudit demi tour que tout le monde déteste. Il aurait suffit d’un seul instant de doute, que ma main décide de me désobéir, pour m’envoyer valdinguer vers le terre plein vallonné qui séparait mon circuit de celui des fous, celui des motards qui roulent bien trop vite.

Et pourtant on m’avait prévenue de la position indélicate de mon poignet. Je n’ai pas écouté, j’avais trop de choses à penser. Trop d’envie en moi.

Le chemin de campagne fût mon oxygène. C’était mon coup. Comme un casse de banque, je me foutais bien des conséquences que cela aurait pu avoir, je n’ai souhaité que vivre ce que j’avais imaginé.

T’en faire part, c’était comme réussir sans être sûre de rien, comme crier victoire bien trop tôt. Et j’ai besoin d’être sûre de mes coups. Alors, je me suis tue.

Cette histoire se termine. Elle laisse un goût amer dans la gorge, comme le 8ème café de la journée qu’il nous est difficile de finir. Je ne sais pas bien pourquoi, c’est juste comme ça.

Je sais simplement que nous allons nous regretter. Comme on regrettera de ne plus jamais gouter à nouveau les graines fondues noires dans l’eau bouillante, le matin tôt, le jour levé. Il m’est insupportable de le savoir et je n’y peux rien faire. Juste attendre.

J’attends alors. Sans espoir. Sans rien. Vide. Dans un futur flou, rempli d’imprévus.

J’aurais une moto, bientôt. Une Kawazaki Zephyr 750. Je pourrais à nouveau sentir la campagne. Glisser en elle. Laisser derrière moi une trace humaine dans des forêts profondes. Quelques traces de vie. Entendre le bruit sourd du moteur, écouter la nature, sentir le feu de cheminée.

Me trouver grande et forte.

Mais je n’y entrerais pas dans la maison de pierre. Je n’y mettrais pas un seul pied dans le jardin vert pomme. Je fermerais tous les pores de mon casque pour ne rien entendre. Et pour ne rien sentir de tout ça, je retiendrais mon souffle le temps qu’il faudra.

Je verrais tout ce que j’ai raté. Je laisserais derrière moi des envies jamais assouvies.

Un futur que j’avais imaginé, dans ma tête, que j’avais gardé secret et que je pourrais partager avec moi-même, seule, dans mon lit, à Paris.

  • Merci pour le commentaire !!! J'en tiens compte (vous n'avez pas tort sur la dernière phrase)... Je "réajuste" tout ça.
    A bientôt.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Sarah 300

    sbeno

  • C'est très agréable à suivre et je trouve le ton juste, sans excès (sauf peut-être la toute dernière phrase où "seule, dans mon lit" me paraissent de trop). J'aime l'ambiance qui se dégage, comme quoi on peut faire rimer le bruit des gaz et les regrets de l'amour. Très jolie "balada triste" en tt cas.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Id

    --mephisto--

  • Notez moi !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Sarah 300

    sbeno

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