PARTIR

Susanne Derève

 
   Dans le port de Brest passent les chalands
    Navires de commerce poussifs et puants
    Lâchant vers le ciel de maigres fumées 
    Que rabat la bruine toute la journée                                     
 
    Devant ma fenêtre glissent les bateaux
    Les petits en tête remorquent les gros
    Coques aluminées, qu'on peint et qu'on brique,
    Chargements de blé, de fûts, de barriques
    Que les grues transbordent inlassablement
    Dans un va et vient allègre et bruyant                 
 
    Mais pour peu qu'un cotre vienne faire relâche,
    Une goélette et son équipage,
    -Depuis le carreau je les aperçois
    Les uns qui s'affairent et les autres pas,
    A briquer les cuivres et les écoutilles,
    Et dans les huniers graisser les manilles-
   
     Ou qu'au crépuscule résonnent au loin
     Les cornes de brume, je me vois, soudain,
     Je m'imagine,
     Debout, seul, à la proue d'un vieux transatlantique
     En route pour le Nouveau Monde
     Et pourquoi pas jusqu'à l'Arctique
 
     La lumière née des petits matins
     Qui blanchit la mer d'un voile d'airain                     
     Et le vieux navire qui roule et qui tangue
     Sur la grande houle et la mer exsangue
     Vagues paresseuses qu'enfourne l'étrave
     Tandis que le pont vibre du son grave
     Des moteurs, que dans le lointain
     L'horizon se charge de nuées d'ardoise
     Jetant sur les flots un reflet turquoise
     Annonçant le grain
 
     Je m'en vais, seul, debout
     À la proue d'un vieux transatlantique
     En route pour le Nouveau Monde
     Et pourquoi pas jusqu'à l'Arctique


(Ou comment voyager derrière sa fenêtre)
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