Partir
aile68
Elle était du genre à partir n'importe quand comme pour une fugue. Elle faisait son sac pour un jour, deux jours et elle partait direction la gare. Billet TER aucune réservation, de toute façon elle allait pas loin, elle partait c'est tout. Souvent ça lui prenait, pas étonnant, elle prolongeait son voyage, d'un ou deux jours, elle grapillait sur le temps, un sursis de plaisir, de vacances et puis elle revenait, enrichie de quelques jours ailleurs, de rencontres fortuites. Elle ne parlait pas beaucoup pendant sa petite escapade, elle était sur le mode silence, flânerie intérieure. Elle s'arrêtait ici où là, quand ça lui plaisait, on ne savait pas sur quel critère elle se basait, la plupart du temps elle faisait glisser son regard sur des monuments, des vieux bâtiments, de vieilles pierres qu'elle aimait en particulier. Bien sûr les châteaux, les grands jardins botaniques elle aimait ça, elle revivait à leur contact. Là où elle vivait on ne peut pas dire que c'était laid partout, mais presque, d'ailleurs elle habitait à côté d'une place qui avait reçu un prix européen, elle aimait la traverser en particulier quand les jets des fontaines étaient ouverts. Elle s'ouvrait de temps à autre pour saluer un voisin, ou tenir la porte à la vieille dame. Elle allait prendre son café à la boulangerie qui fait de si bon cadeaux. En fait qu'elle parte ou qu'elle reste dans son petit périmètre, c'était pareil, elle ne parlait pas beaucoup, elle aurait eu un casque sur les oreilles, ç'aurait été la même chose, elle se serait enfermée dans son monde à elle. Elle avait un itinéraire qu'elle faisait régulièrement à pied quand elle allait voir ses parents, toujours le même, ennuyeux à mourir, y avait que lorsqu'elle longeait le parc et qu'elle sentait la fraîcheur des arbres qu'elle respirait enfin, le reste du temps elle ne respirait jamais profondément. Sa respiration se bloquait toujours au-dessus de son ventre.
Elle travaillait un peu quand il fallait, elle était un peu artiste, un peu poète, elle exposait ses peintures des fois, à la boulangerie, la mairie. L'argent rentrait rarement. Elle avait choisi de ne pas trop se lier, des copines elle n'en avait qu'une ou deux, des fois quand elle sortait elle ramenait quelqu'un avec elle. C'était une vie calme en somme, un peu triste, un peu pomme (c'est pour la rime!) où les choses qui passaient, passaient lentement comme les dimanches après-midi chez ses parents. C'était pas vraiment de l'ennui, c'était un rythme auquel elle s'était habitué, forcément elle boitait un peu, c'était un cadeau empoisonné, souvenir de sa naissance. Le jour où elle décidait de partir plus loin, elle appelait sa soeur, sa confidente, et lui disait "je pars, je t'enverrai une carte". Sa soeur ne disait rien, elle raccrochait et attendait déjà un autre coup de fil qui ne venait jamais.