Partir

Skander Dar El Jadid

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Double reflet le casque et les yeux

De nos mères araignées blanches

Sur la nuit du cosmos elles ont accroché

Le fil des mots échanges radio

Allo cap Canaveral

Allo Baïkonour

Allo Kourou

Double reflet et entre les deux

Les mots de nos mères aussi

Paroles en forme de ciel

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Générations de fer la terre était brûlante

Ray l'avait écrit la vapeur des fusées

Éclabousserait les choses de printemps

Génération allumant mille soleils

L'été pourtant brûle la terre

Et il nous faut partir à notre tour

Aux pas borgnes des valises

Partir

Au pas de tir

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Adieu le bleu des rivages

Qui faisait taire les sanglots

Adieu les colonnes des cités-état Arbres sans singes, sans fruits

Il faut partir

Et les valises sont lourdes

Dernier vol pour la station

La station Lagrange il faut partir

Les larmes déjà sont du monde ancien

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Ô ma terre ma poussière verte et bleue

La navette, ton avion de papier se remplit des langues

Que tu as portées

Les maisons sont vides en bas

On les a fermées pudiquement aux herbes qui viendront

Il faut partir

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Les portes se ferment

Les dossiers s'inclinent et un enfant pleure

Ce n'est rien dit sa mère calme toi calme voilà

Un enfant pleure et les hublots

Sont secs sur le soir

Sur le monde

Il n'y a plus d'arbre pour bercer l'enfant dans ses rêves

Et nous partons

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Les heures ont perdu leur sens

Alors que nous tournons autour

D'elle

Noire puis bleue puis noire

Elle a gardé en recel

La vérité des jours et de nuits

Comme les feuilles gardent en secret la pluie

Bien après l'oubli serein de l'orage

Les heures sont restées à terre

Sans nous

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La station d'orbite basse

Parle toutes les langues

Et nous tournons déjà le dos souvent

À la terre pour regarder les écrans

Ils disent en silence

Régulier

Le destin de chacun•e

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Paula McKenzie US 5 Mars Olympus Concordia Biosphere 4 via Geostat 31/Lagrange Universalis -Gate 3 - 1700 TSS

Muhamad Talbi RPC 18 Luna HeliumFields via Geostat 17/ Lagrange Axis Mundi - Gate 11 - 1730 TSS

Une trait long de signes

Un rayon codé

De soleil Quipu

Pour chaque vie

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Lucia à moitié vêtue de lumière

Lucia me raconte l'odeur de la terre

Elle va rejoindre demain

Les sœurs de Mercure

Les demi-brûlées qui nourrissent le feu du laser

Qui pousse les voiles fragiles

Des nefs aux étoiles

Lucia rejoint celles qui forgent

L'alizée pour la nuit

-10-

D'autres ont tramé au large de Neptune

L'œil en réseau

D'une lentille arachnéenne

Pour guider le rayon des sœurs

Le rayon tiré de la fournaise de Mercure

Droit comme le fer au feu

Pour lui montrer les voiles des nefs

-11-

Lucia part et derrière elle

L'air est en cendre et a le goût blanc

Des rêves interrompus par la chaleur figée

Moi je marche vers la porte

Vers l'île qu'on m'a assignée

Récif dans le noir

Je marche vers le vol

Pour Lagrange Lux Tenebrae

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Le chemin a le bruit

D'un carillon sourd

Dans la carlingue oblongue

De la petite navette

Autocollants usés

En Russe

Un homme visage de couteau

Mâchoire grave

Regarde à coté un holofilm

Comme on voyait

Passer les cargos sur la plaine sèche

En rêvant de pluie

-13-

Les docks de Lagrange Lux Tenebrae attendent

Dans la nuit

Chaque navette comme un rêve

Plein des blessures

Et des langages

D'un monde mourant au loin

Ce sont ensuite les couloirs

La décontamination

L'administration

Blanc, gris, crème, noir

Dans les sous-sols

De la prairie

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Sur une chaise je réponds

Au jeune prêtre barbu

Il me tend mon kit marqué d'une croix

Et un numéro de capsule-hôtel

Les horaires

Et moi je me souviens

Des images de la plaine cylindrique

De Lux Tenebrae

"Il y a des oiseaux, et même des sources"

Disait ma mère

Je m'en souviens

-15-

Enveloppé dans les parois

Capsule-Hôtel

J'attends le sommeil entouré d'une projection d'étoiles

Comme roulé dans un papyrus

Alvéole 607 juste en dessous

Des mers, des forêts des monastères

Semés sur la nacre de Lux

Coquillage secret

J'attends demain dans la nuit

Synchrone

-16-

Lux Tenebrae

Ouvre un jour de feuilles et de mots

Aux étoiles

Le vent qui y souffle dans l'herbe

Redessine la terre à ceux qui l'ont oubliée

Comme on dit le chant ancien à l'enfant qui cherche

Au delà des lettres de l'horizon

D'autres vies

Le Père Macaire y soigne des abeilles

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La mécanique de la station y tourne

Sur les rouages du calendrier liturgique

Ici on vit et on repose

Ici on s'éteint

Comme un cierge au secret de l'espace

Au secret du soleil

Au secret de la nuit

Ici le chemin continue

Pour les naufragé•e•s des passages

Solaires

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Le soir artificiel tombe sur la forêt

La cabane de Macaire

Le poêle je m'y chauffe les doigts

Je me suis perdu

Il s'est isolé face aux icônes

Et dans l'orbe des planètes invisibles

Au croisement voilé

Des routes de navettes

Macaire prie

Pour la vie du monde

Je partirai demain

-19-

Je partirai demain

Pour Titan la brume

Moi lourd des échos éteints

Je partirai fatigué des mondes

Morts

Réinventer avec tant d'autres

Les chants de nos mères

Araignées lentes du ciel

Les espoirs d'hier

Coquilles brulées

Je partirai demain

Tramer avec d'autres

Un horizon ténu.


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