Partir

petronille

Il tourne en rond, il se cogne contre les murs. A quoi bon tout ça ? Il s’est battu, des années de travail inutile, personne n’en a voulu, personne ne s’y est intéressé. Les toiles sont appuyées les unes sur les autres, toutes tournées, il ne veut plus les voir. Celle du jardin en fleurs, où il avait mis toute son énergie, toute son âme, même celle-là il y renonce. Plus rien ne l’attache ici.

Son coeur s’est desséché comme derrière des volets clos. Il n’y a plus d’espoir. Il a fui une famille possessive et destructrice, il a fait fuir des amis peu à peu découragés.

Il regarde au dehors. En face, la maison fissurée, abandonnée, froide et maléfique. Depuis des années, pas un mouvement, personne n’en a ouvert la porte, on ne sait rien, pas de propriétaire connu. La maison, elle aussi, ne suscite aucun intérêt.

Il ouvre la fenêtre. Il se penche, regarde l’extrémité de la rue éclairée par le réverbère qui jette une lumière jaune sur les façades de l’étroite impasse. Partout les persiennes sont déjà fermées. Un vieil homme tire sur la laisse d’un chien fatigué, le couple s’éloigne et disparaît. Seul le bistrot montre un peu de vie, des silhouettes bougent derrière les vitres. Il y est souvent allé, le soir, boire un verre, puis deux, puis trois, pour oublier sa vie, pour écouter parler de foot, du prix des cigarettes, du cul de la buraliste. Ils le voyaient à peine, juste un hochement de tête dans sa direction. Va-t-il leur manquer ? Probablement pas. Ils parleront de lui, demain, puis n’y penseront plus.

La pluie s’est arrêtée, les trottoirs mouillés brillent encore, ils seront froids. La gouttière percée de la maison d’en face laisse filtrer de grosses gouttes qui tombent comme un glas.

Il se retourne, examine sa chambre. Il a tout rangé, le chevalet est vide, les tubes de peinture rebouchés, les chiffons sales jetés. Il a même retapé le lit, l’a couvert de l’édredon rouge dans lequel il s’enveloppait l’hiver, quand il n’avait pas payé la facture de gaz.

Sur la table, l’enveloppe blanche fermée est posée debout contre le réveil, bien en vue. Tout est en ordre.

Il se penche encore une fois à la fenêtre. Personne, c’est le moment. Il monte sur la croisée, enjambe la balustrade de fer forgé, son pied accroche le rebord.

Un chausson reste abandonné sur le parquet de la chambre vide.

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