Partir en fumée

belle_mere_et_alors

Comme une envie de reprendre la clope ! De sortir seule dans la fraîcheur de la nuit pour allumer ma cigarette...

Comme une envie de reprendre la clope !

De sortir seule dans la fraîcheur de la nuit pour allumer ma cigarette...
Je ne le ferais pas bien sur, parce que je sais qu'une seule taffe suffit pour dire adieu à mes 8 ans d'abstinence, pour ma santé et aussi parce que ça coûte foutrement cher.
Mais plus le temps passe, plus le confinement dure et plus j'ai cette envie d'en allumer une.
Toute seule... Allumer le briquet, approcher la flamme, voir l'embout devenir rouge vif et tirer cette première taffe...
Aspirer, ressentir la nicotine parcourir mon corps...
Et devenir un peu plus légère...
Les fumeurs, actuels ou passés, savent de quoi je parle.

Inspirer…
Et revenir en arrière au Noël 2017 en famille, à Los Angeles, (rien que cette phrase, elle en jette !), tous réunis des 4 coins du monde dans un nouveau pays à découvrir pour les vacances, quand les voyages étaient encore possibles...
Et souffler...
Regarder tout cela partir en fumée dans la noirceur de la nuit...

Inspirer...
Se retrouver à la naissance de ma fille en 2013, être envahie de cet amour indescriptible, insubmersible, époustouflant !
Et souffler...
Se recroqueviller et poser sa tête sur ses genoux. Ne plus avoir envie de l'en sortir.
Rester seule dans cette nuit silencieuse de couvre-feu, pas un bruit, pas une voiture, pas une brise de vent… Rien.

Puis, entendre le crépitement de la cendre brulante m'appeler.

Sortir la tête du gouffre, inspirer... Inonder mon corps de toute cette nicotine !
Cherchez la légèreté dans ce monde devenu trop lourd…
Et me voilà à l'île des pins en 2010 avec mes parents, mes amis et mon nouvel amour qui allait devenir l'homme de ma vie, le père de mes deux merveilleux enfants et celui des nouveaux trésors qui ont de suite rempli mon existence.
Me voilà dans ces bungalows luxueux posés sur ce sable blanc au bord de cette mer turquoise, dans ce cadre idyllique. Et voir les yeux scintillants de mon père émerveillé...
Et souffler...
Cette fumée-là est dure à regarder s'évaporer...

Pourtant Dieu sait si j'aime l'observer, laisser mes yeux suivre ses formes danser au ralenti, sentir mon pouls s'adoucir et prendre leur rythme. Se laisser un instant hypnotiser, flotter en dehors du temps et de toute réalité....

Apposer de nouveau le mégot sur mes lèvres, inspirer...
De toute mes forces, de toute ma tristesse, de toute ma colère !
Et se revoir en 2007 avec ma sœur de cœur dans cet avion, direction l'inconnu, prêtes à croquer le monde ! Quand celui ci avait encore un sens. Quand il était grand, beau et plein de promesse !
Et souffler, lentement...
Pour ne pas le laisser s'enfuir trop vite... Pour le retenir encore un peu…

Comment a-t-il pu changer en si peu de temps ?...
Comment deux petites années ont-elles pu nous enlever autant de libertés, autant d'espérances ?... Et nous laisser avec tant d'angoisse...

Lever les yeux au ciel et se perdre dans les étoiles...
Sentir une larme couler discrètement.

Inspirer, désespérément...
Vouloir remplir son cœur de nicotine ! Et ne plus le sentir si lourd....
Entendre Akon à fond dans cette voiture et revoir mes amies du lycée chanter à tue tête, rire et faire les folles, en route pour aller en boîte de nuit en 2001. Et danser, s'embrasser, rire aux éclats, chanter et vivre !
Souffler...
Et voir ce monde si innocent s'évaporer...

Inspirer, tout doucement, pour retarder le dernier instant.
Me retrouver plongée en 1993 à 9 ans. Dans notre appartement, rue de l'Artimon avec ma petite sœur dormant dans la même chambre que moi, à chamailler notre petit frère sur mon lit. Entendre nos rires d'enfants, me souvenir de nos coloriages sur la tapisserie "vert pomme" et nos jouets éparpillés.
Souffler, encore plus doucement, pour ne pas voir tout ça disparaître…
Et se demander quand j'arriverais à les revoir...

Essuyer mes larmes.

Inspirer la dernière taffe. Fermer les yeux...
Être un peu plus apaisée. Pensez à mes enfants en train de dormir sereinement.
Se demander comment faire pour que leur monde puisse les combler malgré tout.
Se demander si le monde d'avant aussi poussait ma mère à se plonger dans une fumée de nicotine, seule, la nuit...
Et souffler longuement...
Vider tout l'air de mes poumons...
Vider toute la peine de mon cœur, vider toutes les pensées de ma tête....

Ouvrir les yeux et voir la douceur de mon passé s'envoler en fumée...
Avoir peur du monde à venir.
Écraser sa cigarette.
Et retourner l'affronter...

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