1. Partir loin de chez soi
threnody
Une autre salle. La même architecture gothique. Grande, immense, illuminée. Une table, avec plusieurs personnes regroupées tout autour, l'air solennel.
- L'heure est grave, Votre Altesse.
- Je t'écoute.
- Une terrible famine risque de s'abattre sur le peuple, Votre Altesse. Les réserves sont déjà à trois-quart vides, les récoltes ont été compliquées lors de la belle saison, à cause des nombreuses intempéries et du temps plus rude que d'habitude. À cause de ce même temps, nous avons perdu aussi une part des troupeaux. De plus, suit...
- Alors il faut se remettre à la chasse.
- Il n'y aura jamais assez pour nourrir tout une population.
- C'est vrai, mais tout ce qui peut être utilisé le sera. Nous sucerons jusqu'à la moelle les moindres ressources capable de faire obstacle à ce qui s'avère être un grand manque de professionnalisme.
- Votre altesse ? ...
- Pourquoi les rapports n'ont-ils jamais fait mention de ces déficiences ?
- Parce qu'il s'est passé quelque chose après les rapport les plus récents votre Altesse.
- Continuez.
- ... Votre Altesse ...
- Quel est le problème ? Vous avez perdu la parole ?
- Mais votre Altesse est au courant, n'est-ce pas ? ...
- Si je savais ce dont tu parles, t'aurais-je convoqué de la sorte ? Te demanderais-je de poursuivre un exposé vain en mots qui nous ferait perdre notre temps ? Poursuis donc.
L'homme se tut un instant, et le silence de la salle se fut oppressant. Le regard froncé sur l'homme indécis, Ashe ne voyait que lui. Il hésita à reprendre la parole, mais le regard insistant de la Reine le força à continuer.
- Votre Altesse, un grave incendie a été provoqué par une source inconnue la nuit dernière.
La jeune femme le regarda quelques instants, sans comprendre ces mots qui s'enchaînaient. Puis elle réalisa ensuite.
- Quoi ?... Mais les réserves sont sensées être surveillées! Que s'est-il passé ?
- Les hommes de garde ont été conviés par des habitants à fêter je-ne-sais quelle fête paillarde.
- Et ils ont quitté leurs postes ?
- Non Votre Altesse, ils sont restés dignes de la mission qu'on leur avait confié et n'ont pas bougé. Mais ils n'ont pu céder aux insistances des fêtards et ont accepté de boire la boisson proposée. Cette dernière contenait des somnifères, ou quelque chose qui s'en rapproche.
- Quelque chose qui s'en approche ?
- Depuis leur réveil, les gardes sont malades, ma Reine.
- Je vois...
Alors que jusque là le silence était roi, le rapport achevé fit l'effet d'une bombe à retardement sur le Conseil qui perdit vite son sang froid. Ashe, muette, les regardait tergiverser, batailler. Elle leva sa main au-dessus de l'assistance, la paume tournée vers cette dernière.
- Assez. Le silence revint subitement. Avez-vous des idées ?
Tous se turent, plongés dans une intense réflexion.
Faire plus d'importation ? Baisser le prix maximum autorisé des ressources vendues par les marchands ambulants, et baisser les taxes frontalières ? Demander de l'aide à une nation ? ...
Une foule d'exclamation s'ensuivit. Et demander de l'aide à qui ? Aux autres clans ?! À Demacia ? À Noxus ? Nous ne pouvons pas nous immiscer de la sorte dans des conflits qui ne nous regarde pas. Demander de l'aide à l'un revient à s'allier, ou pire, à s'enchaîner à ce dernier! Nous leur redevrons quelque chose, forcément.
- À cette époque, même en baissant les prix des taxes, personne n'acceptera d'affronter la tempête pour revendre des ressources à quelques valors. Ça n'en vaut pas la peine, même si nous sommes prêts, nous, à faire des sacrifices... Préparez quatre hommes de la garde royale. Nous allons essayer de demander de l'aide à des nations moins touchées par l'hiver et plus opulentes. Peut-être voudront-elles bien nous prêter main forte ?
- En échange de quoi Votre Altesse ? De loups, de chênes ? Nous n'avons rien...
- Pas de contestation je vous prie...
- Mais Ashe... !
- ... Sortez je vous prie. J'ai besoin de m'entretenir seule avec le roi.
Les gens obéirent calmement, non sans lancer quelques regards indiscrets par-dessus leurs épaules, comme si cela pouvait leur annoncer la suite de la discussion du couple royal. Les grandes portes fermées, il explosa littéralement.
- Dis moi ce que tu comptes faire au juste ? Je suis bien curieux de voir ça. Tu vas aller frapper aux portes de Démacia ? De Noxus ? Aucune des deux n'est meilleure que l'autre. Pourquoi voudraient-ils nous offrir des ressources, ou même des foyers ? Nous sommes pauvres, nous n'avons rien matériellement. Et je ne te parle pas de notre influence, elle est...
- Je sais, Tryndamere. Freljord n'est encore rien qu'une terre désolée, déchirée entre trois fratries. Mais il faut essayer. Je partirai aussitôt que possible, car il est clair que nous ne pourrons pas tirer grand chose de ces terres sèches, qui nous ont jadis enfantés. Nous prendrons les chevaux les plus robustes, et nous parcourrons les montagnes. Nous devrions rentrer d'ici trois jours.
Tout en disant cela, elle s'approche d'une carte posée plus loin sur la table. Ce qui semble être un doux effleurement à première vue, n'est que le tracé du chemin qu'elle va parcourir le long de son doigt.
- Tu fais un large détour ...
- Certains de mes hommes ont repéré un camp des Guardiens du Givre. On ne sait pas vraiment ce qu'ils font là, mais ils sont là. Je préfère éviter toute escapade périlleuse...
- Celle-là l'est déjà. Et tu veux partir seule, avec une escorte misérable de quatre soldats ?
- Je veux y aller discrètement. Le peuple ne doit pas savoir que je suis partie, sinon il croira que j'ai fuit.
- Mais tu ne fuis pas, bien au contraire !
- Les gens ne se préoccupent pas des vraies motivations, mais seulement de l'apparence. La reine qui part le lendemain où les récoltes qui devaient nous faire passer le premier hiver serein depuis des lustres, ça ne peut sembler être que fuite.
- Ils croient en toi.
- Cesse ces discours idiots et vains. Ils ne croient en rien, car ils ont besoin de choses concrètes qui n'apparaîtront pas par magie. Je serai prompte, alors tâche de bien veiller sur mo... notre royaume.
La jeune femme s'en alla sans un mot de plus. Il la regarda partir sans insister. Quand elle a quelque chose à l'esprit, elle ne s'en sépare plus. Elle n'arrive d'ailleurs pas à s'habituer à l'avoir pour roi. Ça l'amuse et ça le peine, mais ça viendra avec le temps, comme tout le reste...
Ashe parti à peine quelques heures plus tard. Elle parcourut les longues plaines glacées, et lors d'une escale pour ressourcer les chevaux, elle fit le point avec ses gardes.
- Nous allons ici. Elle pointa un endroit de son doigt.
- Votre Altesse, pourquoi faire un détour tel ? Rien ne nous y menace.
- C'est vrai, mais ce n'est pas si loin de notre destination. J'ai besoin de m'y arrêter, même si nous devons y perdre trois heures de voyage.
Encore une fois, le silence est de mise. C'est parce que c'est la Reine, mais aussi parce qu'elle sait ce qu'elle fait. Ces gardes ont une confiance totale envers elle, et personne ne peut lui être plus dévoué. La route reprit, sous le mauvais augure du vent et de la neige. La tempête ne fut pas aussi violente que prévue, et l'expédition arriva sans encombre.
- Le glacier d'Avarosa...
- J'ai besoin de m'entretenir avec Gragas. Ne vous éloignez pas trop, je devrais être de retour d'ici une heure.
- Vous n'avez pas besoin de garde rapprochée ?
Ashe considéra quelques instants le jeune homme blond.
- Venez donc, un homme me suffira.
- Oui Votre Altesse.
Le temps s'écoula lentement. Alors qu'ils finissaient par perdre toute dignité à s'envoyer des boules de neige à la figure, la Reine et le jeune garde réapparurent.
- Nous sommes invités au repas du propriétaire de ces lieux. Je n'ai pas pu refuser, alors profitez bien de ces tranquilles instants.
Les gardes se regardèrent quelques instants, presque ahuris et confus par leurs gaminerie face à a femme majestueuse, puis la rejoignirent vite, tout en gardant un semblant de sérieux. L'endroit était très pompeux et intimidant, mais personne ne témoigna de la décoration et des quelques statues à effigie du propriétaire. Un serviteur les guidait à travers de longs couloirs interminables, puis s'arrêta devant l'entrée de la salle à manger probablement. Les portes immenses devaient faire quatre fois la taille du garde le plus grand. Il poussa lentement les portes, qui s'ouvrirent sur une salle dont l'immensité valait celle que les portes avaient annoncé. Une table de banquet face à eux s'élançait jusqu'à l'autre bout de la salle. Sur le mur opposé, juste au-dessus de la table, un immense drapeau sur lequel figurait le symbole du clan Avarosa pendait le long du mur. Tout était démesurément grand.
- Ashe ! Enfin, je pensais que tu t'étais enfuie.
Le rire cristallin d'Ashe fit rayonner son visage d'une joie sincère rarement aperçue.
- Jamais je ne m'enfuirai de la sorte ! Vois, je te rapporte les gardes que tu as convié au dîner. Messieurs, votre généreux hôte se nomme Gragas.
LE fameux Gragas. Cet homme jovial et ivrogne, symbole de la décadence et de la démesure. Pourtant, il maîtrise l'art de la parole et quelque chose de noble émane de lui. Mais probablement pas du ventre rebondi qu'il arbore. Il aurait rendu service à Ashe, et leur amitié naissante s'était consolidée tant et si bien que pour lui manifester sa gratitude, elle lui aurait offert le glacier d'Avarosa. Alors voilà où il demeure... Tous s'installèrent d'abord gênés. Puis l'aisance presque insolente de Gragas les poussa à se décontracter. Les mets s'enchaînèrent sans que l'on puisse en voir la fin. Le vin coulait à flots dans les coupes. L'alcool aurait pu pousser à bien des vices, mais chacun su se contrôler et rester sobre en apparence. L'esprit effervescent, Ashe se leva alors, levant la coupe d'or et d'améthyste et remercia son hôte très chaleureusement. Mais il était temps d'arrêter les festivités.
- Je reviendrai quand j'aurai la réponse du Roi Jarvan III. Avec un peu de chance, ce sera l'occasion de festoyer à un plus bel avenir.
- J'en serai très honoré, Ô ma Reine. Vos chevaux sont eux aussi revigorés, et ont été attelés. Voici de quoi subvenir pendant cinq jours pour toi et ta compagnie.
Il joignit le geste à la parole et lui présenta un sac débordant de gourdes en peau de rênes surement pleines de vin ou d'eau, ainsi que du pain blanc enveloppé dans du linge propre. Elle le remercia de nouveau, sincèrement embarrassée, puis enfin arrivée aux portes d'entrées, le salua solennellement. Les quatre gardes commençaient déjà à monter leurs chevaux quand elle s'approcha du petit groupe. Elle monta sur le sien sans difficulté, vu sa talle. En effet, les montures n'étaient pas particulièrement grandes, puisqu'elles faisaient jusqu'à 1m75 au niveau du garrot et celui de Ashe ne faisait qu'à peine 1m55. Leur robe et leur crinière longue et ondulée de couleur noire, particulières à la race, contrastaient fortement avec le milieu enneigé qu'étaient les terres de Freljord. Mais cette race noble était l'une des meilleures qui puissent exister en ces lieux pour des chevauchées de ce type. Fidèles à leurs maîtres, d'une endurance à toute épreuve, ils galopent sans cesse. Sur les longues plaines qui n'en finissent pas. Parfois, quelques forêts de pins viennent briser l'horizon monotone. Mais rien de bien intéressant. Au bout de plusieurs heures de chevauchées, le groupe dut s'arrêter pour les chevaux, épuisés. Ils ralentirent le pas à l'orée d'une forêt, où ils réunirent un peu de bois pour faire du feu. Ils rationnèrent les vivres, mais burent sans précaution. Une fois les gourdes vides, ils mettaient de la neige dans le récipient suspendu sous l'âtre, et reversaient le résultat liquide dans les nourrices. Il n'y avait pas particulièrement effusion de discussion. Ils se remirent en selle, bien que la nuit fusse tombée.
Le sommeil commençait à s'accaparer d'Ashe... Mais une brusque rafale la revigora d'une traite. Alors qu'elle leva les yeux sur l'horizon, les cheveux claquants sur le visage, elle s'aperçut de la nappe blanche épaisse qui l'entourait. Depuis la reprise du voyage, il y avait toujours eu un peu de vent mêlé à de la neige. Mais elle n'avait pas fait attention, et les rafales avaient augmenté en intensité. Autour d'elle, tout n'était que blancheur grisâtre... Ses soldats ?! ... Elle cria en vain leurs noms. Mais personne ne répondit, ou s'approcha d'elle. Elle continua à avancer, jusqu'à distinguer un promontoire. Elle pourrait s'y poser du côté protégé en attendant que la tempête se calme. Plus elle s'en approchait, plus elle semblait y voir un trou... Quelqu'un avait déjà creusé dans la neige afin de surmonter la tempête. Peut-être datait-il de quelques jours ?... Ashe savait que la prudence lui conseillait de ne pas s'en approcher, car il était surement habité. Vu les tempêtes fréquentes, il était peu probable qu'un trou ait résisté à la neige, et qu'il était récent. Mais sachant à la fois que c'était peut-être une de ces seules chances, et espérant qu'il s'agisse de sa garde rapprochée, elle s'en approcha. Elle descendit du cheval, un bras devant les yeux pour essayer de les protéger des multiples flocons qui l'assaillait, l'autre tenant les rênes de sa monture. D'ailleurs ... s'il s'agissait d'un garde, où était son frison? Ashe doutait de plus en plus. Elle s'accroupit et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Avant qu'elle n'ait pu voir quoi que ce soit, quelque chose lui sauta à la gorge. La puissance du saut la projeta à terre, sous son attaquant, clairement en position de force. Elle lâcha un cri de stupeur, mais bien trop tardif. C'était un homme. Ses genoux étaient appuyés sur ses bras de telle sorte qu'elle ne puisse bouger. D'une main, il tenait sa gorge, de l'autre un poignard dont la pointe effleurait son nez. Complétement impuissante, sa respiration s'accéléra simplement.
Mais la pression qu'on effectuait sur elle baissa.
- Ma Reine... Je suis désolé.
- Eirik ? ...
Il se dressa aussi subitement qu'il lui avait bondi dessus. Il lui prit la main, la redressa, et l'épousseta même.
- J'ai entendu des pas dans la neige, mais à à peine quelques centimètres du trou que j'avais creusé. J'ai cru qu'on en voulait à ma vie et ...
- C'est assez. Je ne t'en suis pas rancunière, j'aurai probablement agi ainsi.
Leurs voix avaient peine à se frayer un passage entre les souffles dévastateurs. Eirik tenant toujours la main d'Ashe, il la guida et la fit descendre dans le tunnel de fortune. La différence de bruit fut flagrante. Ils purent enfin parler calmement.
- Que s'est-il passé ?
- La tempête nous a tous surpris. Je me suis retrouvé séparé de vous, et des trois autres gardes.
- Où est-ta monture ?
- Je me suis fait attaquer par des lycans, l'un d'entre eux était immense. Peut-être aussi grand que nos montures ? ... Sa voix semblait brisée. Ce n'était pas une meute, mais probablement des jeunes affamés. Enfin, on essaie d'attenter à ma vie et je capte ces détails idiots! Bref... Je leur ai laissé mon cheval en pâture loin de là, mais je ne sais comment j'ai pu leur échapper... Courir dans la neige, sur une plaine aussi découverte. Je ne suis même pas sur que la tempête m'ait servi de bouclier... J'espère qu'ils ne m'ont pas traqué parce qu' ils étaient repus ...
- Tu ne sais donc pas ce que sont devenus les autres ?
- Non Votre Altesse.
Ashe resta silencieuse. On peut vaincre des mercenaires, des bandits, mais pas des éléments.
- Avec un peu de chance, nous les retrouverons à Demacia, comme convenu. C'était une probabilité d'être séparés. Et c'est arrivé. Ainsi soit.
Elle devait sembler impassible, rester forte pour montrer l'exemple, bien qu'elle fut inquiète. Ils se regardèrent quelques instants, elle sentant son inquiétude, lui sa solitude. Ils se blottirent naturellement l'un contre l'autre pour se réchauffer, et tentèrent de dormir dans une position assise très inconfortable. Mais les yeux restèrent ouverts : un hurlement de loup, un souffle de vent plus violent que d'accoutumée, un renâclement de la monture... Rien ne pouvait les plonger dans les doux bras de Morphée. Leurs fourrures leur tenaient extrêmement chaud, mais la neige les mouillait, et cela devenait pénible d'exécuter le moindre mouvement. Ils savaient mutuellement que l'autre était toujours éveillé lui aussi, mais ils n'échangèrent pas un mot. Ashe cru sombrer dans le sommeil pendant plusieurs dizaines de minutes, mais pas plus. En attente de la mort, les deux Avarosans pensèrent passer la nuit la plus longue qu'ils n'aient jamais passée. Mais lorsque les rayons du soleil traversèrent la mince entrée, ils se sentirent revigorés. Très difficilement, ils sortirent chacun leur tour, torturés par les courbatures et le froid qui s'était infiltré dans leurs vêtements par le biais de la neige. Le cheval, laissé dehors, n'avait pas bougé. Et ne re-bougerait probablement plus. Il était en état d'agonie, couché sur le flanc. Gelé jusqu'à la moelle, son corps avait tenu bon toute la nuit, sans même avoir été rongé par les loups ou autres carnivores des lieux... Ils le contournèrent tout en le fixant. Ils entendirent une faible respiration. Ils se regardèrent, surpris de voir l'animal toujours vivant. La question désormais était : tentons-nous de le remettre sur place, ou bien l'achevons-nous, et continuons-nous notre route à pied ?
Il ne restait probablement plus que quelques heures à cheval, alors que continuer à pied allait les retarder d'un jour, peut-être plus si le temps refaisait des caprices. Il fallait essayer de le réchauffer, si le temps perdu à lui prodiguer des soins pouvait s'avérer payant. Ils le frictionnèrent, trempèrent le linge de rechange dans de l'eau chaude grâce au feu qu'ils avaient réussi à allumer tant bien que mal, et l'en essuyèrent. Ashe l'examina de plus près après que la petite couche de gel ait été enlevée.
- Il a des gelures à l'extrémité de la patte postérieure. Elles sont assez graves.
- Des gelures ? ...
- Il lui faudra du temps pour s'en remettre. Il ne sera pas capable de marcher sans boîter avant un moment, et je ne parle pas de porter deux cavaliers...
- Un moment ? Ça représente combien de temps ?
Ashe se leva pour examiner l'animal en hauteur, tandis que le jeune homme continuait à le frictionner au niveau de la patte gelée. Vers l'extrémité, c'était dur. Le cheval ne réagissait pas aux contacts à cet endroit, toujours tremblant.
- Trop longtemps pour arriver à Demacia à temps.
Alors que le jeune blond était concentré sur la patte malade, le cheval eut un soubresaut soudain. Surpris, il leva les yeux vers la tête de l'animal. Une flèche la transperçait. Il tomba à la renverse, ridicule, puis regarda Ashe avec effarement, son arc de givre dans une main, l'autre effleurant la corde si fine qu'elle en était transparente. Son regard dur le transperça tel son projectile.
- Nous n'avions pas le temps de le soigner. Tu aurais préféré le laisser mourir à petit feu dans le froid ?
Ashe ne tînt elle-même pas compte du jeu de mots plus que de mauvais goût sur la situation. Elle rassembla les affaires une fois qu'elle eut compris qu'il n'essaierai pas de répondre quoi que ce soit qui fut justifiable à ses yeux, examina brièvement une carte qui était conservée dans une boîte métallique imperméable, puis traça net. Le jeune homme, encore bouche bée, se décida à réagir une fois que la silhouette élancée de la jeune femme s'éloignait progressivement. Désordonné, il remit tout ce qu'il trouvait dans son sac en boule, et la poursuivit en courant. Une fois à ses côtés, elle lui assena un regard dur :
- Je te croyais garde royal, pas pauvre adolescent perdu dans la montagne.
Il ne dit rien, à la fois honteux et énervé. Le chemin se poursuivit dans un silence étrange. Chacun des deux avait envie d'avoir un peu de contact, d'échanger quelques paroles pour briser le silence humain. Mais le premier qui ouvrait la bouche était le plus faible. Un jeu d'ego stupide et enfantin, auquel les deux concurrents mais aussi compagnons se livraient. Ils marchèrent, en ne faisant que très peu de pauses. Ils partagèrent des paroles brèves, comme : "De l'eau", ou encore "On marche toujours vers le sud-sud-est ?"... S'ils s'arrêtaient, ils ne reprendraient jamais : ils mangeaient donc et buvaient tout en marchant. Alors que leur périple venait à leur fin, Ashe remarqua une bifurcation de chemin. L'un descendait, l'autre montait. Elle proposa alors de prendre celui de gauche, promontoire idéal qui allait leur donner une bonne idée de ce qu'il leur restait encore à parcourir. Elle y courut même, presqu'impatiente de voir la grande cité lumineuse. Il la regarda s'éloigner, amusé, puis eut l'idée d'un nouveau jeu. Il se mit alors à courir à son tour, jusqu'à la rattraper. Il la dépassa, et dans un sourire arrogant, lui fit comprendre toute l'ampleur de cette compétition improvisée par son bon vouloir. Offusquée, Ashe redoubla d'effort. Ils atteignirent le petit sommet en même temps. L'endroit s'avérait être le bord d'une falaise, dont une partie semblait avoir été taillée pour faire un petit chemin (qui n'était autre que le chemin descendant de tout à l'heure). La vue offerte était superbe, et l'on voyait très nettement, comme Ashe l'avait supposé, la grande cité dans ses murailles impressionnantes. Tous deux n'avaient qu'une hâte, y parvenir.
- Nous semblons arriver à la fin de notre mission...
- Non, nous semblons arriver à la moitié de notre mission.
- Vous pensez que le roi Jarvan III acceptera ?
- Je n'en sais, à vrai dire, rien. Et c'est bien cette indécision qui m'a fait déplacer en personne en plein hiver, de ma ville jusqu'à celle des LIGHTSHIELD. Il nous faut reprendre la route. Il ne nous reste plus que deux heures je dirai.
Sur ces mots, ils firent demi-tour docilement et continuèrent à avancer.