Passager clandestin
offrir-du-reve
Autour de moi, il fait noir. Heureusement que l’air s’est un peu réchauffé, parce que, quelques minutes plus tôt, si j’avais eu des dents, elles auraient claqué si fort que tout le monde les aurait entendues. Mais en fait, je dois dire que je m’en fiche. Je sens en mon sein un flacon devenu glacé, dernier souvenir de mon voyage dans les cieux. Soudain, je suis soumise à une pression constante, qui me pousse vers le bas, et je cogne les autres valises.
Autour de moi, il fait noir, et il y a des valises. Plein. Il parait que nous prenons l’avion. Ce ne sont pas les valises qui me l’ont dit, les valises ne savent pas parler, mais c’est ce qu’avait laissé entendre mon propriétaire. Je ne me souviens pas très bien. Il ne me parlait pas à moi, personne ne m’adresse jamais la parole. Il devait houspiller mon autre propriétaire, comme il le fait tout le temps. « Dépêche toi ! » « Je dois toujours t’attendre, c’est terrible. » « Ah les femmes ! » Ce n’est pas mon premier voyage en engin volant, oh non. J’en ai déjà vu d’autres, je suis vieille. Je sais pertinemment que maintenant il va y avoir un bruissement que je ne sais pas identifier, et ensuite un choc. « Boooum ! » Voilà. Et ça roule. Il est normal que, après une éternité à me reposer sur le haut d’une armoire, je me souvienne du peu d’agitation qui remplit mon existence. Quelques minutes, assorties de quelques virages irréguliers, puis tout devient immobile.
Autour de moi, rien ne bouge. Les autres valises font comme moi, pour peu qu’une valise puisse faire quelque chose, elles attendent. Ce n’est pas folichon, la vie d’une valise. Brusquement, un claquement, et de l’agitation. Des hommes crient, des moteurs hurlent. A moins que ce ne soit le contraire, des hommes qui hurlent et des moteurs qui crient. Je n’ai jamais été douée pour les nuances et les mots. On me soulève. Je suis brinqueballée dans tous les sens, et je sens mon contenu se secouer.
Autour de moi, tout est toujours noir. Vous vous attendiez à quoi ? Les valises n’ont pas d’yeux ! Mais ça roule, c’est le moins qu’on puisse dire. Odeur d’essence et de bitume chaud. Je suis compressée, entre une valise de marque en dessous et un sac informe au dessus. Et que ça pétarade, et que ça gronde, et que ça crisse. Au moins fait-il moins froid ! Il fait même carrément chaud, il doit y avoir du soleil.
Autour de moi, ça continue à faire un bruit du tonnerre. Des mains moites me soulèvent sans ménagement, et me jettent sur un tapis roulant. On peut dire que ça tourne beaucoup, dans la vie d’une valise… Je suis pourtant dépourvue de roulettes !
Autour de moi, le calme est revenu. Cela fait un moment que je suis sur mon tapis. D’un côté, j’ai bien compris qu’il me manquait quelque chose : l’étiquette, ce fameux sésame qui vous permet d’être renvoyé à vos propriétaires s’ils vous ont oublié. Ce petit bout de papier m’a déjà sauvée deux fois. C’est vrai que mes maîtres sont distraits. Ils n’avaient pourtant jamais oublié d’attacher à ma sangle mon passeport de valise… Enfin… Le temps passe, il fait toujours calme, et je tourne.
Autour de moi, le bruit est revenu. Des voix, qui discutent :
- Cela fait plusieurs heures qu’elle est ici, dit une première.
- Oui, l’avion atterrissait à huit heures, renchérit une deuxième.
- C’est peut-être une valise piégée, proposa une troisième voix.
- Elle n’aurait pas passé toutes les étapes avant l’embarquement.
- Elle vient du Yémen, il faut se méfier.
C’est donc là que j’étais.
- Oui. Qu’est-ce qu’on fait ?
- D’après la procédure, il faut la détruire.
Vous avez surveillé l'objectivité de votre valise et ménagé une chute très efficace. Mais il nous manque un peu les étapes de l'errance et les descriptions auraient mérité d'être davantage développées. D'autant que vous avez commencé un travail intéressant sur les sensations de cette valise...
· Il y a environ 13 ans ·abeline