Pastels d'été
Yannick Bériault
Montréal, quartier des festivaux*. Glorieux jour d'été. Je marchais, coupant au travers la foule, appréciant la solitude paradoxale qu'elle m'offrait... ni vu ni entendu, c'était presque certain... cet été là j'existais ailleurs, en parallèle, étranger à cette ville... J'étais en partance ; c'est l'été où je débutai mon exode.
C'est pourquoi je pus voir ce que peut-être personne d'autre ne vit. Un parfait jour d'été nous donne une idée du paradis : il induit aux corps la fréquence juste, la clé universelle d'allégresse. Le quadrilatère, place publique, carré de bitume harcelé de soleil, avait dès l'abord l'air sacré d'un jour de victoire ou d'hiérophanie. La conjonction de tous ces corps se baignant dans la gloire solaire faisait une scène propice aux prodiges, ça se sentait – la rareté exacerbant la valeur, les peuples nordiques n'ont pas leurs pareils pour célébrer les journées sublimes à plein corps et pleine âme. J'atteignis le centre de la place et l'espace tout autour s'emplit soudain de plus de couleurs que je n'en pouvais assimiler en un regard...
...toute une moisson de bulles pastel envahirent l'endroit. La lumière se fit de plus si vive qu'à moins de deux cent mètres, derrière les bulles, l'horizon était saturé de blanc ; blanc nu, blanc cru, blanc propre, pétant. La lumière vive peut produire des perles de couleurs dans la vision, mais pas de pastels ; que des tons simples et translucides, des petits éclats de tulle. Non, ces petites sphères s'élevant toutes à la même vitesse étaient épaisses et grasses. Elles me semblaient les expressions d'essence des protagonistes qui s'éclataient, là, de ferveur estivale, peut-être produites de leur ventre ou de la cavité juste sous le sternum, des seins des femmes encore, des anus, des cuisses, des joues... ou de tout cela à la fois. Exsudées à pleine peau, elles étaient la profusion de leurs humeurs.
Et c'est l'ensemble de la scène qui bientôt prit un caractère flottant. Il n'y avait plus que fond blanc, corps brillants et iridescences molles. Bientôt, toute la gamme des tons pastels – mais à prédominance bleue et lilas – saturait l'espace, les corps s'envolaient on ne saurait où, emportés par leur extase. Feu d'artifice, carnaval pastel. Point d'orgue. Et, puis, rien.
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* Je n'aime pas l'exception qui fait de festival un nom en -al dont le pluriel ne donne pas -aux. Je fais donc à ma tête... Une liste des exceptions, dans laquelle je trouve qu'il détonne, se trouve ici : http://fr.wiktionary.org/wiki/festival.
Illustration : Wassily Kandinsky – Accent in pink – 1926
Originalement publié sur lesensdutemps.tumblr.com