Pathologiquement correct
Antoine Berthe
Pathologiquement correct
« C’est lors du quatrième homicide que le sujet se met en devoir de prodiguer à ses victimes différentes tortures préalables à la mise à mort. On trouve ainsi de nombreux cas d’ongles arrachés, de cheveux brûlés, ou, déjà, différentes scarifications qui n’en sont cependant pas encore au stade des figures géométriques qui ne deviendront que plus tard les composantes du rituel meurtrier (voir figure A et B pour comparaison) ».
« Putain, des tortures à la quatrième victime, c’est bien ça. Ce fumier lui a enfoncé toute une boîte d’allumettes sous les ongles avant de les enflammer » pensa-t-il.
L’inspecteur alluma une cigarette au mégot de la précédente et reprit sa lecture :
« Ce passage à la torture est une manière pour le serial killer de compenser la frustration que lui procure l’aspect désormais routinier de son activité meurtrière. De manière concomitante, on constate une peur grandissante de ne plus pouvoir s’y livrer en cas d’arrestation. En effet, même si cela ne l’empêche bien entendu pas de poursuivre les assassinats, le tueur prend alors conscience de la désapprobation sociale à l’endroit de ses actes. Cela contribue à développer sa paranoïa et le pousse à choisir comme cinquième victime une personne proche, c’est-à-dire susceptible de nourrir des soupçons à son égard et de le dénoncer et, par conséquent, de le priver de la possibilité d’assouvir sa soif de mort ».
« Merde alors, ça veut donc dire que la cinquième victime le connaissait avant ! Tu as commis ta première erreur mon tout beau. Je suis sur ta piste, j’te lâcherai plus », exultait-il en faisant réchauffer son café au micro-ondes.
Il avait trouvé la clef, lui, le petit flic de province. Comme le meilleur des profiler il avait "analysé le modus operandi des homicides successifs afin d’en déduire une hypothèse à forte probabilité d’identification de la prochaine unité-victime". Plus aucun doute ! Comme le prouvait ce bouquin – « Données statistiques sur le crime en série » – cet enfoiré tuait en suivant exactement ce que la majorité des serial killers avaient fait avant lui. Pour connaître la prochaine victime, il suffisait donc de consulter les statistiques et de faire fonctionner son cerveau afin de prévoir le prochain coup !
Son raisonnement fut interrompu par un coup de sonnette. Il jeta machinalement un regard à la pendule de la cuisine. Ce devait être le facteur. Il se dirigea vers la porte d’entrée en traînant les pieds et en se grattant machinalement le menton.
Perdu dans ses pensées, il ne vit pas tout de suite le fusil à canon scié que son visiteur tenait à la main. Dans une gerbe de plomb, le lobe droit de son cerveau alla s’écraser sur le mur du couloir. Après une telle détonation, son cadavre sembla tomber sans bruit sur le sol.
Le tireur prit le livre dans sa poche, l’ouvrit au chapitre 6 pour s’assurer qu’il n’avait pas commis d’erreur : « La sixième victime se choisit parmi les personnes chargées de l’enquête. Bras armés de la société, ces individus apparaissent de manière insupportable pour l’assassin comme le plus grand danger pour son mode de vie … »
Il corna soigneusement la page, tourna les talons et descendit calmement les escaliers.