Patriarche
Jean Claude Blanc
Patriarche
Le doyen du patelin, à l'âge mathusalem
Campé sur son bâton, ausculte au loin la plaine
Malicieux et pensif, patron en son domaine
Bien né, en bonne santé, pour nous, reste un dilemme
Rompu, et déglingué, par sa vie de carême
S'empiffre des coups de rouge, toute sa sainte semaine
Avec des pauvres loques, à la même dégaine
Solidaires tournées, chacun remet la sienne
Vétuste homme de peine, a encore la vue juste
N'en a que pour ses potes, pour la plupart incultes
Rapiécé son veston, à l'aise dans ses frusques
En digne patriarche, de son passé s'illustre
A enterré son monde, ses regrets, ses soupirs
Même qu'il prie le ciel, pour aussi en finir
Derrière lui l'avenir, à la tombe, il aspire
Mais sa mémoire recèle, de tas de souvenirs
Chez les grognards du coin, est franche la rigolade
Car en pur auvergnat, choisit ses camarades
Ça amuse les gamins, de lui faire répéter
Ses anciennes aventures, chaque fois plus fabulées
Se plait à raconter, son long périple sur Terre
Ses forêts, ses pacages, ses déserts de genièvres
A tant trainé ses guêtres, qu'il savoure sa retraite
Cadavérique squelette, n'a plus le geste alerte
Ses années de jeunesse, n'en retient que des miettes
Pas assez profité, souvent, il le regrette
A force de se priver, de plaisirs et de fêtes
Brave homme besogneux, a bien payé sa dette
Sourcier de son état, il n'en fait jamais cas
On vient le consulter, pour le moindre coup de froid
Il invoque les nuages, pour y chercher la foi
Déversant ses prières, d'intraduisible patois
On en repart guéri, jusqu'à la prochaine fois….
Le « Guste », on l'appelle, allez savoir pourquoi
Patriarche lucide il n'en fait qu'à sa loi
Pour lui faire plaisir, à ses miracles, on croit
Même les plus mécréants, se fendent d'un signe de croix
Fertile en légendes, des contes d'autrefois
Discrètement le consulte, mais ne m'en vante pas
Lui dois, mes inepties, que je vous sers tout bas
Artiste en est l'auteur, normal, lui cède mes droits
M'est cher mon patrimoine, des Monts du Livradois
De montagnes, cerné, et aussi d'hommes des bois
Compagnon éternel, du Sieur Henri Pourrat
« Gaspard des Montagnes », demeure ancré en moi
Ambertois à besace, avec pipe et chapeau
A trainé ses galoches, pour se hisser là-haut
Sur les sommets de bruyères, offerts sur un plateau
Tirant les vers du nez, des rustres péquenots
Mon patriarche à moi, raisonne en mes pamphlets
Quand j'ai l'humeur maussade, je vais m'y requinquer
Son âme bienveillante, m'incite à rêvasser
Ainsi naissent mes chimères, avides de briller
Des « Gustes », on n'en fait plus, à jamais disparus
D'en reprendre les mimiques, c'est devenu ardu
Ça a goût d'amertume, ne pas savoir parler
Le patois en français, gâche l'authenticité
A mon tour patriarche, j'atteins l'âge béni
Issu du 20ème siècle, de bruits et de folies
Faire les fonds de tiroir attise ma nostalgie
Recueille parlantes missives, aux images jaunies
Sur mes cimes ventées, aux folles sources bavardes
Je cherche encore mon graal, inutile bravade
Veilleur, j'attends l'aurore, de m'en abstraire me tarde
Craignant que le progrès, m'abêtisse par mégarde
C'est pas sur internet, qu'on apprend les vertus
Les valeurs humaines, de ces temps révolus
Campagnard endurci, incognito, j'écris
En poète fidèle, pour flatter mon pays
Patriarche bienheureux, se rit des temps modernes
La passion et la gloire, que de sottes balivernes
Ne se fie qu'à lui-même, pour voir le temps qu'il fait
Penché à sa fenêtre, s'éclaire la vérité
Bougnat ébouriffé, avare de paroles
Voûté, la tête basse, n'ignore pas son rôle
A l'art divinatoire, mais se tient à l'écart
Embrassades, ronds de jambes, ce n'est pas trop son genre
Sauvons, je vous en prie, nos dignes provinces de France
Nous laissons pas guider, selon les circonstances
Y va de nos coutumes, particulièrement la chance
D'en poursuivre l'histoire, qu'on lègue à notre engeance
Elevons nos enfants, afin qu'ils prennent conscience
Que c'est à leurs aïeux, qu'ils doivent leurs connaissances JC Blanc août 2019