Paul
Jean Claude Blanc
Paul
Une chute soudaine, une hallucination
Un corps se décroche, comme happé par l'abime
Silhouette gracile planant comme un oiseau
Ses membres en éventail, personnage de Folon
Le spectre d'un ami, qui plonge devant moi
L'espace d'un éclair, au fond du précipice
Une belle ascension interrompue d'un souffle
Cordée inachevée, pendue sur le néant
Le vide, le silence, révèlent le vertige
Une mauvaise prise, un pied mal assuré
Tout a été si vite que j'en reste ébaubi
Le gouffre cannibale, en secret se repait
Paul c'était mon frère, et mon second moi-même
Nous avions en commun des fibres auvergnates
Aux valeurs identiques, différemment marquées
Lui c'était l'intrépide, moi j'étais le rentré
J'enviais son aisance d'entreprendre, réussir
Ses projets les plus fous de façon insolente
Une énergie féroce, foutu idéaliste
Travesti de pudeur, factice désinvolture
Notre havre de paix, le cœur de la Maurienne
Déchirée d'avalanches, de rochers en suspens
Les forêts de sapins délimitaient l'espace
Au-dessus les aiguilles s'élançaient vers le ciel
Rituel sacré, expéditions lunaires
Direction les sommets, les déserts d'altitude
Hors d'atteinte de la faune, des nuées de touristes
Gravissions la montagne par la voie de nos rêves
L'aventure suggère gravité et sagesse
Lieu de métamorphoses, expérience sensuelle
Se taire, écouter, révélations des sens
Consentir l'éphémère, la mort, apprivoiser
Instinctifs combattants des convulsions sauvages
Pour puiser dans nos peurs et nos inhibitions
Un supplément de vie, l'art de savoir mourir
Philosophie stérile, nous étions immortels…
Il faut que je m'y fasse, mon Paul s'est évanoui
Mon complice s'est barré, montagne buissonnière
Mes extases désormais ne sont que recueillements
La tourmente l'air de rien en efface les traces
Revenu au pays mais entre quatre planches
Endormi à jamais dans sa terre sacrée
Lui qui riait de bon cœur de mes élans mystiques
S'est-il réconcilié avec le Seigneur…
Evocation ultime, pas de De Profundis
Ses rêves inachevés je les prends à mon compte
Hommage à ces sommets, au glacier d'Argentières
Le flanc des Aiguilles Rouges se parent de soleil
Un amoureux du monde, épris de chaque gonzesse
Trouvant en chacune d'elles, son charme personnel
Amant universel et même de son miroir
Un jouisseur pressé, sachant son temps compté
Paul, l'aventurier, toujours un mot pour rire
Au fond un mec anxieux, conquérant l'inutile
L'absence se soupèse à la mesure du temps
L'ascension suspendue a goût d'inachevé
Vallée de Chamonix, j'y vais en pèlerinage
Je ne suis plus bien leste, flageolent mes guiboles
Assis sur un rocher fais le plein de lumière
Le glacier des Bossons, s'érode au fil des ans
Mon pauvre camarade, tu dois rien regretter
L'aventure par ici, c'est plus ce que c'était
Péquins de la planète viennent faire leurs emplettes
Les tours opérators ont coché Chamonix
Quand les rayons dorés caressent les sommets
Le dôme du Mont Blanc au-dessus de ma tête
Mes pensées vont vers toi, partenaire de cordée
Les gens de la vallée sont bien trop occupés
Comprendront jamais rien à nos folles épopées
JC Blanc janvier 2022 (souvenir de mon pote qu'a gagné les étoiles)