Paul Art's
Daniel Macaud
J’aurais pu dire que c’était de la faute de cette poufiasse, ou de celui qui la sautait, mais il faut être réaliste, je ne sais pas ce qui a dérapé chez moi et surtout, je ne sais pas quand. Qu’est-ce qui a foiré ? Qu’est-ce qui s’est passé dans cette putain de caboche pour que ce cauchemar devienne un enfer ? J’en sais foutre rien, et pour tout dire, je m’en balance, parce que dans le fond, je me suis bien marré ! Il y en a qui naissent dans des draps de soie et d’autres non. Pourtant, je ne suis pas né dans un tas de merde, alors quoi ? Une explication ? Non. Une raison ? Non. Une excuse ? Aucune, et tant mieux. Tant qu’à parfaire mon œuvre, autant que j’en sois le dernier exemplaire, non ? Je pourrais dire que j’ai eu une enfance malheureuse, mais même pas. Un père alcoolique ? Non, tout juste un peu absent, faut bien, quand on bosse 18 heures par jour, mais ça m’a pas manqué. Toutes leurs conneries d’absence du père marquante et blablabla… foutaises oui ! Excuses pour petit trou du cul qui a peur de se le faire fourrer en taule ! Une mère alcoolique ? Tu parles, avec ses trois litres de Contrex par jour pour pas prendre un gramme, elle risquait pas d’écluser autre chose cette conne ! Alors quoi ? Toujours pas clair ? Pourtant, je ne peux pas être plus explicatif, tout est là. Je me suis bien marré. Mais le pire, c’est que dans dix ans, tout le monde dira que j’avais raison, c’est ça l’art !
Quoi d’autre ? Et bien, je pourrais dire qu’elles ne le méritaient pas toutes, pas sûr en tout cas. Mais bon, faut bien des martyrs. Elle, elle a été la première. C’est marrant. Il parait que c’est toujours la première fois qui marque. On s’y prend toujours comme un pied, c’est dommage. Elle aurait pu être ma plus belle réussite. Un si bel échec, une si pitoyable œuvre, franchement, elle sera mon seul regret.
C’est dans ces tourments là que commencent toutes les histoires sordides, et celle-là n’y coupe pas. Je ne sais pas qui a gagné ce duel au sommet entre le pardessus et le bandit, mais je sais que ça a laissé du sang, et pas mal. Je sais aussi que j’aurai aimé le peindre, mais comme tout ça ne fait partie que de ma tête et de ma folie, je ne peux pas. On ne peut pas peindre ce que l’on ne voit pas n’est-ce pas ? Surtout le sang, c’est super difficile à peindre, on ne sait jamais comment il éclate, comment il gicle. Selon l’arme et l’angle, tout peux changer, d’une simple flaque provoquée par l’acier tranchant d’une lame qui entaille en un long sillon une gorge chaude et humide, aux contours sinueux d’une hanche encore vibrante et courue par les terminaisons nerveuses qui n’en finissent pas de hurler leur douleur en direction d’un cerveau qui ne répond plus parce qu’il gît déjà dans la cuvette des chiottes, découpé par une lame brillante et encore fumante d’une scie circulaire; hanche encore douce et chaude, parfois rebondie, coupé à la scie, en passant par la constellation d’étoiles rouges provoquée par la rupture sèche et brutale d’un fémur au contact d’une hache de bûcheron lancé au maximum de sa puissance par des bras avides de verser au sein de la terre humide ce bouillon rougeoyant, signe intérieur d’un volcan qui vient de s’éteindre. C’est pas si simple le sang, c’est vivant, et pour capter le vivant, il me fallait un modèle, c’est aussi simple que ça. Il ne faut pas être dégoûté, vous savez que j’ai raison, mais vous, vous avez peur, parce que moi j’ai eu le courage de le faire, et que vous, vous serez toujours enfermé dans le carcan blafard de vos petites habitudes et de votre petite éducation si pauvrement humaniste et si merdiquement dégueulasse. Oui, c’est dégueulasse. Mais qui est dégueulasse ? Moi, ou vous et vos idées préconçues, qui vous isolent si bien du reste du monde qui crève devant votre petit écran ? Non, je ne mélange pas tout. Pourquoi moi je vous écœure et pas les sadiques encravatés qui engrangent les millions et égorgent les fils de ceux qui achètent leurs armes ? On est les mêmes après tout, sauf que moi, je suis passé au-delà de cet état de fait, je l’ai transcendé, je l’ai rendu beau !
Le magnétophone se coupa brusquement. L’homme se leva. Il sortit en lançant un vague « à la semaine prochaine ».
-Alors, on en était où avant que vous ne partiez gerber comme une merde dans les chiottes ? Ah oui, les explications. Comment vous faire comprendre qu’il n’y en a pas ? Oui je les ai toutes tuées et découpées en morceaux, et oui après j’en ai fait des peintures, et alors ? Pourquoi vous cherchez encore une explication ? Il n’y en a pas, j’ai fait de l’art c’est tout. J’aurai pu dire que c’est à cause d’une enfance malheureuse, mais même pas. On allait faire du ski l’hiver, l’été aux Sechelles, j’avais tout ce dont je rêvais, sauf ce dont j’avais besoin peut-être… Oui, peut-être qu’une bonne branlée m’aurait été salutaire de temps en temps, peut-être que j’aurai dû en prendre une ou deux, voire plus d’ailleurs. Je suis en train de me demander combien j’en ai ? Pas de toiles, tuées ! Combien j’en ai tuées, parce que, des fois, ça me plaisait pas le résultat, c’est ça quand on travaille avec de gros outils, on ne fait forcement des choses bien, et moi, le taille-haie, j’y arrivais pas, c’est sans doute pour ça que je l’ai raté la première.
C’est marrant comme des fois, les accidents décident subitement de changer le cours du destin. C’est vrai quand on y réfléchit, je faisais des études de psychologie, j’étais un brillant élève, premier de sa promotion, et tout d’un coup, sans crier gare, ça m’est tombé dessus. On ne peut même pas dire que c’est à cause d’un manque de cerveau, j’ai 130 de QI ! Et pourtant je suis fou. C’est étrange non ? La première, c’était cette poufiasse. Non je ne veux pas dire « ma mère », après tout, c’est à cause d’elle si je suis dans cette merde, c’est elle qui s’est faite tringlée, elle qui m’a tiré de ses tripes chaudes et immondes, elle encore qui m’a dit tous les jours « mouche ton nez » ! Quelque part, c’était logique qu’elle soit la première non ? Pourtant, c’était un accident, c’est pour ça que je l’ai foiré, ce n’était pas voulu, et je ne m’y attendais pas.
On était à la maison, celui qui sautait la pouffiasse était dans le jardin, à tailler la haie justement, et elle, elle était à coté, en train de le béatifier comme d’habitude, dans cet état de prostration et de bonheur immonde à faire gerber un stroumphf ! Moi, je ne faisais rien. Je ne torturais pas le chien, je ne noyais pas le poisson rouge, je ne faisais rien. Je ne me livrais à aucune de ces activités si souvent décrites comme étant les signes avant coureur d’une dégénérescence du citron. Elle est revenue pleine de sang, en hurlant dans la maison, comme une folle qui n’avait plus rien à perdre. Elle s’est jetée sur moi, toujours en hurlant de désespoir. Moi, je ne comprenais pas. Quand j’y repense, je ne comprenais jamais rien de toute façon. C’est quand j’ai vu ce sang, toutes ces éclaboussures flamboyantes qui venaient d’entrer dans mon petit monde aseptisé, fait de coton et de bois exotique, de papiers peint bleu et de fauteuil en tissus un peu vieilli, de canapé en vieux cuir séché et de cuisine refaite avec des bouts de ficelle parce qu’à l’époque, ils n’avaient pas une tune et que finalement, ça leur plaisait comme ça. Cette pourriture bariolée donc, venait de faire une entrée tapageuse dans mon petit monde tranquille, et ça m’a fasciné, et je crois que c’est là que j’ai tout compris. C’est là que je me suis rendu compte de l’œuvre à accomplir. Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Non je ne tremble pas, je n’ai pas peur, je suis calme, je la voie, elle hurle, je l’entends, mais je ne comprends rien. Je suis très calme. Je regarde le sang qui coule sur mes mains et mon bras droit. Je regarde la petite goutte de sang écarlate qui laisse derrière elle une petite trace, se promener sur mon bras. C’est magnifique. Elle semble vouloir faire du tourisme, s’arrêtant soudain contre un de mes poils, elle se force à passer autour, se coupant en deux un bref instant et se reformant l’instant d’après, décidé a partir à la conquête de ce bras qu’elle ne connaît pas.
Elle hurle toujours. Je comprends enfin que celui qui la sautait vient de s’empaler sur le taille-haie. Je ne suis même pas effrayé, toujours subjugué par cette petite goutte de sang qui vient de tomber de mon bras sur la moquette bleue du salon, s’enfonçant dans les bras soyeux d’un brin de laine de celle-ci, elle n’a pas supporté que je bouge mon bras. Elle s’est enfuie, apeuré, et se cache maintenant dans les bras de son amant de laine. Je la recherche, mais elle a disparue. Elle hurle toujours, qu’il faut appeler du secours, que je dois faire quelque chose. J’ai envie qu’elle se taise, elle m’ennuie. Je sors. C’est vrai, j’en avais marre, elle gueulait comme si on venait de lui arracher les tripes ! D’ailleurs, elle a gueulé pareil, quand j’y repense. Marrant non ?
Il est là, vautré dans la pelouse. Le sang. Partout le sang, c’est formidable, fantastique, ce sang qui s’étale en une large flaque rouge lentement, dans le silence. Le taille-haie s’est arrêté, parce qu’il l’a lâché. Je comprends alors qu’il a glissé de l’escabeau et qu’il se l’est rentré dans le ventre, déchiquetant le thorax, les côtes, les intestins, le cœur, les poumons, le foie, la rate, les reins, et enfin, la colonne vertébrale qui a été sectionné par à coups. Je le voie très bien quand j’ai fini de retirer la bouillie de son ventre tailladé. Les poumons ont été les plus durs à retirer, parce qu’ils étaient encore reliés à la trachée et qu’il a fallu que je l’arrache. Je pense maintenant que j’aurai dû prendre le taille-haie, mais je n’ai pas eu le réflexe. J’avais maintenant la colonne, couverte de chairs diverses, un bout de rein par ci, un morceau d’intestin grêle à coté, du sang partout, sur mes mains, sur lui, son mon pull, sur mes bras, plongés dans ses tripes, sur mon visage. Ça éclabousse le sang, quand tu arraches le cœur alors qu’il palpite encore. Il m’a regardé d’un drôle d’air d’ailleurs, quand je l’ai arraché. A croire qu’il était encore vivant. Mais ce n’était pas possible, puisqu’il était mort. C’est logique. J’avais maintenant la colonne vertébrale devant moi. C’est beau un corps humain. C’est après que l’idée m’est venue. Quand elle est arrivée dans le jardin, et qu’elle m’a vu. Elle s’est remise à hurler. Ça m’a fatigué. Je voulais juste qu’elle se taise un peu. C’est là que j’ai vu le taille-haie. Magnifique inspiration. Mais je n’aurais pas dû lui trancher la tête aussi vite, parce que, ça gâche les chairs. C’est vrai, après, il y avait du sang partout, et je ne voyais plus rien. Alors j’ai bien pris garde à ne pas massacrer le reste. Je suis allé chercher une serviette pour m’essuyer le visage, et j’ai pris un simple couteau de cuisine et je suis retourné dans le jardin. La tête avait été mal coupée. Il restait un morceau de chair qui la reliait au reste du corps, affalé dans l’herbe devenue rouge. Je me suis penché dessus et j’ai fini le travail proprement. Mais c’était trop tard. J’ai jeté la tête, de toute façon, je ne pouvais plus rien en faire, et je me suis attaqué au reste du corps. Il a d’abord fallu je lui retire tous les vêtements, parce que je ne voyais pas ce que je faisais, et puis ensuite, j’ai compris qu’il ne fallait pas que je fasse cela n’importe comment. C’est vrai que c’est beau un corps humain, quand tu le regarde de près, tu comprends que la nature a vraiment bien fait les choses, elle s’est appliquée, je ne devais pas gâcher tout cela, alors je suis allé chercher un atlas du corps humain, pour savoir exactement où je devais pratiquer la première incision.
D’abord, je n’ai rien compris. Alors j’ai attrapé un bout de peau, qui tremblotait encore au niveau du coup tranché, et j’ai coupé dans le sens de la longueur. Je suis descendu entre les seins, en faisant attention, une fois l’abdomen atteint, de ne pas couper ce qui se trouvait en dessous. D’ailleurs, il a fallu que je rééguise le couteau, ce n’était pas très beau ces lambeaux de chair tremblotant qui se détachaient avec les à coups que je donnais. Je tremblais un peu, comme un gosse qui ouvre son cadeau de noël. C’est super dur de retirer la peau, surtout sous les seins, il faut faire attention de ne pas la déchirer, c’est solide d’accord, mais il ne faut pas exagérer. En fait, j’aurais dû la retourner, pour la dépecer par le dos, c’est plus simple, je m’en suis rendu compte après…
Le magnétophone se coupa une seconde fois. L’homme sortit sans en dire plus que la première fois. Il laissa derrière lui un silence lourd et pesant.
-Bon, quand vous voulez. C’est bon ? Alors je reprends, j’en étais à la dépecer. Vous êtes vraiment pas costaud vous ! Petite nature va ! Si, il faut que vous écoutiez, et que vous sachiez, que vous sachiez comment j’en suis arrivé à créer la perfection. C’est pourtant si simple, mais personne ne veut comprendre, alors puisque vous, vous n’avez pas le choix, je vais tout vous raconter. Donc, une fois que j’en ai eu fini avec la peau, j’ai attaqué le thorax, mais là, il m’a fallu la scie, parce que c’est pas facile de casser un os avec les dents, d’ailleurs, le lendemain, il a fallu que j’aille chez le dentiste, c’est là que j’ai trouvé la seconde. Je suis donc allé chercher la scie, ça m’a pris du temps de scier toutes les côtes, mais après, c’était vraiment noël ! J’avais devant moi, offert à ma vue troublée par les gouttes de sueur qui ruisselaient sur mon front, tout le système humain, cette formidable mécanique, si solide et si fragile à la fois, la perfection tout simplement. C’est là que je me suis dit que je devais en garder une trace, avant que ça ne pourrisse, avant que ce ne soit moche, parce que, sur l’instant, avec ce sang brillant au soleil qui m’éclatait au visage, c’était sublime vous comprenez ? Je suis allé chercher l’appareil photo de l’autre, mais ça ne rendait pas ce que je voulais, donc j’ai pensé au matériel de peinture de l’autre pouffiasse. Oui elle était peintre, enfin, peintre, elle peignait. J’ai passé quatre heures à tout décrire dans la toile, et quand j’y repense, j’aurais dû tout défaire, parce que là, on ne voyait pas aussi bien. Tout était en place, alors que si j’avais tout défait, on aurait mieux vu le cœur, les poumons, le fois, la rate, enfin tout quoi ! Quand j’ai eu fini, je trouvais le résultat sympa, mais avec ma dent qui me faisait souffrir, je ne pouvais pas vraiment être objectif, alors j’ai mis la toile dans l’atelier de la pouffiasse et j’ai mis le feu aux deux corps, avec un litre d’essence. Vous avez déjà senti la viande brûlée ? C’est une odeur qui vous prend les narines, c’est presque enivrant, cette odeur de musc. Je respirais ça à pleins poumons, imaginant que cette fumée entrait dans les moindres recoins des bronches, des bronchioles.
Quand le lendemain, je suis allé me faire soigner ma dent, j’ai trouvé cette fille. Elle était en face de moi, elle devait se faire retirer un plomb, où je ne sais quoi, elle me fatiguait à parler cette vieille bique ! Quand je suis ressortie, elle est entrée, et j’ai décidé d’attendre à l’extérieur qu’elle sorte. J’ai quand même attendu une heure sous le porche, avant qu’elle ne se décide à sortir. Et je l’ai suivi, jusque chez elle. Je me suis dit de toute façon, que personne ne risquait de la regretter. Elle devait avoir environ une soixantaine d’année, mais elle était encore plutôt bien conservée, c’est important ce genre de chose, quand on fait de l’art, il faut du bon matériel. C’est pour ça qu’après, je n’ai choisie que des jeunes. Je m’en foutais de l'âge, pourvue qu’elles soient bien proportionnées. C’est important quand on fait de la peinture, d’avoir des modèles convenables, vous me comprenez ? Enfin bon. Je l’ai suivi jusque chez elle, et puis, je suis retourné chercher ma voiture que j’avais garé sur le parking du dentiste et je me suis garé quelques mètres avant, histoire que ma voiture ne soit pas reconnue plus tard, et j’ai pris mon matériel. J’avais défini un axe de travail pour cette peinture, je voulais étudier les éclaboussures du sang, donc, j’avais pris une hache, un hachoir, et un marteau. J’avais aussi pris de quoi peindre, parce que je savais que je n’allais peut-être pas pouvoir sortir tout de suite après pour le prendre, étant donné que j’allais être couvert de sang.
Je suis entré dans le petit jardin bien rangé de la petite maison où elle vivait et je suis entré comme ça. Elle ne fermait visiblement jamais à clé, dommage pour elle, mais en même temps, qui serait allé chez elle ? Ca sentait le moisi, la mort, ça m’as envahi quand je suis entré, ça m’as donné l’inspiration je crois, je l’ai trouvé dans son salon, en train de prendre une tasse de thé, avec son chat, près de la cheminée, un vrai cliché de vieux film. Elle devait être sourde en plus, parce que, elle ne m’a pas entendu quand j’ai posé mes outils. Je lui ai brisé le cou. Ça été rapide parce que, je voulais juste l’étrangler mais c’est fragile tout ça, surtout quand c’est vieux. Le chat est parti en courant quand il m’a vu, je crois qu’il a sauté par la fenêtre qui était ouverte. Et puis après, elle est morte. Je l’ai allongée sur le sol, comme il faut, et je l’ai dépecée, en commençant par le dos cette fois-ci. Ensuite, je me suis mis au travail. J’ai fait exploser la tête avec le marteau. J’aurai pu la tuer comme ça, mais je suis humain après tout, et ça n’aurait pas eu le même résultat surtout. J’ai bien veillé à ce que les yeux sortent de leurs orbites en tapant. Pour ça, il a fallut que je fasse éclater l’occiput, ça m’as pris plusieurs coups, parce que je ne faisais que l’enfoncer, ce n’était pas ce que je recherchais, et puis, à force de taper, j’avais du sang partout, du coup, je ne voyais plus très bien où je tapais, mais quand les deux globes oculaires sont enfin sortis, j’ai pu passer au reste. J’ai bien fait attention à ce que la tête et le corps restent bien attachés, et j’ai commencé à défoncer le thorax à la hache, ensuite, avec le hachoir, j’ai fait sauter les membres, en veillant bien à séparer les os aux niveaux des jointures, vous savez combien il y a d’os dans le corps humain ? Moi-même j’ai été surpris du temps qu’il m’as fallu pour tous les faire. Rien que pour les mains, séparer les tarses et les métatarses, et ben, c’est pas si simple, surtout que mon hachoir était trop large, et j’ai failli plusieurs fois couper l’os du doigt qui se trouvait à côté, donc il a fallu que je les sépare d’abord de la main, les uns après les autres. Ensuite, je me suis occupé des bras, et enfin des jambes, des pieds, carpes et les métacarpes. C’est la cheminée qui m’a donnée l’idée de la bûche. Il fallait que je voie ce que ça donnait. Alors j’ai pris une grosse bûche de chêne, et j’ai fait exploser le bassin, avec les muscles et les organes que je n’avais pas retiré. C’était absolument fantastique ! Le sang explosait à chacun de mes coups, réagissait à chacun des impacts que j’infligeais à ce pauvre corps morcelé. Le sang est vivant vous savez ?
Le magnétophone se coupa une nouvelle fois. L’homme qui venait de le stopper jeta un regard noir sur la personne qui chuchotait. Il se leva et quitta la pièce.
-Prêt pour un second round ? En fait, je passerai rapidement sur la peinture de ce deuxième tableau, parce que, dans le fond, ce n’est pas le travail le plus intéressant, c’est la composition qui est le plus intéressant, étudier la façon dont le corps et le sang réagissent, pour en saisir les moindres détails, à force d’étudier tout cela, je suis devenu capable de prédire comment réagirait le sang à chacune de mes œuvres. Trente-deux ? J’ai fait trente-deux tableaux ? Si vous le dites. Moi je ne comptais plus, je travaillais vous comprenez ? Quand j’y pense, j’ai dû tuer pas loin de quarante personnes alors. Oh rassurez-vous, ils ne sont pas morts pour rien, j’ai bien travaillé. Ma peinture ? Elle était réussie. La troisième c’était une étudiante. Elle était parfaite, j’en ai profité pour la sauter. C’était assez… intéressant comme sensation. Je n’avais jamais baisé de cadavre. Quand j’y repense, j’aurai dû jeter le bassin au lieu de le garder dans le frigo, après tout, c’est à cause de ça que je me suis fait arrêté non ? En même temps, cette peau était si douce, je crois bien que si je ne l’avais pas tuée, j’en serai tombé amoureux. Elle m’a été d’une grande aide dans mes recherches. Je crois bien qu’après autant de mort, j’ai tout fait. Tous les instruments y sont passés, de la hache à la scie sauteuse. Le plus dur a été le dixième tableau, parce que je n’étais assez fort pour arracher les membres, alors il m’a fallu de l’équipement pour écarteler le corps. Heureusement, je connaissais parfaitement les instruments de torture du moyen âge, alors je m’en suis donné à cœur joie ! C’était un véritable chef d’œuvre. Le meilleur de tous je crois. Je crois que finalement, ce n’est pas si mal que ça finisse ainsi.
Du bruit au fond de la salle. L’homme coupa le magnétophone et regarda les gens sortir, sans un mot. Il se retrouva seul. Il rangea ses petites affaires, avec précaution, et sortit à son tour en soupirant. Il se retrouva chez lui rapidement. Sur les murs du salon, trônaient des tableaux, Il en fit le tour lentement, les détaillant tous, et posa d’un geste nonchalant une petite cassette audio sur la table en chêne qui se trouvait au milieu de la pièce, puis il s’approcha de l’un d’eux.
-Et ben tu vois, finalement, il n’y a personne pour m’écouter, personne pour me comprendre.
Il alla dans la pièce voisine, où se tenait, sur un chevalet, un autre tableau, à peine terminé. Il attrapa le pinceau et corrigea un détail, se recula, eut un sourire de satisfaction, et s’approcha d’une corde, relié à un système de poulie et d’engrenage. Au plafond, suspendu par ce système, étaient accrochés plusieurs objets. Une hache, une dizaine de couteaux, des barres de fer, et un bloc de béton. Il se coucha dans les marques au sol qu’il avait tracé et tira sur la corde.
-Nous lui aurons finalement remis la main dessus à ce taré !
-Monsieur le commissaire, venez voir.
L’officier de police entraîna le commissaire dans la pièce du fond, cachée par un faux mur. Depuis une heure, la brigade avait envahi la petite maison tranquille et fouillait partout pour trouver ce qu’il restait de preuves de ce tueur en série qui pendant un an avait terrorisé la région. Quarante victimes. Quarante morts pour une « recherche » artistique. Quel fou ! Tous les tableaux qu’il avait emporté dans sa fuite étaient là, monstruosité effarante de la violente gratuite dont avait fait preuve ce salaud. Il lui avait couru après pendant un an, faisant même appel à un profileur, pour tenter, en vain, de le chopper avant qu’il ne fasse une victime de plus. Le commissaire poussa un soupir. Et dire qu’il était prof de psychologie ce maniaque ! Comment avait-on pu le laisser approcher les jeunes malgré ça ? Comment avait-il fait pour cacher autant de violence et de haine ? A coup sûr, c’était un génie. Aussi génial qu’Hitler, au moins aussi fou. Après tout, il avait bien réussi à s’enfuir il y a deux mois, au vu et au su de tout un commissariat, SON commissariat ! Il s’arrêta devant une petite cassette audio, en évidence sur la table du salon. Il la reconnut tout de suite, c’était la cassette de l’audition, pendant la garde à vue du tueur. La cassette sur laquelle était enregistrée toute sa confession, la cassette qu’il avait lui-même glissée avec un sourire de satisfaction dans le magnétophone, en étant sûr d’avoir enfin accompli son devoir de flic ! Sourire qui avait vite disparu quand ce dingue avait commencé son récit.
-Monsieur…
-J’arrive !
La salle du fond ressemblait à une boucherie. Un corps était allongé là, la tête écrasée par un bloc de béton, le reste du corps tranché, transpercé par des dizaines d’ustensiles divers. Du sang partout. Il avait fait une dernière victime.
-On est sûr que c’est lui ?
-D’après le tableau, oui.
-Le … ?
Juste à coté, un tableau, nommé « autoportrait ». Il examina le tableau quelques secondes et poussa un sifflement de surprise. Il était parfaitement fidèle à la réalité, à la goutte de sang près.
fin