Pause

Jerry Milan

J'ai appuyé sur la touche ''pause''. Je suis en mode ''survie'' actuellement. C'est à dire que mon cerveau donne des informations à mon corps qui réagi en maintenant ses fonctions vitales. Mon coeur bat, mes poumons respirent, la faim et la soif me poussent à m'alimenter et à boire alors que je n'y trouve plus aucun plaisir. J'ai perdu huit kilos et je continue à fondre. Il est très difficile d'influencer son cerveau et lui prendre la main. Il n'y a que quelques fakirs, sâdhus et autres yogis qui y arrivent après des années d'entrainement et de travail sur soi. Et encore, ils peuvent à peine réduire le battements de leur coeur ou le volume de leur respiration qui est un point essentiel dans l'art du yoga. Moi, je ne l'ai plus, la main. Je n'ai non plus aucune sensation de plaisir ou d'orgasme qu'il soit charnel ou spirituel. D'ailleurs, je ressens plus la douleur que le plaisir. J'ai déjà connu des états similaires, mais pas à un point de non retour aussi cruel. Le pire, c'est que je n'ai aucune envie que la situation s'améliore, bien au contraire. Alors, je laisse faire. Si j'étais alcoolique , je me saoulerais jusqu'au coma éthylique. Si j'étais drogué, je m'en foutrais jusqu'à l'overdose, mais je ne le suis pas. Je suis clean depuis des années, je ne consomme pas d'alcool. Je laisse donc mon corps réagir aux ordres émis par mon cerveau et j'ai mis ma vie en veilleuse. Je vogue telle une algue à la surface de l'eau se laissant trimbaler par le courant et le ressac. Je continu à aller au boulot, me laver les dents, chier un coup et faire quelques courses même si ça m'emmerde. Tout m'emmerde! Tout échappe à mon contrôle et je n'ai plus le goût à rien. Les objets me pètent dans les mains les uns après les autres. Grille-pain, le démarreur de ma moto, le four électrique, le robinet de la salle de bain, la bagnole, l'ordinateur, le décodeur tv, la lunette des chiottes, mes lunettes de vue...c'est tout de même un signe, les lunettes de vue! C'est plutôt agréable de voir flou. Ca me fait tourner la tête et ça me saoule. Tout me saoule. Avant, je me serais acharné à réparer car tous ces objets étaient réparables ou alors j'aurais foncé pour les remplacer. Aujourd'hui, j'essaie de bricoler un peu le truc et comme je n'y arrive plus il fini dans la poubelle. Si je remplace, c'est que par l'essentiel et indispensable. J'espère ainsi de me débarrasser et jeter tout à la longue. Je suis en train de me sâdhuiser. Je suis dans la phase du renoncement. Renoncement à tout, surtout à l'amour. Il a renoncé à moi, qu'à cela ne tienne, je renonce à lui. Je l'emmerde même !La bagnole me lâche? Direction la casse. La santé me lâche? Je renonce à me soigner. Je me suis couvert de cendres de la tête aux pieds. Je suis au service minimum pour ne pas être réduit à la crasse et à la mendicité. Je paie encore mes factures, mon essence et mes courses. Pour combien de temps?Je n'ai plus de projets. Je survis donc. Survivre n'est pas vivre, mais survivre! Ca veut tout dire. Résultat d'un ratage sans rattrapage. Des échecs, j'en ai eu des tas mais, j'ai eu le droit au rattrapage. J'en ai profité et je l'ai assuré. Souvent, j'ai réussi à cet exercice ce qui me réconfortait dans l'idée de ne pas renoncer. Ce coup-ci, je n'y ai pas eu droit. Et puis, je suis trop vieux pour ces conneries, je suis trop con et trop vieux pour retourner à l'école de la vie. Je n'ai plus envie de me faire sodomiser. Je ne sors plus de chez moi, je ne vois personne en dehors de mon boulot. Temps à autre quand le temps le permet, je vais juste faire un tour à la plage l'après midi avec un bouquin. Nager me fait du bien et cela renforce les soins qui me sont administrés pour le moment tous les matins cinq jours par semaine. Et les rayons du soleil sont bien plus bienfaisants. Survie encore, mais j'ai l'intention d'arrêter si la situation ne s'améliore pas. Pour l'instant j'ai besoin d'un minimum de forme pour pouvoir continuer à travailler. Je ne me battrais pas comme certains qui s'accrochent à la vie comme les arapèdes aux rochers. Moins ça va et plus ils s'accrochent pour gagner quoi? Quelques jours, mois, années peut-être, mais la maladie fini toujours par prendre le dessus et la mort les emporte. Comme mon père. Des années de souffrances pour lui et le monde qui l'entourait. Je me suis fermé à la communication comme une huitre. Essayer donc ouvrir une huitre si vous n'avez pas le coup de main adroit et ne connaissez pas le point où il faut insérer le couteau avec précision pour sectionner son muscle puissant.. J'ai jeté tous mes amours sauf les plus importants, que j'ai rangé dans une boite en carton. Il y en a pas tant que ça vu le volume global. Deux? Trois peut-être avec ce dernier que j'ai fixé sur le mur, juste au dessus de mon ordinateur portable et que je regarde tout le temps car c'est une place que j'occupe souvent en ce moment. Je passe mes journées à lui crever ses yeux à coup d'épingles pour qu'il ne puisse pas me voir passer mes nuits à pleurer de l'avoir rendu aveugle...Ce dernier, parce qu'il est le dernier et le plus fort des tous, ultime, celui qui vous transporte au delà des cieux. Celui qui vous transforme enfin et qui ne vous fait plus douter de rien. Et c'est là que surgit le problème. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même si aujourd'hui mon avenir ne se limite qu'à un jour. J'ai été trop laxiste sur plein de points vitaux. Sûr de moi et de la situation, je me suis endormi sur mes lauriers. Trop d'assurance et le surplus de confiance provoquent une chute d'autant plus douloureuse...Alors je La regarde et Elle me regarde avec ses yeux vides de pupilles. Je regarde ses yeux que je trouvais merveilleux, sa bouche parfaite et son visage qui m'a fait tant de bien et que j'ai tatoué au dos de mes paupières à l'encre blanche. Cette image qui émet désormais une lumière éternelle qui m'empêche de dormir la nuit. C'est con, mais c'est ainsi.J'ai du mal avec tout ça. Je n'arrive toujours pas à y trouver une raison valable. Je ne veux pas accepter et pourtant c'est la seule issue. Je nie les évidences, refuse les décisions, me rebelle contre les certitudes. Je ne veux ni voir ni entendre. La tristesse m'accompagne le jour et la solitude obscène hante mes nuits blanches. Les deux ont tendu un voile sur ma misérable vie. Je me sens trahi, blessé au plus profond, abandonné. Le mal être s'est emparé de moi et diffuse son poison dans mes artères. Les larmes abreuvent mes lèvres asséchées par les soupirs. Mes yeux sont rougies tellement je chiale n'importe quand. A la vue d'une photo, à la mémoire d'un souvenir. Mais j'ai de moins en moins de larmes. La source qui les alimente va finir par se tarir à son tour. A sec...La douleur ne me quitte plus. Elle a envahi ce coeur qui ne m'appartient plus et mon corps a perdu toute sensation de plénitude. Je souffre de cette image gravée au dos de mes paupières et qui m'obsède minute par minute. Je me hais. Le mot bonheur a été rayé de mon vocabulaire. Mon cerveau a été déconnecté de la réalité. Je cherche par reflexe de l'air pour respirer, mais refuse la nourriture pour survivre. Survivre ? C'est ça. Survivre pour vivre, quel triste sort...Je n'ai même plus le ressenti ni la haine qui animait au début mon sentiment d'injustice et de trahison. Pas de mépris. Las de tout, je m'en fous. Je me fous de tout...Je voudrais juste que cette image disparaisse. Qu'elle s'évapore. Ce n'était qu'un leurre. Un beau leurre, certes, magnifique même, mais un leurre...Une illusion qu'a traversé ma vie comme un éclair. Un beau rêve qui a duré trois ans et un mois...''T'as signé pour trente ans'', tu parles...Elle m'a dit ça, alors qu'elle se savait incapable d'aimer un homme à peine plus que trois ans. Divisés par dix! Mais pendant ces trois ans elle m'a fait rêver comme elle m'a aussi fait énormément souffrir. J'acceptais cette souffrance, je m'en délectais même car elle nourrissait les moments de bonheur intense passés à ses cotés. Dans ses bras, dans son corps.

Pour préserver ce souvenir intact et de ne plus nourrir mes regrets, aujourd'hui, je voudrais qu'elle disparaise!

Je voudrais que cette image meurt avant le temps. Je voudrais que son corps part hors de tous les regards possibles. Je ne suis pas jaloux: je veux simplement éviter de la voir, éviter la possibilité de la voir. Je ne veux plus oublier, de l'oublier...l'oubli s'est perdu de lui-même dans sa propre nuit et cet éternel crépuscule est invivable. Je veux qu'elle disparaisse parce que maintenant je me connais. Je le veux  parce que pendant ces mois amoureux que j'ai cru partager avec elle, et depuis, dans la douleur de son désamour, elle m'a montré tel que je suis. Je le veux pour pouvoir encore me cacher, pour pouvoir encore me chercher, pour pouvoir lui pardonner. Je veux que son image meurt d'une mort quelconque. Je ne rêve ni d'une façon douce ni d'une façon douloureuse. Je voudrais simplement qu'elle disparaisse de ma vie. Je voudrais qu'entre elle et moi ce soit elle qui s'en aille. Je veux cesser d'accomplir ce suicide perpétuel que j'accomplis chaque jour depuis qu'elle m'a abandonné. Je veux que cesse le tourment sans fin de songer que son amour céleste pourrait mettre un terme à mon amour terrestre. Je ne veux plus seulement qu'elle disparaisse de ma mémoire, je ne veux plus seulement que cette possibilité soit ôtée à mon présent, je voudrais qu'elle soit effacée du futur. Je ne veux pas la tuer, oh ça non ! Je ne sens aucun désir de l'atteindre par une quelconque violence. Je veux tout simplement que disparaisse de mon coeur et de ma mémoire ce leurre que j'ai tant aimé à en mourir...Je le veux pour ne plus survivre mais pour à nouveau pouvoir revivre, tranquille....

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