Peines de Vies 4 - Les gouts et les douleurs

Patrick Mermaz

Au restaurant « Le Bourre Pif », la cuisine y est choquante et percutante. Un couple en apparence « comme il faut » vient y fêter ses 25 ans de mariage et de violence conjugale...

Ce texte est offert gracieusement à la lecture.

Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l'autorisation de la SACD : www.sacd.fr

Ce texte est protégé par copyright.france

Pour toute autre information, contacter l'auteur : theatrepourlesfilles@gmail.com

Toutes ses pièces sont librement téléchargeables sur son site : theatrepourlesfilles.asso-web.com


PEINES DE VIES 4

LES GOUTS ET LES DOULEURS

de Patrick Mermaz

-------------

4 personnages : 3 femmes - 1 homme

durée de la pièce : 10 minutes

-------------

Personnages

LA SERVEUSE

LA FEMME

LE MARI

LA CLIENTE

 

Décors

Un restaurant.

 

Costumes

Les costumes sont aussi laissés à l'imagination du metteur en scène.

 

Accessoires

Des menus, des couverts et de verres.

 

VOIX OFF : En France, tous les deux jours et demie une femme meurt victime de violences conjugales.

 

Dans le restaurant « le Bourre Pif » une serveuse prend la commande de la cliente 2.

 

LA CLIENTE : Qu'est-ce que vous me conseillez comme plat du jour ?

 

LA SERVEUSE : Vous avez le licenciement abusif à la crème fouettée ou la noix de harcèlement moral avec des petits attouchements en garniture.

 

LA CLIENTE : Je vais prendre la noix.

 

LA SERVEUSE : Vous la voulez comment votre noix ?

 

LA CLIENTE : Saignante.

 

LA SERVEUSE : En boisson ?

 

LA CLIENTE : Un petit jus de raisins de la colère.

 

LA SERVEUSE : Ça roule… (Criant en cuisine) Un harcèlement moral pour la 6 ! Et une main au cul pour la 8 !

 

Un couple entre dans le restaurant. La femme semble souffrir des côtes et se tient le flanc.

 

LA SERVEUSE : Bienvenus au « Bourre Pif ». Deux couverts ?

 

LE MARI : Exactement.

 

LA SERVEUSE : Je vous propose cette table.

 

LE MARI : Ce sera parfait.

 

LA SERVEUSE : Je vous laisse vous installer. Je vous débarrasse ?

 

La serveuse sort.

 

LE MARI : Merci. Installe-toi ma chérie… Quelle merveilleuse soirée.

 

LA FEMME : Je te remercie mon amour pour la correction que tu m'as infligé tout à l'heure.


LE MARI : Ne me remercie pas, c'est normal. Tu m'as cherché, tu m'as trouvé. Et puis, rien n'est trop beau pour toi, tu le sais ?

 

LA FEMME : C'est vrai que tu m'as gâté : deux côtes cassées et un œil au beurre noir. On ne pouvait rêver mieux pour un anniversaire de mariage.

 

LE MARI : Attend, la soirée n'est pas terminée. Peut-être y aura-t-il d'autres surprises.

 

La serveuse revient avec un tableau noir où sont marqués les plats.

 

LA SERVEUSE : Souhaitez-vous prendre un apéritif ?

 

LE MARI : Pourquoi pas. Est-ce que vous avez une de vos bonnes bouteilles de vin de la discorde ?

 

LA SERVEUSE : Oui, il nous en reste encore.

 

LE MARI : Je pourrais garder la bouteille vide et la casser sur la tête de ma femme en rentrant ? Elle adore ça… (Discrètement) C'est aujourd'hui notre anniversaire de mariage, alors je voudrais être bien torché pour lui foutre une raclée mémorable, vous voyez ce que je veux dire ?

 

LA SERVEUSE : Je comprends.

 

LE MARI : Ensuite, en entrée, nous prendrons un velouté de coups de poings aux yeux pochés. Madame prendra un bon crochet du droit avec sa dent cassée. Quant à moi, vous me mettrez une petite volée d'injures bien senties avec quelques reproches futiles, histoire de me mettre en appétit.

 

LA SERVEUSE : Excellent choix. Bonne soirée… (Criant en cuisine) Deux coups de poings, un crochet et une volée d'injures pour la 4 ! Je vous amène l'apéritif.

 

La serveuse sort.

 

LA FEMME : Excuse-moi, mon chéri, je vais aux toilettes me refaire une beauté. Du moins si j'y arrive.

 

LE MARI : N'essaye pas de te barrer d'accord ? De toute manière je te retrouverais.

 

LA FEMME : Ne t'en fais pas, je me souviens de la dernière fois où j'ai essayé et mon dentiste aussi d'ailleurs.

 

LE MARI : Qu'est-ce qu'on s'était amusé ce jour-là.

 

LA FEMME : Oui, mon chéri, surtout toi.

 

La femme se lève et se dirige vers les toilettes et sort.

La serveuse revient avec l'apéritif de la cliente et des petits gâteaux.

 

LA SERVEUSE : Voilà madame.

 

LE MARI (À la cliente) : Bon appétit.

 

LA CLIENTE : Merci.

 

LE MARI : On se connait ?... Vous me rappelez quelqu'un… C'est comment votre petit nom ?

 

LA CLIENTE (intimidée) : Monsieur, s'il vous plait.

 

LE MARI : Voyons, ne faites pas votre mijaurée… Avec moi, ça ne marche pas.

 

LA CLIENTE : On sent que vous savez parler aux femmes vous.

 

LE MARI : Que voulez-vous, c'est plus fort que moi. Sans me vanter, je suis une sorte de Don Juan de la raclé, un Casanova de l'insulte. Vous voyez ce que je veux dire ?... Je vais vous dire un secret : éclater la gueule de ma femme, ça toujours été un de mes passe-temps favoris… En plus, moi, ça me détend et elle, c'est bon pour la circulation de son sang.

 

LA CLIENTE : Votre femme à bien de la chance.

 

La serveuse revient avec les apéritifs.

 

LE MARI : Et oui. Mais il faut souvent que je le lui rappelle. Vous savez comment sont les femmes à cet âge-là. Certaines fois la mienne frôle l'ingratitude. Et je suis obligé… (Avec gestes à l'appui)… de remettre les pendules à l'heure.

 

Le mari va vers sa table et bois cul-sec son verre.

 

LA CLIENTE : Les hommes comme vous ça ne courent pas les rues.

 

LE MARI : Que voulez-vous, tout le monde n'a la chance que j'ai. Je crois que je dois beaucoup à mon père. Il nous battait moi et ma mère, avec beaucoup de… comment dirais-je ?... Avec beaucoup de plaisir. Il me disait toujours : qui aime bien, châtie bien ; qui aime très fort, châtie très fort. Et mon père nous aimait très fort ma mère et moi. En fait, j'essaye de perpétuer une sorte de tradition familiale.

 

LA CLIENTE : Il ne doit pas exister beaucoup de couples qui vous ressemblent.

 

LE MARI : Pensez-vous !

 

LA CLIENTE : En tout cas, on n'en voit pas beaucoup.

 

LE MARI : Ils sont plus discrets c'est tout. Vous n'imaginez pas la quantité de femmes battues qu'il peut y avoir dans notre pays. On dirait que certains hommes ont honte de leur violence. Mais qu'ils la montrent à la face du monde, bon Dieu ! Qu'ils en soient fiers, merde !... (Se dirigeant vers les toilettes et criant) Tu ne vas pas passer ta soirée dans les toilettes quand même !?... Tu m'obliges à draguer des poufs !

 

VOIX DE LA FEMME : J'arrive mon amour, j'arrive !

 

LE MARI : Ah la la ! Si elle n'est pas là dans cinq minutes, ça va barder pour son matricule… Excusez-moi de vous demander ça, mais comment se fait-il que vous soyez toute seule dans ce restaurant ? Vous n'êtes pas mariée ? Vous n'avez rien d'autres à faire que de venir provoquer les pauvres maris qui viennent tranquillement diner avec leur épouse ?

 

LA CLIENTE : Si, si, mais de temps en temps, j'aime bien sortir en célibataire ou avec des copines.

 

LE MARI : Ah oui, un peu comme ces femmes à la cuisse légère qui cherchent une amourette sans lendemain.

 

LA CLIENTE : J'adore votre humour ! Non, je viens juste manger un morceau et me détendre.

 

LE MARI : Ouais, c'est ça.

 

LA CLIENTE : Et vous, vous êtes ici pour une raison particulière.

 

LE MARI : Ma femme et moi, nous fêtons nos 25 ans de mariage.

 

LA CLIENTE : C'est beau un couple qui dure.

 

LE MARI : Merci.

 

La femme sort des toilettes toujours en se tenant les côtes et en souffrant.

 

LA FEMME : Me voilà ! Je n'ai pas été trop longue j'espère ?

 

LE MARI : T'as juste frôlé la mandale de ça. (Avec gestes à l'appui) Va t'asseoir.

 

LA FEMME : J'ai une grande nouvelle à t'annoncer.

 

LE MARI : Vas-y je suis toute ouïe.

 

LA FEMME : J'ai deux côtes cassées et je crois que je fais une hémorragie interne.

 

LE MARI : Oh, ma chérie, je t'aime ! Et en plus le jour de notre anniversaire. Tu ne peux pas savoir à quel point tu me fais plaisir… Et mademoiselle, je vais être veuf ! (à la cantonade) Vous entendez ça, je vais être veuf !!!

 

LA CLIENTE : Félicitations 

 

La serveuse sort des cuisines et applaudis le couple.

 

LE MARI : Merci, merci. (À la serveuse) Mademoiselle, vous comprendrez bien que nous n'allons pas pouvoir rester.

 

LA SERVEUSE : Ne vous inquiétez pas pour ça, la maison vous offre l'apéritif.

 

LE MARI : J'aimerais voir ma femme mourir dans son lit.

 

LA CLIENTE : Vous ne comptez pas l'emmener à l'hôpital ?

 

LA SERVEUSE : Nous pouvons vous appelez le SAMU si vous voulez ?

 

LE MARI : Jamais de la vie, ils risqueraient de me la sauver. Non, nous allons faire ça dans l'intimité, entre nous, hein chérie ?

 

LA FEMME : On fera comme tu voudras.

 

LE MARI : Viens chérie, rentrons à la maison… Bonne soirée.

 

LA CLIENTE : A vous aussi.

 

Le couple sort. La cliente éclate en sanglots.

 

FIN

Signaler ce texte