Peines de Vies 5 - Le Grand Ordinateur

Patrick Mermaz

Imaginez un monde où un Grand Ordinateur décide de votre destin. Imaginez un monde où vous ne maîtrisez plus rien. Imaginez une dictature informatisée… Imaginez que vous vous révoltiez ?

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PEINES DE VIES 5

LE GRAND ORDINATEUR

de Patrick Mermaz

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7 personnages : 6 femmes / 1 homme

durée de la pièce : 10 minutes


Personnages

La mère de famille

Le SDF

La refugiée

La syndicaliste

La prostituée

La Rom

La prix Nobel

 

Décors

Aucun.


Costumes

Les costumes sont aussi laissés à l'imagination du metteur en scène.

 

Accessoires

7 cartons marqués de 7 chiffres.


VOIX OFF : Article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

 

Lumière. Sept personnes sont dans une grande pièce et semblent attendre quelque chose ou quelqu'un. Elles tiennent dans leur main un carton avec un chiffre noté dessus.

 

LE SDF : Je t'en foutrais moi, des « naissent libres et égaux » !... En tout cas, moi, ils ont dû m'oublier après la naissance… Escrocs !!

 

LA REFUGIÉE : Un point pour vous… Vous savez comment on dit fraternité au Darfour ?... Frappe pour l'éternité…

 

LA MERE DE FAMILLE : Vous pensez que ça viendra bientôt ?

 

LA SYNDICALISTE : Vous êtes pressés de savoir vous ? On sait ce qu'on va perdre, mais on ne sait pas ce qu'on va trouver.

 

LE SDF : De toute manière, ça ne pourra pas être pire.

 

LA MERE DE FAMILLE : Parlez pour vous ! Moi, j'avais tout ce qu'il me fallait et j'étais très heureuse comme ça.

 

LA PROSTITUÉE : A chacun son tour… Il faut bien que la roue tourne de temps en temps.

 

LA ROM : Qu'est-ce qui vous fait croire à tous que ce sera mieux ?

 

LE SDF : On n'en sait rien justement.

 

LA PROSTITUÉE : On a peut-être au fond de nous un truc qui ressemblerait… je ne sais pas moi, à,… à un semblant d'espoir.

 

LA PRIX NOBEL : Oui, bien sûr, bla-bla-bla… et l'espoir fait vivre. Eh ! On peut sortir autres choses que des lieux communs !?

 

LA ROM : L'espoir fait peut-être vivre, mais il ne remplit pas les estomacs. En tout cas, pas par chez nous en Roumanie.

 

LA SYNDICALISTE : Ce que vous pouvez être matérialiste !

 

LA ROM : Excusez-moi, mais je ne suis pas née avec une cuillère en argent dans la bouche, moi !

 

LA REFUGIÉE : Un an pour s'y habituer c'est quand même long.

 

LA SYNDICALISTE : Surtout quand ce n'est pas agréable.

 

LA PRIX NOBEL : Par contre quand c'est bien, c'est toujours trop court.

 

LA PROSTITUÉE : Vous faisiez quoi cette année ?

 

LA PRIX NOBEL : Moi, j'étais prix Nobel de littérature au Canada. Et vous ?

 

LA PROSTITUÉE : Pute à Manille.

 

LA PRIX NOBEL : Pas de chance.

 

LA ROM : Y'a sûrement pire encore.

 

LA SYNDICALISTE : Moi, je dis que quand il vous tombe ça sur le coin du citron, le moral il doit en prendre un sacré coup.

 

LA MERE DE FAMILLE : Et la dignité alors !?

 

LE SDF : Parlons-en de la dignité. Moi, je ne souhaite à personne d'être ce que j'ai été pendant un an.

 

LA REFUGIÉE : Et c'était quoi ?

 

LE SDF : SDF dans le bois de Vincennes.

 

LA MERE DE FAMILLE : Moi, j'étais mère de famille et j'avais deux beaux enfants. Nous vivions dans un petit pavillon de la banlieue d'Oslo et la vie était belle.

 

LA SYNDICALISTE : Attention au réveil… Et vous, qu'est-ce qu'il vous a refilé pour cette année ?

 

LA REFUGIÉE : Réfugiée du Darfour…

 

LA SYNDICALISTE : C'est quoi le Darfour ? Un produit d'entretien ?

 

LA REFUGIÉE : Un pays malheureux… Pendant un an, j'ai vu la mort, la guerre et les massacres en face.

 

LA ROM : Il ne vous a pas gâtée là-haut. Qu'est-ce que vous aviez fait pour mériter ça ?

 

LA SYNDICALISTE : Pas besoin d'avoir fait quelque chose. Je vous rappelle que nos vies annuelles sont tirées au sort. Et par une machine en plus.

 

LA MERE DE FAMILLE : Qui vous dit que c'est une machine et pas un être supérieur ?

 

LA PRIX NOBEL : Une machine n'a pas d'états d'âmes… ni même de pitié.

 

LA SYNDICALISTE : Parce que vous pensez qu'un être supérieur en aurait ? Tout ça, c'est des foutaises… Nous sommes prisonniers d'un système politique totalitaire et répressif, voilà tout. On ferme sa gueule et on obéit.

 

LA REFUGIÉE : Moi, je veux une vie digne. Une vie où je suis libre de faire et dire ce que je veux.

 

LA PRIX NOBEL : Vous prendrez ce qu'on vous donnera et puis c'est tout !

 

LA REFUGIÉE : Non !

 

LA PRIX NOBEL : Comment ça : non !?

 

LA REFUGIÉE : Je veux choisir ma vie.

 

LA PRIX NOBEL : Ma pauvre fille, vous déraisonnez.

 

LA REFUGIÉE : Vous ne comprenez pas que c'est justement parce que vous acceptez cette fatalité que vous vous rendez complices de ce système.

 

LA MERE DE FAMILLE : Mais il vaut peut-être mieux avoir une mauvaise vie que pas de vie du tout.

 

LA PROSTITUÉE : C'est horrible ce que vous dîtes là.

 

LE SDF : Non, elle a raison. Vous n'êtes que des utopistes. Vous croyez que le bonheur peut exister pour 6 milliards de personnes ? Réveillez-vous bon sang ! Le monde sera toujours divisé en deux : d'un côté les gens qui seront nés au bon endroit et au bon moment et qui posséderont tout… Et de l'autre, les 4/5 de l'humanité qui se feront exploités, abusés, trompés, torturés ou massacrés parce qu'ils n'ont aucun droit !

 

LA PROSTITUÉE : Nous ne serions pas les premières à nous révolter contre ça !

 

LA ROM : Vous pourriez aussi être les dernières.

 

LA REFUGIÉE : Les menaces ne me font pas peur !

 

LA MERE DE FAMILLE : Taisez-vous ! J'entends du bruit.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Numéro 1 !

 

LA MERE DE FAMILLE : C'est moi.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Votre vie est à présent terminée. Veuillez vous rendre au Centre des Interruptions Vitales.

 

La mère de famille sort sans un mot.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Numéro 2 !

 

LE SDF : C'est moi.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Vous allez subir une remise à jour de votre cerveau et vous serez exilé en camp de réunification mentale.

 

Le SDF sort sans un mot.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Numéro 3 !

 

LA REFUGIÉE : C'est moi.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : A partir de cet instant, vous n'existez plus et vous n'aurez jamais existé. Tous les souvenirs que vous aurez laissés derrière vous seront effacés de la mémoire collective.

 

LA REFUGIÉE : Non.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : La sentence n'est pas négociable.

 

LA REFUGIÉE : Je la refuse quand même.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Persister, serait condamner vos co-vitalistes.

 

LA REFUGIÉE : Qu'ils se joignent à moi et qu'ils prennent en main leur destin.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Nous ne pouvons vous permettre de contaminer l'humanité.

 

LA REFUGIÉE : La liberté n'est pas une maladie !

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Cela ne l'empêche pas d'être aussi contagieuse que la peste.

 

LA REFUGIÉE : Alors, c'est une peste nécessaire.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Vous ne sortirez pas vivant de cette pièce.

 

LA PROSTITUÉE : Qui nous en empêchera ?

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Vous-même car si vous sortez d'ici, vous aurez face à vous quelque chose de pire à affronter.

 

LA SYNDICALISTE : Et quelle est cette chose ?

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : L'inconnu.

 

LA REFUGIÉE : Nous n'avons plus peur de l'inconnu… Nous allons toutes partir d'ici et vous cesserez d'exister. (Aux autres) Que décidez-vous ?

 

LA SYNDICALISTE : Je vous suis. Nous avons une révolution à faire.

 

LA PROSTITUÉE : Je suis des vôtres (au Grand Ordinateur) Et vous verrez de quoi sont capables les femmes.

 

LA PRIX NOBEL : Il est temps pour nous d'écrire une nouvelle page de l'histoire du monde. Demain, le despotisme disparaîtra et nous prendrons notre destin en mains.

 

LA ROM : Vous avez raison, je veux pouvoir vivre comme je l'entends, sans barrière ni contrainte et surtout sans haine. Je suis Rom et je suis fière de l'être.

 

LA REFUGIÉE (au Grand Ordinateur) : Nous partons sans violence et nous ne vous laissons que notre mépris.

 

VOIX OFF DU GRAND ORDINATEUR : Votre arrogance sera votre perte à toutes.

 

LA REFUGIÉE : Nous verrons. Partons maintenant.

 

Toutes sortent de la pièce.

 

FIN

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