Pen - Chapitre Quinze

Julie Vautier

Arthur décide de faire appel à un tueur à gages pour éliminer l'assassin de sa femme. Arthur n'avait pas prévu que son tueur à gages serait une gamine de dix-huit ans.

Les premières décorations de Noël pointaient le bout de leur nez dans les rues. Les maisons se bardaient de guirlandes. Des bleues, des rouges, des jaunes. Les Pères Noël quittaient les garages. On voyait parfois un père de famille passer avec un sapin sous le bras. Les premiers jours de décembre étaient là.

Pen avait laissé un mot ce matin-là. Un simple Post-it, collé sur le frigo.

            Plus que deux.

J'ai soupiré et ai laissé deux cents dollars dans le salon. Le gang des Sons of Devil serait bientôt réduit à néant. Je pourrais bientôt reprendre une vie normale. Surtout, je pourrais retourner travailler. Mon banquier avait tenté de me joindre dix-huit fois en deux semaines.

J'avais moins peur de sortir. Les membres les plus éminents étaient morts. Les membres restants ne tenteraient rien. Je pouvais enfin quitter mon appartement. J'ai petit-déjeuné et je suis sorti. J'avais besoin de sortir. J'ai erré un temps dans les rues. Des odeurs de chocolat chaud et de lait de poule flottaient dans l'air.

Je n'avais plus fêté Noël depuis la mort de Barbara. Pat m'avait proposé plusieurs fois de venir chez lui. J'avais toujours décliné. Noël, c'était la fête de Barbara. Elle adorait cette période de l'année. Elle décorait l'intégralité de l'appartement aux couleurs du Père Noël. Des lutins verts et rouges se baladaient dans la salle de bains. Des chaussettes pendouillaient devant l'écran de la télé. Des étoiles ornaient nos fenêtres et l'odeur des marrons chauds ne quittait plus notre cuisine jusqu'à mi-janvier.

Nous fêtions Noël à deux, en amoureux. Barbara achetait la dinde et le foie gras. Je m'occupais du saumon et de la bûche. Nous choisissions le champagne ensemble. Barbara mettait la table. Elle changeait la décoration tous les ans. C'était comme aller au restaurant, mais en mieux.

Je me souviens parfaitement bien de notre dernier Noël. Cette année-là, nous avions bu une bouteille de Ruinart. La bûche était aux fruits rouges. Le saumon n'était pas frais mais la dinde était excellente. Barbara avait pulvérisé de la fausse neige un peu partout. Nous avions terminé la soirée blottis l'un contre l'autre au pied du canapé. Nous avions parlé de l'avenir. Ce soir-là, Barbara m'a dit qu'elle voulait un enfant.

J'ai appelé Pat. Je voulais arrêter de broyer du noir. Nous avons déjeuné ensemble. Il m'a demandé comment j'allais. J'ai répondu que j'allais bien. Pat n'a rien dit mais je savais qu'il n'était pas dupe. Il avait fini par comprendre comment je fonctionnais. Il m'a parlé de Noël. J'ai voulu changer de sujet. Lui non.

-          Viens à la maison cette année, Arthur.

Il a ajouté que ça me ferait du bien. J'ai haussé les épaules. Pat a posé sa main sur mon bras.

-          Tu dois la laisser partir.

Je l'ai regardé sans comprendre. De qui parlait-il ? Il ne savait rien de Pen. Il ne parlait sûrement pas d'elle. De qui alors ? J'ai soupiré en comprenant. J'ai dit que je ne voulais pas en parler.

-          Tu vis avec le fantôme de ta femme depuis plus d'un an.

Je lui ai rétorqué que si je voulais vivre avec son fantôme, c'était mon problème. Pas le sien. Il a opiné du chef et a terminé sa salade. Il est revenu à la charge au moment du dessert. Je lui ai demandé de se mêler de ses affaires. Il n'a pas voulu. Je lui ai hurlé d'aller se faire foutre et j'ai quitté le restaurant.

J'ai reçu un message de Pen en sortant. Elle me proposait de la rejoindre au Starbucks. J'ai fourré mes mains dans mes poches. J'étais hors-de-moi. Je l'étais encore quand je suis arrivé au café. Pen m'attendait dans un coin. Elle faisait des sudokus en m'attendant. J'ai eu la sensation de revivre notre première rencontre.

Deux gobelets fumaient devant elle. Elle m'en a tendu un. Je l'ai regardée, suspicieux.

-          Ce n'est pas un café au lait.

J'ai souri et ai accepté la boisson. Je lui ai demandé combien elle avait payé pour le café. Elle a refusé que je la rembourse.

-          Je t'ai déjà piqué plus de six mille dollars. Je peux te payer un café.

Elle a ajouté que c'était un juste retour des choses. Je l'ai remercié et j'ai bu une gorgée. Elle ne m'avait pas menti : ce n'était pas un café au lait. Nous sommes restés silencieux un moment. Pen finissait son sudoku. Je l'ai regardé faire. Je n'ai jamais aimé les sudokus. Je préférais les mots fléchés.

-          Pourquoi tu étais énervé quand tu es entré ?

Elle n'avait pas levé la tête de son sudoku pour me poser cette question. J'ai voulu répondre que je n'étais pas énervé. Je me suis ravisé. Je n'ai rien dit. Elle a reposé sa question. J'ai dit que ce n'était rien, une bêtise.

-          C'était par rapport à ta femme ?

Je me suis raidi. Elle a posé son crayon. Elle avait fini son sudoku. Elle m'a regardé droit dans les yeux. Elle attendait une réponse. Je n'ai rien répondu. J'ai détourné le regard.

-          Pourquoi tu ne me parles jamais d'elle ?

J'ai répondu que c'était encore difficile pour moi d'en parler. Que je n'avais pas encore fait mon deuil. Pen a secoué la tête.

-          Je t'ai parlé de Jim. Je n'en avais jamais parlé à personne d'autre. Je t'ai fait confiance. Pourquoi tu ne me fais pas confiance ?

Elle m'a demandé si j'avais confiance en elle. J'ai dit que oui. C'était la vérité. Je ne serais pas en train de vider mon compte en banque pour elle sinon.

-          Parle-moi.

Je lui ai demandé si elle avait déjà été amoureuse. Elle m'a répondu que non. Je lui ai dit qu'elle ne pouvait pas comprendre mon chagrin alors. Elle a acquiescé. Elle a repris son crayon et a commencé un nouveau sudoku. J'ai bu une gorgée de mon café. Finalement, elle a reposé son crayon et a levé le nez de son sudoku.

-          Il y a une chose que je comprends pourtant : tu t'obstines à vivre avec un fantôme.

Pat avait lui aussi décrit Barbara comme un fantôme. Mais, venant de Pen, ça ne me faisait pas le même effet. Je ne le vivais pas comme un reproche. Je n'ai rien répondu. Mais Pen n'en avait pas fini avec moi.

-          Tu dois vivre, Arthur, ou tu vas finir par devenir un fantôme toi aussi.

J'étais déjà un fantôme. J'étais déjà un corps sans but et sans passion. Une âme perdue, qui errait entre son lit et son frigo. J'étais déjà un fantôme. Mais ça, Pen le savait. Elle voulait juste me faire réagir. Elle savait trouver les mots pour m'atteindre.

Elle a regardé l'heure sur son téléphone. Elle a empoigné son chocolat chaud. Elle avait rendez-vous au Dolly's. J'ai hoché la tête et l'ai regardée partir. J'ai bu lentement mon café, pensif. Elle avait raison. Comme toujours.

J'ai sorti mon téléphone. J'ai cherché le numéro de Pat. J'ai effacé trois fois le message. J'ai hésité à l'envoyer. J'ai fini par me décider. Il était temps de vivre.

            Désolé pour tout à l'heure. Ça tient toujours, pour Noël ? 

  • J'étais déjà un fantôme. J'étais déjà un corps sans but et sans passion. Une âme perdue, qui errait entre son lit et son frigo. J'étais déjà un fantôme. Mais ça, Pen le savait. Elle voulait juste me faire réagir. Elle savait trouver les mots pour m'atteindre.

    Ça me parle.

    · Il y a presque 7 ans ·
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    enzogrimaldi7

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