Pen - Chapitre Six
Julie Vautier
J'ai attendu longtemps avant d'avoir des nouvelles de Pen. Un peu plus d'un mois pour être exact. Je me suis levé, j'ai pris mon café. Je me suis rasé. J'ai fumé ma clope du matin. Je n'ai pas tout-de-suite remarqué l'enveloppe. Elle gisait dans mon hall d'entrée, elle avait dû être glissée sous ma porte. Elle était immaculée. Il n'y avait pas une tache dessus. Je l'ai longuement observée, sans la ramasser. Puis je me suis décidé.
Mon nom était inscrit dessus. L'écriture était soignée, féminine. C'était Pen. Avant même d'ouvrir l'enveloppe, j'en avais la certitude. Je l'ai ouverte. Un carton s'y trouvait ainsi qu'une coupure de journal. Sur le carton, deux mots seulement étaient écrits.
C'est fait.
L'écriture était aussi soignée sur le carton que sur l'enveloppe. J'ai posé le carton sur un guéridon. J'ai lu attentivement la coupure de journal. Il s'agissait d'un règlement de comptes entre deux chefs de gangs. Le premier, Frankie Donatello, était le chef des Doom 13, un gang italo-américain. Le second était Johnny Cave.
Les Sons of Devil désormais sans chef.
C'était le titre de l'article. J'ai mis un temps à comprendre. Johnny Cave était mort. L'assassin de ma femme avait péri. Barbara était vengée. Pourtant, je n'en éprouvais aucune satisfaction. Juste un grand vide. Un trou béant qui me tordait le ventre et me serrait la gorge.
Pendant un an, ma vengeance avait été mon seul but. Mon unique raison de me lever le matin. J'avais économisé six mille dollars pour engager un tueur. J'avais attendu patiemment. J'avais imaginé ce jour des centaines de fois. J'avais imaginé mon soulagement et ma joie. Aujourd'hui, dans mon cœur, il n'y avait ni joie, ni satisfaction. Juste un grand vide. Je n'avais plus de raison de me lever le matin.
J'ai rangé le carton et l'article dans l'enveloppe. J'ai jeté l'enveloppe. J'ai attrapé ma veste et mes clés et je suis sorti. J'ai marché sans réfléchir, l'esprit ailleurs. J'ai laissé mes pensées vagabonder au rythme de mes pas. J'ai marché longtemps. J'ai fini par atterrir dans un quartier de Wilkes-Barre que je ne connaissais pas.
J'ai observé les alentours. Les immeubles étaient vieux mais pas vétustes, sales mais pas dégradés. Entre deux immeubles, il y avait une petite aire de jeux et des bancs. Je m'y suis assis. J'ai regardé les enfants jouer. Parfois, un enfant pleurait parce qu'il était tombé. Deux minutes plus tard, il rejouait au même endroit. Des fillettes faisaient déambuler leurs poupées entre des miniatures de voitures. Des garçons s'envoyaient un ballon. Si j'avais eu un fils, j'aurais pu jouer avec lui.
J'ai regardé les gens passer. Des familles pour la plupart. Il y avait peu de jeunes de vingt ans. Une silhouette est passée au loin. Je l'ai observée. J'ai reconnu Pen. Elle avait des écouteurs dans les oreilles. Sa tête oscillait au rythme de la musique. Elle a fouillé dans son sac. Elle en a extrait ses clés. Je me suis levé et je me suis rapproché discrètement.
Elle est rentrée dans l'un des deux immeubles à l'aide de son badge. Je l'ai regardée faire. J'avais donné six mille dollars à cette gamine et elle vivait dans un immeuble qui n'avait sûrement pas d'ascenseur. Que pouvait-elle faire de tout cet argent qu'elle touchait au quotidien ? Surtout que je n'étais certainement pas son seul client.
J'ai attendu qu'elle disparaisse dans le hall d'entrée pour m'approcher des sonnettes. J'ai lu chaque nom. J'ai essayé de trouver celui de Pen. Je voulais connaître sa véritable identité. Elle m'intriguait. J'ai relu les huit noms inscrits. Je les ai notés dans ma mémoire. Je savais où trouver Pen désormais même si je ne connaissais pas son nom. Je pouvais toujours sonner à toutes les portes. Je finirais bien par la trouver.
En rentrant chez moi, j'ai alors réalisé que le trou béant qui me trouait la poitrine s'était un peu résorbé. Je me sentais moins vide. L'appartement me paraissait même moins froid. J'ai récupéré l'enveloppe que j'avais jetée. Je l'ai observée, je l'ai ouverte, j'ai relu le carton et l'article. J'ai jeté l'article. J'ai gardé le reste.
J'ai réfléchi, longuement. J'ai moins pensé à Barbara. Je ne l'ai pas imaginé dans chaque recoin de l'appartement. J'ai pensé à Pen. La mystérieuse Pen. Cette gamine qui tuait pour de l'argent et qui le faisait bien. Cette enfant qui vivait dans un vieil immeuble quand elle gagnait des milliers de dollars tous les mois. J'ai pensé à elle. J'ai réalisé combien elle m'intriguait.
Je voulais la connaître. Pas pour des raisons amoureuses, elle était trop jeune pour moi. A dire vrai, je ne savais pas pourquoi. Mais je voulais la connaître. Je voulais connaître son appartement, ses journées. Ses passions, les films qu'elle aimait. Je voulais connaître la musique qu'elle écoutait et les livres qu'elle lisait. Et, plus que tout au monde, je voulais connaître ses rêves. Une tueuse à gages peut-elle avoir des rêves ?
Cette question m'a obsédé toute la nuit. Pen, si jeune et si adulte pourtant. Avait-elle encore ses illusions sur la vie ou les avait-elle perdues, elle aussi ? Croyait-elle encore en un avenir meilleur ? Je l'ai imaginée très seule dans son petit appartement. Je l'ai imaginée sans famille et sans ami. Je l'ai imaginée aussi seule et perdue que moi. J'ai cru voir en elle celui que j'étais.
J'ai voulu croire qu'elle et moi étions pareils.
Je viens de lire tout d'un bloc. Cette histoire est vraiment bonne et démarre bien. J'attends désormais la suite !
· Il y a plus de 7 ans ·bartleby
Pen, comme un stylo
· Il y a plus de 7 ans ·bartleby
Merci beaucoup pour votre commentaire !
· Il y a plus de 7 ans ·"Pen" comme le stylo, effectivement. Attendez la suite, vous comprendrez pourquoi ;)
Julie Vautier
Le stylo peut tuer des gens. D'une certaine manière. :)
· Il y a plus de 7 ans ·bartleby
Tiens, je n'y avais pas pensé. C'est une joli explication aussi :)
· Il y a plus de 7 ans ·Julie Vautier
Superbe.
· Il y a plus de 7 ans ·Au sujet de la vengeance : "Pourtant, je n'en éprouvais aucune satisfaction. Juste un grand vide. Un trou béant qui me tordait le ventre et me serrait la gorge."
Bonne analyse, je trouve.
le-droit-dhauteur
Je n'ai jamais expérimenté la vengeance ou la réalisation de cette dernière, mais j'ai toujours eu la sensation qu'elle n'apaisait en rien la douleur, qu'elle l'aggravait même. En tout cas, c'est le chemin que j'ai voulu faire prendre à Arthur.
· Il y a plus de 7 ans ·Merci pour votre commentaire et votre présence sur chacun des chapitres de "Pen" !
Julie Vautier