Pensées autour de Boussole
lodine
Hier était fait de joies et d'éclats de rire
Chez Ludwika Ogorzelec,
Ce petit bout de femme, mondialement reconnue
Pour ses œuvres gigantesques et délicates à la fois.
Créatrice du concept cristalisation de l'espace,
Elle a travaillé avec César dans son atelier.
Elle nous a reçus chez elle,
En toute simplicité, entre vin et vodka,
Concombres et houmous.
Il faut un contre-poids à cette soirée lumineuse.
Aujourd'hui est triste et lugubre
Dans ce Paris demi-lune, ce Paris anonyme, ce Paris sans traces
Qui a fait disparaître l'âme de quartiers entiers
A cause du creusement de ces grandes avenues uniformes.
Je l'ai oublié, le temps de deux heures.
Je me suis assise sur un banc, face au rocher crée de toute pièce
Aux Buttes Chaumont
Et je me suis plongée de plein gré
Dans la lecture d'un roman exceptionnel
Que tout un chacun devrait posséder,
De Natacha Polony à Yann Moix en passant par Eric Zemmour
Le splendide Boussole de Mathias Enard.
Rien ne me distrayait, ni les cris des enfants, ni les plaintes des mouettes
Se battant pour un quignon de pain
Et accomplissant de jolies arabesques dans le ciel.
Ah. Mathias Enard est un maître.
Il nous permet d'accéder à une autre altérité
Faite de déserts, de reines de Syrie oubliées,
D'Orientalistes passionnés, minés par la perte de ruines
Que les fous de Daechs saccagent comme des damnés.
Ce pont entre deux rives, Orient et Occident,
Mon ami syrien, Adnan Azzam, l'avait rêvé et bâti
En parcourant à cheval des centaines de kilomètres
Avec sa princesse d'alors.
C'était il y a 20 ans.
Mais Enard fait plus.
Il nous offre ce qui n'est plus.
Il nous le donne à lire, à l'imaginer.
A Paris, où tout est gris,
Il faut replonger dans ce temps
Absolument s'y forcer
Et c'est si bon, car la plume d'Enard coule comme du miel !
Cette lecture est une opiacée aussi forte que les paradis artificiels de Damas
Elle me subjugue, me libère de ma tristesse
Quand je me promène dans un Paris de dimanche de décembre
Seule, aussi désargentée que l'ami Balsac,
Oppressée par la morosité ambiante
Qui inhibe la chaleur de la vie,
La réduit à des mots ou des tweet sans saveur aucune
Elle m'empêche de sombrer dans une fureur que certains franchissent
En allant rallier le vide, là-bas, dans ces contrées parcourues par l'auteur.
Cette lecture m'adoucit.
J'entends ce petit garçon de quatre ans claironnant de sa charmante voix d'enfant
« C'est Star Wars ! »
Un homme a revêtu la cuirasse blanche des soldats de Dark Vador
Près des quais du Canal Saint-Martin.
J'ai le sourire aux lèvres.
Tous les auteurs ne sont pas cyniques comme Houellbecq
Ou méchants comme Yann Moix quand il dit à Audrey Pulvar,
Sur le plateau de télé: « Vous écrivez mal »
La tristesse n'est pas cynique
L'amertume pourrait l'être.
Reste la nostalgie...
Elle devient belle, cette dernière,
Quand elle transcende des lieux ou des personnes oubliés
Et les glisse dans notre mémoire
Ainsi elle participe à la transmission des siècles.
Mathias Enard, merci.
Je vais continuer à explorer l'Orient, de chez moi.
Un jour, j'irais. Souhaitez-le moi.