Perché sur ma bécane

J’enfourchais la moto et me dirigeais vers le port. Les deux kilomètres le séparant du bourg sont sûrement l’un de mes parcours préférés toutes catégories. Une ligne droite cernée de part et d’autres de longs pins donnant l’impression de s’enfoncer dans d’étonnantes profondeurs. Comme de visiter un parc étrange planté par des hommes qui ne se satisfont pas de la nature réelle et qui auraient cherché par-là à casser les perspectives trop communes. Spécialement hors saison quand on s’y retrouve tout seul, l’idée d’une rampe descendante sur les certitudes universelles s’imposait. Perché sur ma bécane je frisais rapidement le sentiment qu’offrent les voyages hyperboliques. J’ai maintenant acquis  la preuve que les hommes n’ont d’autre choix que s’immoler volontairement sur le bûcher des illusions. Ils en sont réduits à nier la réalité et c’est bien le seul moyen qu’ils ont trouvé de fuir ce qu’ils savent au fond d’eux-mêmes. Hormis cela ils ne seraient que des animaux peu ragoûtants livrés à leur nature brute. Le sort des humains est certainement le moins enviable qui soit. A la fois de gros animaux et aspirants à de grandes élévations, très peu ont vraiment les moyens de voir leur vie en face. Le besoin d’Exister… leur est pourtant vital à ces humains qui ne savent que partiellement la vérité. Mais pour le moment ils n’ont su que glorifier leur propre ego en guise d’antidote pour affronter ce mystère qui les dévore. Seulement ils sont ridicules par tempérament au point que cela prend des formes aussi ridicules que les intentions qui prévalent à toutes ces agitations. Forcément. Ainsi toute la population ne rêve que de jouer la comédie et se donner en spectacle sous une forme ou une autre.. devant le reste de la population chargée de fournir les applaudissements. Une mise en scène au moins égale à ces deux beaux kilomètres taillés dans cette forêt droite et tendue comme un décor de cinéma fantastique. Ici se retrouve toute la nuance que maladroitement j’essayais de définir peu avant manquant de talent au milieu d’un pareil fatras d’idées. Disons que l’animal s’adapte à toutes les situations.. Quand l’homme se voit lui obligé pour survivre d’adapter les situations du fait d’un esprit trop sophistiqué et exigeant. Encore que parvenus à ce point aléatoire nous pourrions tout aussi bien parler d’incohérence. Alors les hommes inventent des routes d’apparence galactiques s’enfonçant dans la forêt sans horizon. Mais nous ne saurons plus jamais à quoi ressemblait le monde vierge de nos intentions. Comme il n’y a plus aucun moyen de savoir ce que pouvait bien être la vraie nature humaine. Puisqu’il n’y a plus personne apparemment prêt à accepter sa condition simple et originelle. Désormais l’avenir appartiendra aux truqueurs, aux comédiens de toutes sortes, aux bluffeurs pour les moins chanceux. Obligés de feindre pour ces derniers, certainement les plus nombreux, un talent qui leur manque si cruellement. Heureusement la misère à son tour est devenue une belle valeur commerciale. Créant de toutes pièces un grand marché des émotions accessible enfin à tous les publics. Vivre sans Être Quelqu’un.. étant devenu quasiment impensable, il n’y avait rien de mieux à faire que fournir Les Bons Produits.. Les plus malins se sont précipités bien sûr. Répondant comme il se doit à la demande. Le nouvel idiome à la fois simple d’accès et efficace répond à la plupart des malaises existentiels. A ce stade de ma réflexion je débouchais sur le rond-point du port manquant de m’emplâtrer un camion qui tournait à gauche. J’ignorais les insultes du chauffeur et me dirigeais rapidement vers le parking principal. J’ai vraiment pensé que j’avais de la chance en mettant pied à terre. Je me sentais différent depuis bien longtemps de la plupart de mes semblables. Loin de subir la triste réalité comme un gros poisson rouge coincé dans son bocal, je parvenais avec un peu de mal à expliquer la plupart des phénomènes nous affectant. Cela ne m’apportait rien de concret mais des satisfactions orgueilleuses oui. J’avais inventé une nouvelle philosophie qui ne concernerait qu’un seul être humain définitivement. Je n’étais même pas certain qu’une pareille chose se soit déjà produite dans le passé. Comment savoir si le phénomène est voué à rester secret. L’histoire qu’on nous enseigne ne raconte pas tout. Définitivement elle ignore l’homme, lui préférant les foules. Celles où la vie de chacun ne prend de sens qu'en écrasant celles des autres.  L’homme seul et authentique, lui n’est pas un spécimen, tout juste une hypothèse. ..

.                                  http://www.youtube.com/watch?v=nCPV3wp--9s