Perfection chimérique

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Perfection Chimérique

Il m'aura fallu du temps et une patience infinie, mais j'ai finalement réunis des éléments dignes d'elle. Certes, elle n'existe pas, ou seulement dans mon esprit, mais bien plus que le monde, pour moi elle est réelle.

Je la vois sans arrêt dans mes songes, elle me hante. Elle est belle comme le jour, mystérieuse comme la nuit. Ses yeux sont des émeraudes pures, éclatantes qui m'appellent vers elle. Le chant silencieux d'une sirène onirique.

Aucun matériau ne semble convenir, mais si je veux lui offrir une réalité, je n'ai d'autres choix que de me contenter de ce que l'homme connait.

J'installe sur la table mes outils fraichement nettoyés, et j'observe le bloc de marbre blanc encore brut. Je ne l'ai pas travaillé, et je ne le ferai pas aujourd'hui. Pour l'instant, je me contente de passer ma main sur l'étendue égale en fermant les yeux. La pointe de mes doigts file sur la surface plane, son contact frais et lisse me conforte dans l'idée que l'argent investit en valait la peine. Elle sera parfaite.

Je ne sais combien de temps, je reste ainsi, paupières closes, perdu dans mon monde, mais mon corps tendu fini par me rappeler à l'ordre.

Avec un soupir, je m'éloigne et éteint les lumières de mon atelier en sortant.

Lorsque je m'endors ce soir-là, je la retrouve, comme chaque nuit depuis plusieurs mois. Et je l'observe longuement, me demandant comment mon esprit borné par les pensées humaines a pu créer un être aussi parfait. Elle ressemble sans doute aux dryades de la mythologie. Ses cheveux ondulant dans le vent, leur couleur bronze éveillant en moi la nostalgie des feuilles d'automne. Ses yeux rieurs et lumineux me fixent alors qu'elle s'éloigne, se mettant à courir dans les couloirs immenses du palais qui est le sien.

Je la poursuis, comme je le fais toujours et son rire cristallin devient maitre d'orchestre des battements de mon cœur.

Elle est si belle, seigneur, elle est si pure. Comment pourrais-je aimer une de mes semblables quand en songe je côtoie pareille perfection ?

Et quand finalement je la rattrape, ma main sur son poignet dans un geste qui relève plus de la caresse que de la prise, elle me sourit doucement.
Sa douceur, je ne la connais pas. Le modèle féminin n'a jamais eu grande place dans ma vie. Ni mère, ni sœur… quelques amours sans doute, ou plutôt des passions, mais lorsque je la vois, je les oublie toutes.

Doucement, mon pouce caresse son poignet avant de le relâcher. Cette fois, elle ne me fuis plus, son corps se moule contre le mien, ses doigts frais caressent ma nuque et la naissance de mes cheveux. Mes yeux se perdent dans les siens, son sourire réchauffe mon cœur et le ravage à la fois. Lentement, je me penche vers ses lèvres rosées que je capture des miennes, appréciant leur douceur, leur tendresse.
Mes mains passent sur sa robe de velours pourpre et malgré la délicatesse du tissu, je sais que comparer à celle de sa peau, ce n'est que du papier de verre. Son corps se presse contre le mien, allumant un brasier dans mes veines. Cette sensation est violente, en contraste avec notre échange.

Je sens ses doigts fins qui caressent mon torse, et elle échappe à mon baiser. Son front se pose contre le mien, ses cheveux caressent mes joues et à nouveau elle me sourit.

-         J'aimerais que l'on ne soit jamais séparé, murmure-t-elle.

Mais je ne peux lui répondre, car les rayons du soleil ont décidé qu'il était temps pour moi de souffrir un autre jour.

Durant des semaines, je ne fais que cela. Je travaille à sculpter sa perfection le jour, et la nuit je la retrouve.
Elle, toujours aussi belle, aussi irréelle et moi, toujours amoureux de chacun de ses gestes.

Après des mois, je finis enfin de sculpter son corps.
Il est parfait. Aussi parfait qu'une statue de marbre puisse l'être. Et je me tiens devant elle. La taille est la bonne, son teint d'albâtre est irréprochable. Et pourtant mon cœur me fait plus mal que jamais.

Elle n'a pas ses gestes, elle n'a pas son parfum, son regard n'a pas la même intensité. Et je comprends enfin que les heures passées à polir de la pierre, n'ont pas changé quoi que ce soit à l'irréalité de ma muse. Mes doigts passent une dernière fois sur la pierre toujours aussi froide avant que je m'éloigne.

Ce soir-là, mon œuvre achevée, je vais me coucher et je la retrouve.

Quand dans les jardins de son palais, nous faisons l'amour sur l'herbe fraîche, les parfums de roses nous parvenant avec la brise, je me sens plus heureux que je ne le serai jamais.

-         Je t'aime tant, souffle sa voix à mon oreille. Ne me laisse plus seule ici.

Je l'embrasse à nouveau, de tout mon cœur, de toute mon âme. Et contrairement aux autres fois, ce baiser n'a pas une douceur amère. Non, il n'est qu'amour et liberté.

Entre sa présence et le monde réel, mon choix est fait.

Alors qu'importe que la réalité me devienne étrangère et distante si la folie porte le goût de ses lèvres.

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