Peter Newman
Sergueï Bonal
Assis sur un bac dans Saint James ‘Park, par une fraiche matinée d'octobre, le docteur Newman contemplait le paysage d'un air rêveur. Ce jeune docteur allait sur ses quarante ans, au mois d'avril prochain. Il ne faisait pas son âge, du moins, c'était ce que prétendait son entourage. Peter s'était toujours décrit comme un homme banal, sans particularité. Son physique dénotait qu'il était sportif, il était un féru de cours et de cyclisme. Chaque matin, in allait courir dans Saint James's Park non loin de chez lui à Westminster. Ce parc, selon les guides de la ville, était le plus vieux des neuf parcs de Londres. Peter lui trouvait un côté mystique, une fois entré, il avait l'impression d'être ailleurs. Il aimait courir le long de l'étang. Oreillette Bluetooth connecté au téléphone, il écouter du Dire Straits tout en faisant le tour du parc. Comme chaque matin, après avoir effectué un tour du parc, il prenait place sur le banc vert près du plan d'eau. Il aimait fixer cette immense glace bleutée reflétant les nuages. S'était son moment à lui, ce moment de calme qui lui faisait oublier tous ses problèmes quotidiens. Durant, son jogging du matin, il laissait son téléphone chez lui afin de ne pas devoir répondre constamment aux appels de ses collègues. Ce rituel était un moyen de se sentir en sécurité, il voyait les mêmes personnes chaque matin. Tout en courant, il tentait de les comprendre, de les analyser. Bénédicte Jons, n'était pas très difficile à analyser, s'était une femme d'un certain âge qui aimait donner du pain aux oiseaux. Tout comme pour Peter, s'était son petit rituel du matin. Depuis le décès de son marin survenu trois ans plus tôt, elle se rendait dans ce parc pour se souvenir de lui. Il y avait également un jeune couple de coureurs qui s'entrainait en vue de participer à divers tournois sportifs. Peter était spécialisé dans l'étude du cerveau humain en particulier la mémoire. Il était pour ses confrères scientifiques, une référence dans le domaine de la mémoire. Pourtant, il se voyait comme un simple scientifique, cherchant à aider son prochain. Cette volonté de décrypter le cerveau humain lui ait venu, suite à une terrible nouvelle que lui avait annoncé le médecin de son père. Cela va faire deux ans que Richard, le père de Peter était atteint de la maladie d'Alzheimer. À l'annonce du diagnostic, Peter en a été très affecté. Il voulait trouver un moyen de guérir son père de cette maladie qui s'emparait lentement de son esprit.
Une fois de retour, il accueillait, Wendy sa campagne avec qui il partageait sa vie depuis maintenant dix ans. Wendy était une jeune journaliste pour le journal the Gardian. S'était le genre de femme, que l'on remarquait au premier coup d'œil. Son visage était long, pâle, de longs yeux en amande et un sourire à faire tomber n'importe quel homme qui venaient croiser son chemin. Elle dépassait Peter d'une bonne tête, elle avait de longues boucles cuivrées qui descendaient jusqu'aux épaules. Si elle n'avait pas choisi le monde du journalisme, elle aurait pu travailler dans la mode. Depuis toute petite, Wendy était fascinée par la mode. Elle prenait grand soin de son apparence physique, non pas pour plaire aux autres, mais pour elle-même. Peter quant à lui, ne portait guère d'attention à son apparence. Il était souvent vêtu de la même manière, une chemise blanche et un pantalon noir. Ce matin-là n'était pas différent des autres, Wendy préparait son article, allongé dans le lit en petite tenue tout en sirotant un café crème. En rentrant, Peter venait la titiller en sueur afin de lui soutirer une grimace.
–Sur quoi tu travailles en ce moment ? Une nouvelle chronique ?
–Je dois raconter la vie de nos amis des forces de l'ordre sous forme de témoignage. Mon patron veut montrer le vrai visage de la police.
–C'est bien non ? Ça te change des rubriques-conseils. répondait Peter en lisant derrière l'épaule de Wendy.
–Lave-toi avant de m'approcher, tu sens le fauve. lançait Wendy un esquissant un sourire satisfait.
Peter en clin à jouer, retirait son haut de corps pour venir se coller contre le dos nu de Wendy qui hurlait en sentant la moiteur de sa peau.
–Va te laver, après tu pourras faire ce que tu veux.
Peter s'exécutait, mais avant, il dégrafait le soutient gorge de Wendy en affichant un large sourire.
–Accompagne-moi ! proposait-il d'une voix sensuelle et provocante.
Il partait vers la salle de bain entièrement nu, Wendy plus qu'intéressée par la proposition de Peter, se débarrassait du dernier vêtement qu'il lui restait.
–Fait-moi une place ! disait-elle de sa voix la plus douce et charmeuse.
Wendy venait coller son corps brulant contre le sien, elle faisait glisser ses mains lentement sur ses hanches. L'eau chaude ruisselait, une épaisse buée grimpait sur les vitres. Wendy existé, glissait quelques mots à l'oreille de Peter.
–J'ai envie du plus beau des cadeaux !
À ces mots, faisant l'effet d'une lame de rasoir sur sa peau, Peter quittait brusquement la douche pour s'enfermer dans la chambre. Wendy seule laissait échapper une longue respiration. Elle savait quels genres de réactions ça allait susciter, mais elle ne pouvait réprimer ses sentiments et ses envies. La chose qu'elle désirait le plus au monde était d'avoir des enfants. À chaque fois qu'elle abordait ce sujet, Peter s'énervait et sombrait dans une profonde tristesse. S'était même leur seul motif de dispute.
Peter redoutait plus que tout d'aborder le sujet d'avoir des enfants. Il n'était pas contre l'idée, seulement il était dans l'incapacité physique d'en avoir. Le jour où il a découvert la terrible nouvelle, il était resté enfermé chez lui durant des jours. Tout comme Wendy, il ne voyait pas sa vie sans enfant. Il a toujours su que ça allait créer une multitude de problèmes, mais le vivre était très différent. Il ne supportait plus de voir Wendy se décomposer en entendant :
–C'est impossible, je ne peux pas avoir d'enfant !
Elle ne l'interprétait pas de la même manière. Pour elle ces quelques mots signifiaient qu'il n'en voulait pas. Son esprit pragmatique et réfléchi, ne faisait plus de distinction entre pouvoir et vouloir. Pour elle cela voulait dire qu'ils ne pourraient jamais fonder une famille, que leur couple tournerait en rond. Peter voyait l'échéance se rapprocher à grands pas, ils devaient prendre une décision, il restait à savoir s'ils étaient prêts !
–Chéri, je suis navré, mais comprends-moi, disait Wendy contrit. Nous pourrions adopter.
Elle s'avançait lentement vers Peter, le visage sombre. Derrière lui, elle posait sa tête contre lui.
–Tu me demandes une chose que je ne peux te donner. Sais-tu ce que ça me fait ? Je veux un enfant tout autant que toi Wen, et savoir que je ne peux pas m'en rend malade. Depuis quand tu veux adopter ? Tu m'as toujours dit que tu voulais qu'il soit de ton sang. Je suis prêt à tout pour fonder une famille, je suis prêt à adopter. Mais je ne veux pas voir notre couple s'autodétruire à petit feu. Si tu te sens prête et capable, alors nous adopterons.
Wendy laissait échapper un léger soupire, quelques larmes roulaient sur le cou de Peter. Il n'osait pas le dire, de peur de blesser Wendy, mais il était las de vivre ainsi. Presque chaque soir, il entendait Wendy sangloter en pensant aux enfants. Il culpabilisait en se tenant pour l'unique responsable. Qui plus est, sa mère Laura le harcelait pour lui donner un petit fils ou une petite fille. Ce matin-là, Peter aurait préféré revenir en arrière pour ne pas devoir vivre un tel moment.
Après-midi.
Comme si une dispute conjugale ne suffisant pas, le directeur de l'hôpital Edward débarquait furax dans le bureau de Peter.
–Comment se fait-il que vous ne m'ayez pas remis votre rapport sur monsieur Tigs ? vociférait Léon Carter.
Cet homme de petite taille au crâne dégarni était craint de tous les employés. Il avait un charisme naturel et une forte personnalité. Sous ses airs de chef despotique, il était doté d'un profond sens moral. Il disait toujours qu'il n'était pas là pour se faire des amis, mais pour diriger un établissement. Pour les mauvaises langues, il cherchait seulement à compenser un manque. Léon avait une voix particulière, quand il criait, sa voix passait du grave à l'aigu en quelques secondes.
–L'avez-vous terminé au moins ?
–Le voici monsieur. rétorquait Peter d'une voix atone en tendant un fin dossier vert.
–Ah, vous avez un nouveau cas, allez en 607, vous allez traiter une certaine madame Kathleen Gibbs.
Sans rien ajouter, Léon partant en claquant la porte, Peter de plus en plus désemparé partait vers la chambre 607. L'hôpital Edward comportant six étages et un parc, chaque étage était organisé par niveau de maladie. Le six signifiait le numéro de l'étage et le sept le numéro de la chambre. Peter longeait les longs couloirs du sixième étage, sinistre et décrépit. Pour manque de financement, l'hôpital ne pouvait se permettre de reprendre cet étage. Les employés ainsi que les patients devaient supporter un papier immonde, délavé, aux motifs floraux. Une bonne partie des luminaires étaient défectueux et la ventilation ne fonctionnait plus depuis maintenant trois ans. Peter représentait ses collègues face à la direction, tous désiraient travailler dans de meilleures conditions. Seulement, pour les hautes sphères, seul l'argent comptait à leurs yeux. Léon et ses confrères estimaient que la décoration était secondaire, pourtant avoir un bon espace de travail permettait de mieux travailler. Avant d'entrer dans la chambre 607, Peter rajustait sa chemise puis inspirait à fond. Il s'attendait à voir une femme historique hurlant des inepties, mais il n'en était rien. Madame Gibbs attendait assise sur une chaise tournée vers une petite ouverture servant de fenêtre. Des barreaux épais servaient de rempart entre la chambre et le monde. Kathleen était vêtue d'une chemise trop grande pour elle. Un matelas posé sur une plaque de fer faisait office de couchette. Peter se faisait souvent cette remarque, cet hôpital pourrait être le théâtre idéal d'un film d'horreur ou d'un thriller oppressant dans le style de Shutter Island de Martin Scorsese. Kathleen était ailleurs, elle ne prêtait aucune attention à Peter.
–Madame Gibbs, bonjour, je suis le docteur Newman. lançait Peter pour entamer la conversation, qui selon lui était très mal engagée.
Kathleen ne répondait pas, elle continuait de lui tourner le dos les yeux rivés vers le ciel bleu. Peter embarrassé allait s'assoir sur le matelas crasseux. Il examinait attentivement madame Gibbs, qui daignait toujours le regarder.
–Savez-vous pourquoi vous êtes ici ? interrogeait Peter en se penchant vers Kat. Vous savez, je ne vais pas vous juger, vous faire la morale. Je ne sais même pas ce que vous avez fait, et cela ne me regarde pas. En revanche, ce qui me regarde, c'est votre état mental. Contrairement à mes collègues, je ne veux pas lire le dossier de mes patients, je veux partir avec une vision objective d'eux. Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous avez fait et pourquoi, je laisse tout ça à la police. disait calmement Peter en tentant de créer un lien de confiance.
Madame Gibbs tourne brièvement la tête afin de l'observer du coin de l'œil. Elle était dans un état pitoyable, mal coiffé, pas maquillé, elle n'était plus la femme qui savait prendre soin d'elle. Peter avait de la peine pour elle, mais en tant que professionnel, il ne pouvait pas montrer un signe de compassion ou de faiblesse.
–Qu'estes vous donc venu faire ? Pourquoi je ne peux pas voir mon mari et mon fils ? demandait Kathleen d'une voix sombre presque lugubre.
Ce n'était plus la femme souriante et joyeuse, mais une enveloppe corporelle vide et brisée. Ses bras présentaient de nombreuses mutilations, stigmates d'éventuelles tentatives de suicide. Peter voulait lui venir en aide, lui prendre la main, mais il ne pouvait se le permettre. Comme dans sa vie privée, il était tiraillé entre deux choix.
–Madame Gibbs…
–Appelez-moi Kathleen ! rétorquait Kat en interrompant Peter.
–Kathleen, je suis ici pour vous venir en aide, j'ai cru comprendre que vous étiez en détresse. Mon travail est de vous apporter un soutien ainsi que des réponses aux questions que vous pourriez avoir.
–êtes-vous en mesure de me ramener mon mari ? interrogeait Kat en connaissant d'avance la réponse.
Embarrassé, Peter optait pour la franchise, en pensant que ça serait la meilleure solution.
–Je ne peux que vous aider sur le plan moral, affectif. Commencez par me dire pourquoi vous êtes ici.
–Soi-disant pour le meurtre de mon mari. Ce qui est impossible, car je ne me souviens pas de l'avoir assassiné. Je suis chrétienne, jamais je n'aurais commis un tel acte. Qui plus est, j'aime mon mari.
En général, Peter ne voulait pas voir le dossier de ses patients, mais cette fois-ci il allait déroger à la règle…